Il y a eu cette semaine une rumeur de plus, une énième rumeur, et relayée largement par certains courants et médias, selon laquelle le pape François aurait arrêté l’utilisation des titres dans l’Église, titres soi-disant pompeux, signes d’une certaine richesse ou d’une certaine mondanité. Cette rumeur se devait même d’être précise : il devait l’annoncer ce vendredi 4 octobre, à l’ombre du pauvre d’Assise. Et que s’est-il passé ?
RIEN… Pour tout vous dire, je suis un peu fatigué de tous les « vaticanistes » qui nous font les réformes avant l’heure. Se réjouissant souvent de ce qui, finalement, n’arrive pas. Du reste, le Pape François n’a-t-il pas dit lui-même vendredi : « Ces jours ci, il y a tout un tas de fantasmes dans la presse, sur le fait que le pape va dépouiller l’Eglise, ou qu’il va se dépouiller lui-même » ?
Préalablement à mon propos, je voudrai dire deux choses : la première, c’est que je m’exprime ici librement et que si tel était le cas dans une décision officielle future, mon obéissance serait totale. Je m’exprime ici en amont d’une éventuelle décision pontificale, signe de la liberté de recherche dans l’Église. Et d’autre part, je pense en tous cas qu’il est bon de se laisser interpeller sur les raisons de ce qui m’a semblé une non-rumeur à laquelle je n’ai pas cru une seconde (vous me direz, c’est facile de le dire après coup, sauf que je n’ai pas eu le temps d’écrire mon billet).
Une rumeur infondée
Cette rumeur ne m’a pas semblé fondée pour plusieurs raisons, et je dirai volontiers à ceux qui l’ont diffusée qu’ils auraient mieux fait de faire preuve d’un peu de prudence tellement il était évident que l’annonce n’aurait pas lieu !
Pourquoi ? Pour une raison de forme, tout d’abord : en effet, le conseil du fameux G8 (pour lequel je renvoie à mon article précédent) est là pour réfléchir aux réformes que devra engager le Pape. Ce conseil a commencé à se réunir officiellement depuis le 1er octobre. Qu’est-ce à dire si le pape François avait pris une décision de cette importance pour la vie de l’Église sans prendre le temps de la consultation préalable ? Et même si le conseil avait donné cet avis, ne met-il pas en place un vaste chantier de réforme ?
Vous avez d’un côté tout un mouvement qui « pousse » le besoin de collégialité dans l’Église, qui le demande et même le revendique, mais d’un autre côté ce même mouvement applaudirait des deux mains si le pape avait pris une telle décision vendredi dernier, de manière arbitraire et autoritaire ? Que veut-on ? Renforcer la collégialité dans l’Église ou renforcer le pouvoir pontifical ? Il faudrait savoir…
En tous cas, beaucoup de réactions ces derniers jours m’ont paru totalement contradictoires sur cet aspect, et pas qu’en ce domaine des titres ecclésiastiques.
Le domaine de la diplomatie
Concernant la forme, toujours : qu’est-ce que l’on dit quand on dit « Excellence » ou « Éminence » ? Certains n’y voient que des titres pompeux et ronflants qu’il faudrait supprimer. Peut-être, mais les ambassadeurs, dans le monde, ont aussi le titre d’« excellence ».
Dans la diplomatie internationale, ces titres ont leur reconnaissance et leurs codes. Ils permettent tout simplement d’entrer en relation avec une personne hautement placée dans une « société » sans nécessairement entrer dans les codes de celle-ci. C’est une sorte de nom commun pour les dignitaires de haut rang.
Pourquoi s’en détacher ? On voudrait supprimer ces titres, mais pourquoi et comment ? Comment voudriez-vous après appeler les évêques et les cardinaux ? « Père » ! me répondront certains, ou même carrément par leurs prénoms, sous prétexte qu’il faudrait avoir des relations simples.
Eh bien au risque de surprendre, « Père » n’est pas une bonne idée, et non pour la raison que vous pensez. Tout simplement parce qu’appeler quelqu’un par le titre de « père », c’est s’engager dans cette relation de paternité qui implique la foi ; c’est s’obliger à y entrer. Or, tout le monde le veut-il ? Pourquoi obliger des gens qui n’ont pas la foi à appeler « père » ou « mon père » des gens dont ils ne reconnaissent pas la paternité, et pour cause ? On parle souvent de la liberté religieuse : pourquoi ici, voudrait-on imposer cette relation de foi ?
Les termes d’« éminence » ou d’« excellence », appartenant au domaine de la diplomatie, de la politesse et de ses codes internationaux – largement reconnus – laissent celui qui le prononce beaucoup plus libre et dans une plus juste « distance » que « Père » ou « Monseigneur », appartenant au domaine religieux qui nécessite la foi pour y entrer. D’ailleurs, pour les prêtres aussi, la terminologie « Monsieur l’abbé » (même si « abbé » vient de la même étymologie que « paternité ») permet bien mieux cette « liberté religieuse » que « mon père ». Et je ne refuse jamais cette dénomination à qui veut l’utiliser en marquant une distance et un respect.
Simplicité, appauvrissement
On pourra toujours vouloir « simplifier » les choses, mais la simplification n’est pas forcément appauvrissement. Ne peut-on pas être simple même en utilisant des termes appartenant à l’histoire et aux codes habituels de la rencontre officielle ? Faut-il que la politesse en cette société qui l’oublie trop souvent s’appauvrisse elle aussi ? Ne se plaint-on pas d’une certaine jeunesse qui ne sait même plus utiliser le nom de « monsieur » ou de « madame » lorsqu’elle croise quelqu’un qu’elle ne connaît pas?
Il y a une espèce de « mauvaise foi » à vouloir appauvrir notre langage alors que nos relations n’en demeurent pas moins compliquées. Dans nos mentalités modernes, nous avons, en fait, un véritable problème avec l’autorité. Autorité politique malmenée, autorité ecclésiastique remise en cause, autorité morale contestée.
Pour exprimer le fond de ma pensée, supprimer les titres ecclésiaux – comme dans la société civile d’ailleurs qui l’a déjà largement fait puisqu’on les sape de tous côtés – ce serait plus encore entamer la vérité des relations. Je ne parle pas ici des titres honorifiques de « Monseigneur » pour les prélats d’honneur (c’est un autre débat sur lequel je ne m’arrête pas ici). Je parle des titres des évêques et des cardinaux qui aujourd’hui représentent l’Église là où ils sont.
Nous rêvons, depuis quelques décennies, d’une société hippie où tout le monde serait copain avec tout le monde. Chacun y va de sa petite musique : « Appelle-moi par mon prénom, c’est plus sympa » ; « on se fait la bise, on se connaît bien », y compris au travail ou dans l’Église. Mais cela sert-il vraiment la hiérarchie de nos relations ? Quand il y a un problème, cela aide-t-il à mieux le dépasser ou au contraire, cela ne brouille-t-il pas la relation plus qu’autre chose, avec pour conséquence la difficulté de dépasser le problème lui-même par manque de distance ?
Vérité des relations
Retrouver une certaine forme dans la relation n’a jamais empêché la proximité et la simplicité, bien au contraire. Il y a parfois plus de richesses à respecter la forme. À force de compliquer la simplicité, on simplifie la relation elle-même et on la vide de son sens profond. On l’appauvrit et on l’affadit. Et le pape François, d’ailleurs, n’appelle nullement à cette pauvreté-là ! Appeler « Excellence » un évêque ou un ambassadeur n’a jamais tué personne !
Au contraire, cela témoigne du respect pour sa fonction, de la distance nécessaire pour sa personne et sa mission, surtout quand je me situe hors d’une relation de foi. En ce sens-là, la vérité des relations se joue.
Ne pourrait-on pas laisser le pape François et son fameux G8 faire un travail paisible ? Si à chaque réunion, il faut sortir une énième rumeur de plus sur les éventuels et possibles champs de réforme, alors la fatigue sera au rendez-vous ! Je ne conseillerai que trop peu de rester paisible et serein face au Navire qui avance : l’Église ne s’est jamais réformée sous la pression de quelques groupes aussi puissants soient-ils.
L’Église s’est réformée en se laissant interpeller par les saints qui la portent de l’intérieur. Et ceux-là, quoi qu’on en dise, ne font que s’amuser des rumeurs …
Le père Cédric Burgun est enseignant-chercheur à l’Institut catholique de Paris.
www.cedric.burgun.eu
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