La Cour européenne des droits de l’homme a condamné l’Autriche, en reconnaissant « l'adoption coparentale homosexuelle ». L’arrêt rendu le 19 février est d'une très grande portée, mais a divisé profondément la Cour. Un pas de plus a été franchi vers un droit général à l'adoption pour les couples de même sexe, à égalité avec les couples homme-femme.
La Cour pose le principe que l’adoption des enfants du partenaire de même sexe doit être possible lorsqu’elle l’est au sein des couples de sexes différents, quitte à évincer le parent biologique. Son raisonnement peut être ainsi synthétisé : Si la femme avait été un homme, l’adoption n’aurait pas été impossible, donc elle doit être possible au nom de la non-discrimination selon l’orientation sexuelle lorsque la femme n’est pas un homme.
Le 19 février, par un arrêt fleuve de plus de 50 pages, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a rendu public un arrêt condamnant l’Autriche dans une affaire X et autres c. Autriche (n° 19010/07) mettant en cause l’impossibilité pour une femme d’adopter le fils que sa compagne a eu d’une union antérieure avec un homme (ce que la Cour désigne « adoption coparentale »). Cet arrêt a établi le principe suivant lequel l’adoption des enfants du partenaire de même sexe doit être possible lorsqu’elle l’est au sein des couples de sexe différents.
Les deux femmes (non mariée) qui agissaient en leur nom et au nom de l’enfant mineur, se plaignaient de subir une discrimination fondée sur leur orientation sexuelle et invoquent le droit au respect de leur vie privée et familiale (art.8) ainsi que l’interdiction des discriminations (art. 14). Elles estimaient « qu’aucun élément ne justifie de manière raisonnable et objective que l’on autorise l’adoption de l’enfant de l’un des partenaires par l’autre partenaire dans le cas d’un couple hétérosexuel, marié ou non marié, tout en interdisant pareille adoption dans le cas d’un couple homosexuel » (présentation des faits réalisée par la Cour).
Le raisonnement LGBT
Une courte majorité des juges (10 sur 17) a adopté le raisonnement des organisations LGBT qui portaient cette affaire (ILGA, ECSOL FIDH, etc.). À l’opposé, l’opinion publiée en annexe par les sept juges dissidents cite et reprend largement les observations écrites soumises par l’ECLJ à la Grande Chambre.
Selon le droit autrichien, une telle adoption n’est pas possible car un enfant ne peut pas avoir sa filiation établie envers plus de deux parents qui doivent être un homme et une femme, et l’adoptant se substitue au parent biologique du même sexe que lui (Art. 182 § 2 du code civil autrichien). Ainsi, son adoption par une femme romprait le lien avec sa mère biologique.
Les deux femmes ont argué du fait que lorsque le couple est hétérosexuel, un homme vivant avec la mère d’un enfant peut se substituer au père et adopter l’enfant (de même la femme vivant avec le père de l’enfant peut en théorie se substituer à la mère). Cependant, dans ce cas, le parent naturel perd tout lien humain et juridique avec l’enfant, même le droit de le voir. Une telle adoption par substitution requiert, si elle est estimée être dans l’intérêt de l’enfant, soit la renonciation du parent à son lien de filiation, soit une décision de justice constatant l’indignité du parent biologique à conserver ses droits parentaux (en cas de maltraitance ou de désintérêt total pour l’enfant).
En l’espèce, le père assume parfaitement ses responsabilités, il a des contacts réguliers avec son fils qui porte son nom, et il verse une pension alimentaire. Autrement dit, comme beaucoup d’autres, cet enfant vit avec sa mère et a un père qu’il continue à voir et qui s’occupe de lui.
Mais la mère et sa nouvelle compagne veulent évincer le père pour « fonder » une nouvelle famille.
Afin que la compagne de la mère puisse établir des droits parentaux sur l’enfant, les deux compagnes ont demandé au père de renoncer aux siens. Face à son refus, elles ont demandé aux juridictions autrichiennes de l’en déchoir et d’autoriser l’adoption de telle sorte que la compagne de la mère puisse se substituer au père de l’enfant. Les autorités autrichiennes ont jugé cette demande contraire à l’intérêt de l’enfant et l’ont refusée. Les deux compagnes ont alors saisi la Cour européenne invoquant une discrimination.
Intérêt de l’enfant contre droit des adultes
Ainsi, du point de vue de l’intérêt de l’enfant, cette affaire était donc simple : l’enfant ayant déjà un père et une mère, et aucun d’eux ne souhaitant ni ne devant renoncer à ses droits parentaux, l’intérêt de l’enfant était de conserver ses liens juridiques familiaux avec ses parents. L’enfant n’est donc pas adoptable. En revanche, du point de vue des adultes, l’affaire était plus compliquée car, ce n’est plus l’intérêt de l’enfant qui était considéré, mais l’égalité entre les couples hétérosexuels et homosexuels. Il s’agissait d’avoir les mêmes droits sur les enfants. La différence de situation entre couples hétérosexuels et homosexuels dans leur faculté « d’avoir » des enfants était perçue comme une inégalité, une discrimination.
C’est sous le seul angle des droits des adultes en matière d’adoption et au seul prisme de l’égalité que la majorité des juges a tranché. La majorité a fait abstraction des circonstances de l’affaire et s’est concentrée sur le fait que « l’article 182 § 2 du code civil autrichien interdit de manière absolue – quoiqu’implicitement – l’adoption coparentale aux couples homosexuels ».
Grégor Puppinck est directeur de l’ECLJ, docteur en droit.
Suite de l'article, à paraître dans la revue Droit civil (Lamy), mai 2013.
Pour en savoir plus :
♦ Arrêt de la Grande Chambre.
♦ Exposé des faits réalisé par la Cour.
♦ Observations écrites de l’ECLJ dans l’affaire X et autres contre Autriche. (n° 19010/07)
♦ ECLJ, Analyse synthétique de l’affaire X. et autres contre l’Autriche (n° 19010/07)♦ Video de l’audience du 3/10/2012
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Si l'Europe va dans le mur, quittons l'Europe.
Cette déicison de la CEDH ne me semble pas aussi "radicale" que ce que vous mentionnez.
Voir le commentaire en entierJe veux dire par là que ce qu'à analyser la CEDH, c'est la possible discrimination dont seraient victimes les requérantes (1 et 3) au regard de l'adoption de l'enfant du conjoint (a), il ne me semble pas que la CEDH donne, en revanche, raison aux requérantes (1 et 3) dans leur volonté de substituer la filiation de la compagne de la mère à celle du père biologique.
En effet, à lire le jugement, il semble que la CEDH ait analysé les raisons brandies par le Gouvernement autrichien pour interdire l'adoption co-parentale par un couple de même sexe. Elle n'a, en revanche, prononcé aucun jugement sur le droit de la compagne de la mère de substituer sa propre filiation à celle du père biologique.
Dans son arrêt, la CEDH explique, en effet, que l'Autriche a justifié son interdiction de l'adoption co-parentale, par un couple de même sexe, par deux arguments.
Le premier étant que l'Autriche souhaite permettre aux adoptés (les enfants) de retrouver "l'image d'une famille traditionnelle". Argument battu en brêche par les juges, qui observent, à juste titre, que cette volonté est à géométrie variable, dès lors qu'on autorise les célibataires à adopter.
Le deuxième, c'est qu'il n'y aurait pas consensus des pays européens sur le sujet. Là encore, la CEDH dit oui...Mais observe tout aussi logiquement que, dès lors, ce sont des "cas par cas" qui doivent pouvoir être jugés par la CEDH.
Il n'est donc pas surprenant que, s'agissant de l'Autriche - car la CEDH juge au "cas par cas" - la CEDH ait reconnu que les deux requérantes faisaient l'objet d'une discrimination.
Dès lors qu'un célibataire peut adopter et élever l'enfant seul ou avec son compagnon, on voit mal pourquoi, le fait que ce compagnon soit du même sexe ou du sexe opposé, permettrait l'adoption co-parentale dans un cas et l'interdirait dans l'autre.
De même, si l'on admet qu'un enfant puisse changer, au cours de sa vie, de filiation, alors il faut considérer cette possibilité comme un principe établi, qui doit permettre à tout un chacun de se porter candidat à cette demande...Pour peu qu'il y ait des raisons significatives de bouleverser ladite filiation.
Partant de là, la décision de la CEDH est cohérente, car elle ne fait que mettre les gouvernants face à leurs contradictions.
Puisqu'on prive, délibéremment, un enfant d'un "père" ou d'une "mère" en autorisant l'adoption simple ou/et pleniere par un celibataire, en Autriche...Comment prétendre cette privation bonne dans ce cas et nuisible quand cette privation delibérée est le fait d'un couple homo ?
La CEDH ne dit pas que donner à un enfant "deux pères" ou "deux mères" est une bonne chose. Elle se contente d'observer qu'en la matière, le Gouvernement autrichien n'est pas apte à démontrer en quoi cela serait nuisible pour l'enfant, dès lors qu'il y a privation de la fameuse "altérité sexuelle" évoquée, dans le cas d'une adoption par un célibataire.
Les législations nationales manquent, et la CEDH ne fait que le constater, de cohérence. De la cohérence, c'est là tout ce qu'elle demande, tout ce qu'elle exige.
--Si l'on part du principe que la meilleure filiation, pour un enfant, est celle biologique, alors il faut donner primauter à celle ci et considérer que l'adoption doit être restreinte et tout recours à la PMA interdit ou/et soumis à des règles strictes.
--Si l'on considère qu'un enfant doit bénéficier de parents à l'altérité sexuelle bien établie, pour pouvoir s'épanouir, alors il faut interdire ou/et rendre exceptionnelle toute adoption qui aurait une visée ne permettant pas aux enfants un tel bénéfice. Autrement dit, réserver ou faire primer les adoptions par des couples de sexe opposé - à ne pas confondre avec "couples hétéros" : on peut se marier et être homosexuel - en termes d'adoptions. Le Législateur pourrait souscrire à deux possibilités. La première consisterait à interdire toute adoption par des couples autres que du sexe opposé, ce au nom de la Convention Internationale que vous citez. La deuxième consisterait à faire primer les adoptions par de tels couples tout en rendant possible l'adoption par des couples de même sexe ou célibataire. Le raisonnement du Législateur serait le suivant : dans la mesure du possible, nous souhaitons offrir aux enfants des parents à l'altérité sexuelle bien établie (de sexe opposé), nous considérons cependant le cas où "l'offre" serait supérieure à la "demande" en prévoyant que les enfants "restants" puissent être adopter par des célibataires ou/et des couples de même sexe, quand il s'avère impossible pour un couple de sexe opposé de recevoir l'enfant.