Le 11 mars 2011 va éclipser le 11 septembre 2001 dans l'imaginaire collectif. La catastrophe qui s'est abattue sur le Japon le vendredi 11 mars 2011 ne peut que frapper les esprits et susciter un raz-de-marée de commentaires. Il est en effet tentant de fustiger l'irresponsabilité qui a présidé à la construction de 55 réacteurs nucléaires dans le pays le plus sismique de la planète, en prétendant que la sécurité était pleinement assurée. Avec 58 réacteurs, la France n'est pas loin devant le Japon, d'où l'intensité de l'attaque menée chez nous par les anti-nucléaires.
Ils ont beau jeu de marteler que le risque zéro n'existe pas, d'autant que nous aurions, nous aussi, tenté le diable en bâtissant des centrales nucléaires dans des zones sismiques — à vrai dire très modérément (en Alsace — Fessenheim — et dans la vallée du Rhône).
Pourtant, une telle contestation n'a pas encore surgi au pays du Soleil-Levant, archipel forgé depuis des millénaires par ses volcans, les tremblements de terre et les tsunami (un mot japonais signifiant vague de la mer qui a fait le tour du monde le 26 décembre 2004).
Bien que le tremblement de terre du 11 mars ait atteint une magnitude de 8,9, sans équivalent connu au Japon, faisant peut-être plus de 20 000 morts, les Japonais l'ont subi sans se départir de leur stoïcisme ou, pour reprendre les mots du pape, de leur courage et de leur dignité . Même le danger avéré et croissant d'irradiation ne semble pas les avoir encore tétanisés alors que leur patrie garde le terrible privilège d'être la seule au monde à avoir subi le feu nucléaire, à Hiroshima et Nagasaki en 1945.
C'est en étant victimes de ce double crime contre l'humanité que les Japonais ont découvert la puissance atomique. L'ayant subie de la pire façon, ils s'en sont emparés, tel Prométhée, pour assurer le prodigieux essor industriel d'un pays particulièrement pauvre en ressources naturelles. Leur arracher l'atome serait leur arracher leur soleil. Il faudrait que la situation tourne à la catastrophe atomique majeure pour que les Japonais brûlent ce qu'ils ont adoré.
Mais peut-être ce seuil critique vient-il d'être atteint : Je considère que la situation actuelle, avec le séisme, le tsunami et les centrales nucléaires, est d'une certaine manière, la plus grave crise en soixante-cinq ans, depuis la Seconde Guerre mondiale , disait déjà dimanche 13 mars le Premier ministre Naoto Kan. Depuis, la crise nucléaire n'a fait que s'aggraver. Le 15 mars, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) française estimait que l'accident nucléaire au Japon avait atteint le niveau 6 (sur 7) sur l'échelle internationale des événements nucléaires (Ines)...
Pourquoi toujours plus d'énergie ?
Quoi qu'il advienne, nous serions mal venus de faire la leçon aux Japonais, nous autres Français, dont le pays est le plus nucléarisé au monde (par rapport au nombre d'habitants) et dont les centrales nucléaires produisent 78 % de la consommation électrique. Serions-nous prêts à tirer les conséquences d'un renoncement, à accepter peut-être le doublement de nos factures d'électricité, en attendant (combien de temps ? vingt-cinq ans ?) le développement d'une production écologique, à retourner aux énergies fossiles polluantes et meurtrières pour les mineurs ?
Tout en concédant qu' il y a peut-être des leçons à tirer [pour la France de la catastrophe japonaise], notamment sur les problèmes d'inondations , Mme Lauvergeon, PDG d'Areva, n'a pas manqué de souligner que le nucléaire permet de produire sans rejet de CO2 de l'électricité 40% moins chère en France que dans le reste de l'Europe, et il garantit notre indépendance énergétique (Le Parisien.fr., 15/03).
On veut bien croire par ailleurs que le nucléaire français soit l'un des plus sûrs au monde comme l'affirme haut et fort Nicolas Sarkozy.
Reste la question de fond : pourquoi diable avons-nous donc besoin de toujours plus d'énergie ? Après que la catastrophe japonaise nous a rappelé que le feu nucléaire, une fois échappé, ne se laisse plus dompter, quels risques sommes-nous encore prêts à courir et pour quels enjeux ? Le tout nucléaire aura-t-il en définitive servi l'homme ou emballé sa volonté de jouissance et de puissance jusqu'à sa destruction morale et physique ?
À cet égard, les Japonais ne sont ni plus ni moins coupables que ces Galiléens massacrés par Pilate, à propos desquels Jésus répondit aux apôtres : Croyez-vous que ces Galiléens fussent plus pécheurs que tous les Galiléens parce qu'ils ont souffert de telles choses ? Non vous dis-je ; mais si vous ne vous repentez, vous périrez tous de la même manière (Luc 13:1-3).
Nous sommes tous des Japonais, sauf peut-être pour le courage que nous pouvons leur envier.
Précision à mon article. Construire des centrales nucléaires ou construire des tours sont des activités humaines légitimes voire nécessaires. Mais dans quel esprit les construit-on ? Si c'est la démesure (l'"hybris" redoutée déjà dans la Grèce antique), la volonté de puissance, l'appât du pouvoir et du gain qui président à leur construction (et s'agissant du nucléaire, à leur prolifération dans des pays où le contrôle est quasiment impossible), tout le monde est en danger. Car sans l'humilité, la prudence est vite délaissée. Benoît XVI ne dit pas autre chose à la fin de "Lumière du monde" : "Que l'homme soit en péril et qu'il mette le monde en danger, on en a aussi aujourd'hui des preuves scientifiques. Il ne peut être sauvé que si des forces morales grandissent dans son coeur; (...) des forces qui résistent." (p.239). Plus le défi technologique est élevé, plus ces forces morales sont requises. Des forces dont Benoît XVI précise qu'elles "ne peuvent venir que de la rencontre avec Dieu."
Philippe Oswald, 20/03/11.
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