Le soulèvement des peuples égyptiens et tunisiens peuvent paraître semblables dans leurs causes : la misère, l'usure du pouvoir, l'absence de libertés. Les circonstances sont pourtant différentes et les enjeux sans communes mesures.
L'Égypte est un pays de 80 millions d'habitants, la Tunisie en compte seulement un peu plus de 10 millions. À la différence de la Tunisie, les islamistes représentent en Égypte une force organisée.
Le pays connaît des troubles depuis des mois, bien avant que ne se déclenchent celles de Tunisie. Les émeutes tunisiennes et la fuite de Ben Ali n'ont fait que renforcer un mouvement qui inquiétait Américains et Israéliens depuis des mois.
Depuis les accords de Camp David (17 septembre 1978) suivis d'un traité entre Le Caire et Tel Aviv (1979), l'Égypte est devenu une des pièces centrales du dispositif américain dans la région comme l'avait été autrefois l'Iran du shah ou encore aujourd'hui la Turquie.
La menace islamiste
Si l'Égypte bascule, ce fragile équilibre sera remis en question. La totalité de la politique américaine dans la région devra être repensé. L'Égypte est un des très rares pays arabes à entretenir des relations diplomatiques avec Israël. Cette ouverture lui est vivement reprochée, par nombre de ses voisins et par les Frères musulmans, seul parti de l'opposition vraiment organisé.
Cette perspective explique probablement pourquoi le patriarche copte a pris fait et cause en faveur de Moubarak : prudence de sa part, mais aussi crainte assez fondée de voir les chrétiens encore plus menacés après les attentats subis ces derniers mois.
Car si les islamistes parviennent au pouvoir et ouvrent une porte sur Gaza pour y faire entrer massivement des armes, le blocus du territoire par les Israéliens devient impossible et l'option militaire lourde, la seule pratiquement possible pour Israël, avec toutes les conséquences que l'on peut imaginer.
Cette perspective explique t-elle la modération des propos israéliens et le silence iranien depuis le début des événements en Égypte ?
Dans les jours qui viennent, les Américains, avec ou sans Moubarak, vont donc tout faire pour préserver leurs intérêts et ceux d'Israël. L'actuel président qui a plus de quatre-vingts ans n'ayant pas pu imposer son fils Gamal (aujourd'hui à Londres), la diplomatie américaine cherche à gérer la transition en s'appuyant sur Omar Suleyman, un militaire proche d'eux, et nommé la semaine dernière vice-président par Moubarak.
Après un rapide aller et retour aux États-Unis, les généraux ont parlé samedi dernier dans un communiqué lu à la télévision d'État d'aspirations légitimes du grand peuple égyptien , et a assuré qu'elle ne recourra pas à la force contre une marche pacifique .
Désormais, toute la question est de savoir si l'armée va pouvoir contenir la rue et gérer la transition en évitant l'écueil islamiste, dont une large partie de l'opinion ne veut pas. Les Américains soutiennent les militaires. Ils n'ont guère d'autre choix. Mais c'est un pari risqué. L'histoire nous a appris ce que valent les transitions démocratiques en terre d'islam. Et à l'heure d'Internet, les chars ne suffisent plus à contrôler un peuple en colère. Déjà l'agitation gagne la Jordanie...
Sur ce sujet :
Egypte, le témoignage d'un missionnaire (Le Fil, 3 février)
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