Réapprendre le mariage (I/III) : « L’amour pour toujours… »

Georges Brassens a la dent dure contre le mariage. Il croque cruellement ces « croquants » qui « vont en ville, à cheval sur leurs sous, acheter des pucelles aux saintes bonnes gens ». Il leur oppose « la chair de Lisa, la chair fraîche de Lison », promise à « la bouche du premier venu, qui a les yeux tendres et les mains nues »…

Et Lisa de s’abandonner ainsi « au premier ostrogoth venu » tandis que « les filles de bonnes mœurs » vendent « leur fleurette à la foire à l’encan » en épousant le bon parti qu’on leur a choisi.

Cette chanson, je la chante volontiers en famille, avec ma guitare. Non seulement en raison de sa richesse harmonique, mais encore parce que cette cruelle poésie me semble relativement pédagogique. La critique sociologique de Brassens montre combien le mariage peut être fade – voire pervers — quand il est rétréci à la lessiveuse des conventions sociales et livré au tue-l’amour des intérêts endogamiques.

Mariage social et amour heureux

Mais cette pédagogie est toute relative, tant il est vrai que je connais fort peu de Lisa qui trouvent le bonheur. Alors, plus sûrement peut-être, l’enjeu, c’est que la dimension sociale du mariage n’étouffe pas la grandeur, la beauté et la vérité du mariage.

Les troubadours de l’amour courtois, tout à leur joie d’enchanter une époque rude, dissociaient en quelque sorte le mariage et l’amour. Là où les cœurs battent par préférence, là où se déploie le mystère de l’amour, c’est en ce temps béni où l’on conte fleurette. Un millénaire en amont, la perspective semble un peu plus large pour le poète latin Ovide qui, dans son immortel Art d’aimer, enseigne non seulement l’art de séduire, mais encore celui de conserver le cœur conquis, de faire durer l’amour.

Quelle est l’ambition majeure de notre époque concernant le mariage ? Je ne crois pas que deux jeunes gens qui se donnent l’un à l’autre — à la mairie ou à l’Eglise — aient d’autre aspiration profonde que l’amour pour toujours. Leur ambition, c’est que la vie conjugale soit la matrice éternelle du bonheur. Ah le bonheur ! Le « souverain bien » dit Aristote.

L’ambition de l’amour

Je crois que cette ambition élevée est à mettre au crédit de notre époque. Et c’est tout le paradoxe : s’il y a tant de divorces, c’est peut-être en partie parce que l’ambition est élevée. L’ambition, en effet, complique la donne : plus les attentes sont grandes, plus les déceptions le sont également. Et quand l’amour semble se dérober, patatras…

L’amour pour toujours, c’est précisément ce que le Christ restaure explicitement dans sa grandeur et sa dignité. C’est le projet initial de Dieu, apprend-il à ses apôtres. En hommes pragmatiques, les apôtres s’en offusquent : « S’il en est ainsi, il n’y a pas d’avantage à être marié ! », font-ils judicieusement remarquer à Jésus. D’une certaine manière, le Christ en convient, mais il tient bon et élève la perspective : « Aux hommes c’est impossible, mais à Dieu tout est possible. »

Prendre soin de son amour

Quel est le premier devoir des époux ? Bien avant l’éducation, c’est de prendre soin de leur vie conjugale comme on veille sur un trésor. Il n’y a pas de meilleure éducation pour les enfants qu’un papa et une maman qui s’aiment et vivent sous le même toit.

En octobre prochain s’ouvrira à Rome le synode sur la famille. Il eut été beau de l’appeler « synode sur le couple ». Car tout le reste en découle. Puisque les fidèles sont invités à exprimer ce qu’ils attendent du synode, voici ce que j’en attends : qu’il nous montre la grandeur, la beauté et la vérité du mariage ; et qu’il nous donne – au cœur de notre pauvreté et de notre espérance — ce bon Dieu pour qui « rien n’est impossible ».

 

Chronique prononcée sur Radio Espérance, 14 mars 2014.

Prochain article : Le couple, grand oublié du synode ?

 

 

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