Source [Le Salon Beige] Extraits d’une tribune de Mgr Rougé, évêque de Nanterre, dans L’Opinion:
Depuis l’apparition du Covid-19 et le début du confinement généralisé, un mot d’ordre unique traverse le monde et polarise les énergies : « sauver des vies ». On ne peut que s’associer à la reconnaissance de tous, non seulement à 20 heures mais à chaque heure du jour et de la nuit, pour l’engagement courageux, innovant et désintéressé du personnel soignant. L’esprit de solidarité et de responsabilité de l’ensemble de nos concitoyens, à quelques restrictions près, a de quoi forcer l’admiration. Comme l’a dit Alain Finkielkraut avec un optimisme dont il n’est pas coutumier : « le nihilisme n’a pas encore vaincu, nous demeurons une civilisation ».
Ne faut-il pas cependant nous interroger sur le sens de ce leitmotiv ambiant : « sauver des vies » ? […] Mais ce slogan devient problématique quand il prétend justifier le surconfinement des personnes âgées dans des EHPAD bunkerisés, au point de les priver de tout contact familial, amical, spirituel, à l’heure du grand passage en particulier.
Qu’on me comprenne bien : toute vie, quel que soit son degré de force ou de fragilité, a le même prix ou plutôt est sans prix tant elle est unique et précieuse. Toute vie mérite d’être servie et toute personne mérite d’être soignée. Mais on ne sauve pas des vies en les privant de ce qu’elles ont d’essentiel : les relations qui les fondent. Comme l’a également déclaré Alain Finkielkraut, « il ne faudrait pas que nous croyions que la vie physiologique est le tout de la vie. La vie, c’est aussi les autres ».
Quand une personne très âgée, « rassasiée de jours » comme dit de manière suggestive le Livre de Job, parvient au terme de son parcours terrestre, c’est profondément émouvant mais ce n’est pas dramatique. Ce qui est dramatique en revanche, c’est que des enfants ne puissent pas une dernière fois tenir la main de leurs parents, contempler leur visage, échanger dans un murmure ou un souffle d’ultimes paroles d’affection, de reconnaissance ou de pardon. […]
La crise que nous traversons constitue un révélateur salutaire pour notre société. On y voit surgir des grandeurs d’âme inattendues et des mesquineries décevantes. On y découvre surtout l’ambivalence de notre rapport à la vie : nous sommes prêts à tout pour préserver des vies qu’en un sens nous ne respectons pas pleinement. Est-on sûr que ceux qui prescrivent aujourd’hui un confinement absolu des personnes âgées et ne légiféreront pas demain en faveur de l’euthanasie des séniors ? […]
Je remercie les cadres de santé qui ont accepté que la liberté religieuse – la liberté par excellence, la liberté-témoin – des personnes âgées soit respectée à l’approche de la mort en permettant à des prêtres, dûment équipés, de se rendre à leur chevet pour un temps de prière et les derniers sacrements. […]
La bronca des séniors, au lendemain de l’annonce d’un confinement prolongé pour eux seuls jusqu’au 15 juillet, a résonné comme un cri de santé. J’ai aimé qu’Axel Kahn rappelle fermement que « la constitution française empêche totalement de discriminer en raison de la fragilité ». Alain Duhamel, de son côté, a souligné à juste titre « qu’un régime autoritaire doit prendre une décision autoritaire et qu’un régime démocratique doit prendre une décision incitative ». L’Exécutif ne s’y est pas trompé, qui est aussitôt revenu sur le caractère abusif et discriminatoire de ses premières annonces.
Ainsi donc les personnes âgées sont-elles sorties par effraction de leur « ehpadisation » forcée pour nous rappeler ce qui est essentiel dans l’expérience humaine et que l’épidémie nous aide à redécouvrir : la qualité et la profondeur des relations humaines, l’attention prioritaire aux plus fragiles, la place emblématique de la liberté religieuse. […]
« Sauver des vies », quel programme magnifique ! A condition de ne pas confiner l’humain dans le physiologique aseptisé. Comme l’a écrit récemment Jacques Julliard, « faire preuve d’humanité, voilà ce qui est de nous requis, voilà ce qui nous sauve ».
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