Mariano Rajoy, président du gouvernement espagnol depuis novembre 2011, est un homme sérieux, trop sérieux.
Après une victoire très large de la droite lassée d’un gouvernement socialiste touché par la crise et qui avait totalement renié sa vocation sociale pour appliquer les directives européennes, Rajoy avait annoncé qu’il concentrerait son action sur la gestion économique : rééquilibrer les comptes publics pour maintenir l’Espagne dans l’euro, sauver le système bancaire et si possible relancer la machine économique.
Comme si le gouvernement conservateur pouvait mieux faire sur ce sujet que le gouvernement socialiste, comme si les grands débats qui divisaient la gauche et la droite au cours des années précédentes n’avaient pas été plutôt le mariage homosexuel, l’avortement, la mémoire de la guerre civile, tous sujets sur lesquels le socialiste Zapatero avait pris le risque de diviser gravement le pays.
Le choix de Mariano Rajoy : l’économie, rien que l’économie, était d’autant plus audacieux, en un sens, qu’il n’avait aucune chance de réussir sur ce terrain !
Il ne faut pas être un grand expert pour voir que si, à la rigueur, la France pourrait encore survivre quelques temps dans l’euro, l’Espagne subit aujourd’hui un préjudice tellement lourd que, plus le temps passe, plus ses chances de redressement se trouvent obérées.
Certes les taux auxquels elle emprunte sont repassés au-dessous de la barre des 6 %, mais son endettement public, au départ moindre que celui d’autres pays européens, y compris l’Allemagne, s’envole. La situation des banques privées est très dégradée et la hausse des prix de revient au cours des dernières années a enlevé toute compétitivité aux produits espagnols.
Ne pouvant plus guère vendre, le pays est conduit à un taux de chômage record qui avoisine les 25 % de la population active, 50% des plus jeunes !
Une équation impossible
Toujours bon élève, Marian Rajoy a choisi de rester dans l’euro. Régler les problèmes économiques de l’Espagne et rester dans l’euro, c’est ce que les mathématiciens appellent une équation impossible.
La récession, réduisant les recettes, empêche de rééquilibrer les comptes publics ; si les dépenses publiques sont réduites, ce que préconisent d’une seule voix Berlin, Bruxelles et Francfort, la récession s’aggravera, aggravant le chômage et réduisant encore les rentrées fiscales et, du coup, le déficit s’aggravera. L’Espagne est déjà entrée dans cette spirale récessive.
Seule une sortie de l’euro, assortie d’une dévaluation de 40 ou 50 % permettrait une issue à la crise. Dans un tel scénario, l’effort immédiat serait certes encore plus dur : les prix importés augmenteraient et les prix intérieurs aussi, le pouvoir d’achat des Espagnols voyageant à l’étranger se trouverait amoindri. Mais très vite, comme il advient toujours en cas de dévaluation, l’économie repartirait, alors que dans la situation actuelle, ce redémarrage n’a aucune chance de se produire.
Ajoutons que, rétablissant sa souveraineté sur la banque d’Espagne, le gouvernement espagnol réglerait plus facilement le problème de ses banques commerciales et celui de sa dette propre.
Si l’Espagne s’acharne encore à rester dans l’euro, nul doute que toutes ses difficultés présentes s’aggraveront.
Encore quelques années de ce régime et l’Espagne perdra le bénéfice de 50 ans de croissance économique : elle se retrouvera au niveau préindustriel du début du franquisme.
Pour une Espagne récemment industrialisée, l’Europe et l’euro ont représenté une sorte de promotion sociale. Il est donc peu probable que ce pays prenne de lui-même l’initiative d’en sortir, alors même que c’est son intérêt le plus évident.
Néanmoins, en bon espagnol, Rajoy reste fier. Il répugne à accepter l’aide que lui proposent ses partenaires européens sachant que cela signifierait une mise en tutelle de l‘Espagne. Il a raison. Mais quel autre choix, dans la logique qui est la sienne ?
Les seuls qui trouvent leur compte à cette politique suicidaire sont les Indignés. Ce mouvement de protestation contre l’austérité imposée par les institutions européennes était parti d’Espagne. Mais il était, à ses débuts, gêné aux entournures de trouver en face de lui un gouvernement de gauche, celui de Zapatero. Maintenant que la même politique impopulaire est menée par la droite, dans ce mouvement où la sensibilité progressiste domine, les choses se remettent en ordre. Avec un gouvernement de droite, chacun est à sa place : ceux qui imposent la rigueur et ceux qui protestent !
En se concentrant sur l’économie, Rajoy avait voulu éviter de s’engager sur le terrain politiquement incorrect des questions de société ou de mémoire. Il a probablement pensé que le vent de l’histoire étant ce qu’il est, les réformes hasardeuses menées par les socialistes, comme le mariage homosexuel, ne sauraient être remises en cause, malgré les millions de personnes qui avaient manifesté contre et qui l’avaient porté au pouvoir.
Il n’est pour le moment pas question de revenir sur le mariage homosexuel, malgré le peu de succès qu’il rencontre. Cependant, un projet de loi récent tend à restreindre le droit à l’avortement (dans des proportions au demeurant très raisonnables) : l’Espagne était devenue le pays où il était le plus facile en Europe. Peut-être le sage Rajoy a-t-il compris que, contrairement aux apparences, il avait plus de chances de l’emporter sur ce terrain apparemment miné que sur celui de l’économie. Et que peut-être il touchait là, en termes de civilisation, un enjeu plus important que le sauvetage de l’euro, entreprise aujourd’hui sans espoir.
Photo : Wikimedia Commons / Partido Popular de Cataluna
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L'Argentine a bien dû supprimer la parité du peso avec le dollar en 2000. Depuis lors, son économie va beaucoup mieux. Tant que l'Espagne ne sort pas de l'Euro, Rajoy se heurtera à un mur...
Qu'est-ce qui rend si sage Rajoy ? En fait c'est le grand âge ! Le grand âge du corps électoral Espagnol. Et par extension le grand âge des corps électoraux européens.
Il faut comprendre par grand âge, une propension à l'inertie sénilisante. Les Européens ne réagissent plus au simple bon sens de par leur sénilisme rampant. Et peut-être en voudraient-ils à leurs élus de le faire... On en est là. Donc les politiques monétaires et économiques européennes se résument dans le meilleur de leur vitalité à une course à l'échalotte du sauvetage de la rente. Seule la ruine totale pourra sortir l'Europe de ses ornières.
Le dilemme de Rajoy risque d'être le plus coûteux pour l'Espagne (en principe, le même type de dilemme existe pour le Portugal et toute l'Europe du Sud élargie). Ce n'est plus l'heure des scrupules, mais de la sortie devant les ravages de cette structure européenne homogénéisante et délétère de la façon la plus silencieuse et pernicieuse qu'il soit. Comme le dit si bien Jacques Sapir dans un entretien sur ce même site, l'euro crée une crise majeure accrue. Cette situation est, en effet, dramatique, et sans la moindre issue de par la baisse de compétitivité que cette monnaie unique et inique induit inéxorablement. La cherté de l'euro tue les pays du Sud de l'"Europe" dont la France fait partie dans une grande proportion (et d'autres pays) en leur faisant perdre leur compétitivité. L'usure, désormais au pouvoir, achève tout le monde. L'actualité parle d'elle-même. L'on peut craindre le pire. C'est que les euros souchés en Europe du Nord vont acheter à très bas prix, bradés, les meilleurs actifs des pays du Sud de l'Europe pour "se rembourserr" d'autorité de leurs dettes au Sud de l'Europe. Et en plus, se procurer, in situ comme la cerise sur le gâteau, le soleil qu'ils n'ont pas chez eux. Déjà des îles grecques privées sont à vendre à prix cassés. C'est le commencement de la fin et de la vraie débine si les sociétés ne réagissent pas. C'est une vraie chute de la civilisation, sans un coup de feu, dans le "calme", la "paix" et la "démocratie". La domination non dite par la monnaie est plus efficace et puissante que toutes les autres formes de dominations.
Voir le commentaire en entierC'est une très grande souffrance que de voir les chrétiens, les catholiques, si peu réactifs devant le règne quasi absolu de l'usure qui, elle, peut venir à bout des peuples. Surtout quand les peuples ont une ignorance crasse sur les forces destructrices qui les atteignent et les terrassent. Les beaux discours démocratiques, de quelque couleur politique qu'ils soient n'ont plus aucune portée et nous assomment d'ennui devant les extrêmes urgences économiques et sociales, partant, urgences politiques de réforme financière que tout le monde attend mais qui ne viennent jamais, les élections devenant des pantomimes. Le politique a baissé pavillon et n'est intéressé que par la succulence des places à prendre. Ces politiques qui nous ont conduit aussi bas et dans la gène généralisée et accentuée où nous en arrivons, il n'y a rien à espérer d'eux. D'ailleurs les couleurs politiques n'en sont plus et sont complètement délavées jusqu'à être à présent indistinctes et complètement insipides. Les partis n'ont jamais été que les colifichets de la haute finance mondialisée à laquelle les "partis politiques", quels qu'ils soient, doivent obéir après chaque élection dirait-on.