Rebondissement aux États-Unis : le 23 août, la cour fédérale de Washington a bloqué le financement public de la recherche sur les cellules souches embryonnaires autorisé par le président Obama, lui infligeant un sérieux camouflet. Dans une procédure en référé, le juge Royce Lamberth (photo) a suspendu le financement par l'État fédéral de la recherche sur les cellules souches embryonnaires devenu légal avec le décret du 9 mars 2009. La Maison blanche a fait appel de ce jugement.
La déconvenue est loin d'être négligeable pour Barak Obama si l'on songe qu'il avait pesé de tout son poids pour que l'argent public puisse dorénavant servir à financer ce secteur de la recherche. Pendant les huit années où George W. Bush fut au pouvoir, seuls des fonds privés étaient autorisés et ne concernaient en outre qu'une vingtaine de lignées cellulaires embryonnaires. En signant le décret, il s'agissait pour le nouveau locataire de la maison blanche de prendre rapidement ses distances avec la politique pro-life de son prédécesseur.
Comment expliquer ce revirement juridique ?
Le précédent Dickey-Wicker
Pour comprendre le nœud de l'affaire, il faut se souvenir que lorsque les scientifiques américains découvrent les cellules souches embryonnaires en 1998, cela fait déjà deux années que l'amendement Dickey-Wicker interdit que des fonds publics soient utilisés pour financer des projets de recherche impliquant la destruction d'embryons humains.
Quand George Bush junior devient président des États-Unis en 2001, il étend cette interdiction à la recherche sur les cellules souches embryonnaires proprement dites. Autrement dit, l'État fédéral ne pouvait ni subventionner un chercheur qui désagrégeait des embryons humains dans son laboratoire, ni celui qui travaillait seulement sur une séquence cellulaire, et ce même si celui-ci n'avait pas directement opéré la destruction du ou des embryons qui en étaient à l'origine.
C'est ce dernier dispositif qui a été annulé par le décret signé par Barak Obama en mars 2009. Du fait de l'amendement Dickey-Wicker toujours en vigueur, l'emploi de fonds publics pour la destruction d'embryons humains en vue d'obtenir des cellules souches est demeuré strictement interdit. C'est le financement public de travaux scientifiques portant sur les cellules souches embryonnaires qui est permis à la condition que les lignées cultivées après destruction d'un embryon aient été obtenues grâce à des fonds privés.
C'est justement cette distinction artificielle que conteste Royce Lamberth dans l'étude qu'il a détaillée au cours de l'audience en référé :
La recherche sur les cellules souches embryonnaires est clairement une recherche qui implique la destruction d'un embryon [...]. Si le Congrès avait voulu limiter l'interdit de l'amendement Dickey-Wicker aux actes entraînant en eux-mêmes la destruction, il l'aurait rédigé ainsi. Or, il ne l'a pas fait [...]. Si une étape du processus de recherche implique la destruction d'embryon, l'ensemble de la recherche ne peut recevoir de financement public.
Le raisonnement du juge Lamberth fait écho à celui que l'on trouve au n. 35 de Dignitas personae qui se penche sur le cas de figure de chercheurs qui utiliseraient du matériel biologique d'origine illicite produit en dehors de leur centre de recherche ou qui se trouverait dans le commerce. C'est justement le cas des cellules souches embryonnaires dont certaines lignées sont cultivées depuis plusieurs années. Un chercheur ne pourrait-il pas entreprendre des expériences sur ces cellules en faisant valoir son indépendance vis-à-vis de celui qui a fabriqué les embryons et de celui qui les a fait mourir ? Ce à quoi les auteurs de l'Instruction répondent que
le critère d'indépendance ne suffit pas pour éviter une contradiction dans l'attitude de celui qui dit ne pas approuver l'injustice commise par d'autres, mais qui, dans le même temps, accepte pour son travail le "matériel biologique" que d'autres obtiennent par le biais de cette injustice. Quand ce qui est illicite est approuvé par les lois qui régissent le système sanitaire et scientifique, on doit se dissocier des aspects iniques de ce système, afin de ne pas donner l'impression d'une certaine tolérance ou d'une acceptation tacite des actions gravement injustes. Cela contribuerait de fait à favoriser l'indifférence ou la faveur avec laquelle avec laquelle ces actions sont perçues dans certains milieux médicaux et politiques [...]. C'est pourquoi il convient de préciser que le devoir de refuser ce "matériel biologique" [...] découle du devoir de se dissocier, dans l'exercice de sa propre recherche, d'un cadre législatif gravement injuste et d'affirmer avec clarté la valeur de la vie humaine (Dignitas personae, 8 septembre 2008, n. 35).
Parce que le processus de dérivation de cellules souches embryonnaires résulte directement de la destruction d'un embryon, l'ensemble de cette recherche est entaché d'illégitimité sans qu'aucune des étapes ne puisse être séparée sur le plan moral.
Pour conforter sa décision, le juge Royce Lamberth avance d'autres arguments de poids. Il donne raison à deux scientifiques plaignants dans cette affaire, lesquels estiment que l'octroi de subsides fédéraux aux cellules embryonnaires concurrence leurs propres travaux sur des cellules souches adultes ne soulevant aucun problème éthique. Il rappelle en outre que son jugement ne nuit pas aux malades puisque aucune preuve scientifique d'un quelconque bienfait sur la santé humaine n'est pour l'instant à porter au crédit de la recherche sur les cellules embryonnaires. Et que de toute façon, les chercheurs pourront comme ils l'ont toujours fait depuis 1998 poursuivre leurs travaux à partir de fonds privés.
La portée de cette décision
Quelle est la portée de cette décision ? Ce qui est sûr, c'est que les demandes de financement de nouveaux projets sont désormais gelées. Certains évoquent même une suspension de l'attribution de fonds publics sur des recherches déjà en cours. L'administration de la Maison blanche a d'ores et déjà fait appel de ce jugement, demandant au tribunal fédéral de Washington de permettre que la recherche publique sur les cellules embryonnaires se poursuive, le temps que le dossier soit jugé sur le fond.
Barak Obama peut-il passer en force en abrogeant l'amendement Dickey-Wicker au Congrès ? Encore faut-il que le Président anticipe les élections de mi-mandat du mois de novembre qui pourraient lui faire perdre sa majorité. Quoi qu'il décide, il apparaît aujourd'hui aux yeux d'une frange importante des Américains comme un idéologue obstiné lorsqu'il s'agit de prendre position sur des sujets de société.
Avouons-le, avec ce coup d'arrêt donné à la recherche publique sur les cellules souches embryonnaires, reposant qui plus est sur des arguments éthiques et scientifiques du plus haut intérêt, c'est une bonne nouvelle qui nous parvient des États-Unis en ce début de rentrée.
Articles consultés :
Marion Solletty, La recherche sur les cellules souches embryonnaires, un casse-tête de plus pour Obama , Le Monde, 24 août 2010.
Sophie Amsili, Cellules souches : suspension des fonds publics américains , Le Figaro, 25 août 2010.
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