La honte, le dégoût, le mépris pour une conduite aussi vile. C’est ce qu’inspire le lamentable épisode de l’arrêt forcé, le 2 juillet, de l’avion d’Evo Morales président de la Bolivie à Vienne, au motif qu’il aurait pu servir à exfiltrer le malheureux Edward Snowden de Russie en direction de l’Amérique latine.
Honte redoublée de voir que sont en première ligne les quatre grand pays latins de l’Europe, la France, l’Espagne, l’Italie, le Portugal qui ont ainsi démontré à la face du monde – et en premier lieu à leurs cousins d’Amérique latine, qu’ils n’existent plus en termes de géopolitique, eux qui, au cours des siècles, ont porté au moins aussi haut que les Anglo-Saxons la civilisation européenne.
On ne sait ce qu’il y a de plus extravagant ans cet événement : l’ignorance du droit international par les services en cause qui, apparemment, ne savaient pas qu’un avion présidentiel était inviolable ? Le mépris pour un pays d’Amérique latine – que tous les autres ont pris pour leur compte ? Ou surtout l’immense lâcheté à l’égard de puissance hégémonique mondiale ? Un effet désastreux que les excuses de la France et de l’Espagne n’effaceront pas. Que le drapeau français ait été brûlé à la Paz, que faire d’autre sinon encaisser les dents serrées cette marque de mépris méritée !
Le crime de Snowden
Car quoi ? Edward Snowden serait-il un criminel ayant commis des meurtres abominables ? Non, il n’a rien fait que divulguer des informations sur les menaces qui pèsent sur nos libertés, celles des citoyens américains mais aussi les nôtres. Serait-il un agent étranger ayant gravement nui aux intérêts de la France et des autres pays en cause ? Non seulement il n’a pas nui aux intérêts de la France et des autres pays européens mais il les a servis en les prévenant des dangers qui pèsent sur eux et aussi sur les institutions européennes, objet d’une surveillance étroite et de tous les instants de la part des services de renseignement américains.
Non seulement les pays en cause et ceux de l’Europe en général ne devraient pas s’inquiéter que Snowden survole leur territoire pour se mette à l’abri d’un appareil de répression impitoyable, mais ils auraient dû faire assaut d’hospitalité en lui proposant tous l’asile politique. Car si l’on examine les conventions internationales, qui mieux que lui entre dans le champ d’application du droit d’asile ?
Espionnés par ses alliés
Vous oubliez, dira-t-on, que les Américains sont nos alliés ? Mais alors, pourquoi nous traitent-ils en ennemis, espionnant tous les faits et gestes de l’ensemble de nos institutions et citoyens ?
On a blâmé le général Franco, à juste titre, d’avoir plongé l’Espagne dans les ténèbres d’une dictature, sans doute pas totalitaire mais tout de même particulièrement pesante. Mais au moins sut-il s’exonérer en 1962, au nom de la Hispanidad, de l‘ordre que les États-Unis donnèrent à tous leurs partenaires occidentaux, d’appliquer le blocus aérien de Cuba. Ses successeurs de la droite libérale, aujourd’hui au pouvoir, se sont avérés au-dessous de tout dans cette affaire, allant jusqu’à laisser leur ambassadeur à Vienne tenter de fouiller l’avion du chef d’État bolivien ! Le gouvernement socialiste français n’a pas été plus brillant.
Les services de contrôle aérien de l’Europe se sont comportés, de manière réflexe ou sur ordre venu de haut, on ne sait, comme les courroies de transmission, non des pouvoir nationaux, ni d’un pouvoir européen plus fantomatique que jamais, mais de l’hyperpuissance transatlantique. Une hyperpuissance qui, en se livrant à la surveillance généralisée des télécommunications publiques et privées, menace gravement les libertés publiques chez elle et chez ses alliés et démontre que son appartenance à la sphère des démocraties libérales est devenue problématique.
Se faire le serviteur zélé de qui vous tient sous sa galoche, même s’il ne vous demande rien ! Comment l’épisode Morales ne nous instruirait-il pas sur les ressorts psychologiques à l’œuvre dans les pays occupés entre 1940 et 1945 où tant les gouvernements de collaboration que leurs services eurent souvent à cœur de devancer les requêtes de l’occupant ou d’aller au-delà de ce qu’il leur demandait (sans que nous confondions naturellement les puissances tutélaires) !
Quelle indépendance européenne ?
L’Europe des Vingt-huit devait être, selon ses promoteurs, l’instrument de l’affirmation de l’indépendance européenne. Comment, dès lors, après soixante ans de « construction européenne » ont-ils pu aboutir à des réflexes conditionnés d’une telle servilité, et précisément chez ceux, les Latins, qui devraient plus que d’autres, au sein de la sphère occidentale, affirmer leur différence du fait de leurs racines latines et catholiques ?
Mais comment s’en étonner à partir du moment où le « progrès » de l’Europe n’a jamais été conçu par ses promoteurs que comme une attrition progressive du sentiment national ? L’Europe institutionnelle a-t-elle cherché à être autre chose que l’instrument de cet asservissement mental, de ce broyage des colonnes vertébrales, peut-être même de ce dérèglement des esprits dont nous voyons le résultat ?
En tous les cas, c’est nous, dont le libéralisme est suspect puisque nous ne sommes pas des inconditionnels de la culture anglo-saxonne, qui nous inquiétons le plus de la dérive des libertés qu’implique le programme Prism de la NSA !
C’est nous dont l’ouverture au monde est mise en doute parce que nous sommes réticents aux grandes constructions multilatérales de l’Union européenne ou de l’OTAN, qui nous indignons du mépris dans lequel on a pu tenu un pays ami comme la Bolivie et, par-delà, toute l’Amérique latine.
Cet épisode lamentable suscitera-t-il un sursaut, un vrai mouvement de fierté des Européens, spécialement des Latins ? Il faut l’espérer mais on peut en douter au vu de la vitesse avec laquelle la presse française s’est empressée de le passer à la trappe. L’entreprise européenne n’a pourtant de sens que s’il permet ce sursaut.
R. H.
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