Malgré l'intention initiale du législateur, l'encadrement du don d'ovocytes n'a pas empêché le développement de dérives que le rapport Leonetti sur la bioéthique vient de mettre en lumière.
Le don de gamètes consiste en l'apport par un tiers de spermatozoïdes ou d'ovocytes en vue d'une assistance médicale à la procréation. Il peut être mis en œuvre lorsqu'il existe un risque de transmission d'une maladie d'une particulière gravité à l'enfant ou à un membre du couple demandeur, lorsque les techniques de procréation assistée ne peuvent aboutir ou, depuis la loi du 6 août 2004, lorsque le couple, dûment informé, renonce à une procédure intraconjugale.
Un récent colloque organisé par l'Institut catholique de Rennes sous l'égide de Mgr Pierre d'Ornellas, responsable du groupe de travail sur la bioéthique au sein de la Conférence des évêques de France, a exploré avec précision les enjeux soulevés par cette problématique et ses conséquences sur la filiation [1].
Maternité éclatée
Nous ne relaterons pas ici la teneur des conférences qui y ont été entendues et qui seront prochainement publiées aux éditions Parole et Silence [2]. Disons simplement qu'en gommant la dimension génétique de la conception humaine, l'AMP avec tiers donneur ampute volontairement l'enfant d'une partie de son histoire et ne lui permet pas de s'inscrire dans une généalogie claire. Toute filiation est en effet le fruit de l'imbrication de deux dimensions : d'une part la dimension biologique liée aux patrimoines génétiques des parents dont l'enfant est issu, d'autre part la dimension affective, autrement dit l'amour parental, gage d'une croissance psychologique et physique sereine de l'enfant.
Dès 1987, l'instruction doctrinale Donum vitae avait anticipé de manière prophétique les conséquences délétères de ce mode de conception sur l'enfant à venir : la fécondation artificielle hétérologue prive l'enfant de la relation filiale à ses origines parentales et peut faire obstacle à la maturation de son identité personnelle (DV, II, A, 1) [3].
Ainsi, dans le don d'ovocyte, la maternité est éclatée entre la mère génétique qui fournit la cellule sexuelle et la mère gestationnelle qui sera la mère sociale et éducatrice de l'enfant. Le droit français interdit catégoriquement que la mère d'intention qui a donné son accord à une fécondation artificielle avec don d'ovocyte puisse intenter une action en désaveu de maternité de même que l'enfant ainsi conçu ne pourra contester ultérieurement son lien de filiation. En France, le don d'ovocytes est régi par le principe de gratuité (art. L. 1211-4 du code de la santé publique), une disposition qui découle elle-même du principe de non-patrimonialité du corps humain, de ses éléments et de ses produits, posé par l'article 16-1 du Code civil. Du fait de la pénibilité du recueil des ovocytes et des contraintes qu'il fait peser sur les femmes, l'Allemagne, l'Autriche, la Suisse et la Norvège autorisent le don de sperme mais prohibent le don d'ovocytes (l'Italie interdit tout don de gamètes).
D'après le dernier bilan de l'Agence de la biomédecine, 1296 femmes étaient en attente d'un don d'ovocytes au 31 décembre 2007 malgré une augmentation du nombre de ponctions, 247 en 2007 contre 168 en 2005. On estime qu'il manque au moins 700 donneuses par an dans notre pays [4]. Pour le docteur Hélène Letur-Konirsch, co-présidente du Groupe d'études des dons d'ovocytes (GEDO), ce déficit chronique d'ovocytes alimente en outre un tourisme procréatif florissant qui voit des centaines de couples français se rendre chaque année en Espagne, Grèce ou République Tchèque où les stocks d'ovocytes sont abondants (audition du 4 février 2009) [5]. Les donneuses y perçoivent en effet un dédommagement qui n'est pas négligeable en cas de difficultés financières.
Payer des donneuses plus jeunes ?
Dès lors, la pression exercée sur les députés est considérable pour qu'ils autorisent la rémunération des donneuses dans la prochaine législation. Le modèle espagnol où le barème d'indemnisation est fixé à 900 euros par ponction est le plus souvent cité. Le professeur René Frydman s'est ainsi déclaré favorable devant la mission parlementaire à l'instauration d'une indemnisation solidaire (audition du 3 février 2009). Son collègue, le professeur François Olivennes a proposé quant à lui le tarif de 800 euros pour lutter contre la pénurie d'ovocytes [6].
Même le président du Comité consultatif national d'éthique, Alain Grimfeld, semble s'être rallié à cette position : Comment à terme ne pas indemniser, sinon rémunérer, les donneuses d'ovocytes ? (audition du 4 novembre 2008). Pour ces personnalités, la remise en cause du principe de non commercialisation du corps humain n'a que des avantages. De l'autre côté des Pyrénées, ce sont en effet surtout des jeunes femmes qui se prêtent à des stimulations ovariennes, souvent pour financer leurs études. Or, la qualité des ovocytes en France est très médiocre en raison de l'âge avancé des donneuses compris entre 35 et 42 ans, plombant les résultats des fécondations in vitro [7]. En rémunérant le don d'ovocyte, on créerait un système attractif sur les jeunes Françaises, ce qui permettrait in fine d'améliorer l'efficacité des protocoles d'AMP. Le Conseil d'État a rejeté cette idée au nom du respect du principe de non-patrimonialité des produits du corps humain et parce qu'en matière d'éthique, malgré le déficit d'ovocytes, on ne peut admettre que nécessité fasse loi [8] . La mission parlementaire a également catégoriquement écarté l'idée d'une remise en cause du principe de gratuité.
Toujours dans l'optique d'optimiser l'efficience technique des procédures, d'autres suggèrent de revenir sur une seconde disposition de la loi qui veut que la donneuse ait déjà procréé. L'Agence de la biomédecine plaide ainsi pour la levée de la condition de procréation antérieure afin d'accroître la qualité biologique des ovocytes. Là encore, ouvrir le don d'ovocytes à des femmes nullipares permettrait d'abaisser sensiblement l'âge des donneuses. La sociologue Dominique Mehl a même proposé aux députés de prévoir l'extraction d'ovocytes chez des jeunes filles qui subissent une intervention chirurgicale (audition du 11 mars 2009).
L'outrance du propos a eu le mérite de rappeler certains arguments de bon sens qui ont conduit dans le passé le Parlement à écarter les femmes n'ayant jamais procréé à consentir à un don d'ovocyte. On n'oublie en effet que la technique d'hyperstimulation ovarienne et de ponction ovocytaire présente des risques médicaux de stérilité iatrogène pour la donneuse. Le docteur Jacqueline Mandelbaum a mis en garde les députés : Il ne serait pas du tout raisonnable d'autoriser le don par des femmes qui n'ont pas eu d'enfants, en dépit de tous les avantages qu'offrirait la disposition d'ovocytes de femmes de vingt ans : les taux de succès exploseraient ! Mais on ne peut pas négliger les risques, même faibles, que la ponction d'ovocytes et les traitements afférents font peser sur la fécondité de la donneuse (audition du 11 février 2009).
Sauf surprise de dernière minute, on peut penser que le législateur maintiendra les deux dispositions actuelles encadrant le don d'ovocytes. Pourtant, l'affaire n'est pas close. Sans approfondir la problématique éthique et anthropologique spécifique que soulève l'AMP avec tiers donneur, singulièrement la question de la levée de l'anonymat, nous voudrions mettre en lumière les dérives afférentes au don d'ovocytes qu'a révélées le travail d'auditions de la mission parlementaire.
Trafic d'ovocytes
La pénurie d'ovocytes a conduit l'ensemble des centres d'AMP à inciter les couples demandeurs à venir accompagnés d'une donneuse d'ovocytes, qui sera certes ponctionnée au profit d'un autre couple inconnu puisque le don dirigé est strictement interdit, mais dont la démarche bénéficiera en contrepartie au couple demandeur qui se verra attribuer un temps d'attente plus court. C'est ce qu'on appelle pudiquement la règle de la double liste ou du don croisé. Pourtant, l'article L. 1244-7 du code de la santé publique dispose que le bénéfice d'un don de gamètes ne peut en aucune manière être subordonné à la désignation par le couple receveur d'une personne ayant volontairement accepté de procéder à un tel don en faveur d'un couple tiers anonyme , la méconnaissance de cette disposition étant punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende (art. 511-13 du Code pénal).
Le docteur Patrick Fénichel a confirmé la mise en place de ce cercle vicieux devant les députés : En principe, la loi nous interdit de subordonner notre réponse à la présentation d'une donneuse, mais aucun des douze centres qui fonctionnent actuellement n'applique ce principe, car dans l'état actuel des choses, il est inapplicable ! Concrètement, nous informons les couples que ceux qui présentent une donneuse verront leur attente réduite (audition du 4 février 2009).
Au mépris de la loi, les équipes exercent donc en toute impunité un chantage sur les couples, ce procédé étant la condition sine qua non pour réduire des délais d'attente qui peuvent aller aujourd'hui jusqu'à 5 ans. Lors de l'examen du projet de loi relatif à la bioéthique en 2003, le ministre de la santé de l'époque avait été très ferme sur le rappel de cette règle qui veut que le bénéfice d'un don de gamètes ne puisse en aucune manière dépendre de la désignation par le couple demandeur d'un donneur. Jean-François Mattei s'était même engagé à demander à l'Agence de la biomédecine d'exercer une vigilance particulière sur ce point [9] . Celle-ci n'a tenu aucun compte de l'avis du gouvernement en interprétant la législation à sa convenance : elle a en effet préciser que la pratique de la double liste n'était pas véritablement contraire à la loi.
Or, parce que 92% des donneuses sont relationnelles , le rapport de la mission parlementaire fait pour la première fois état d'une rémunération occulte des donneuses d'ovocytes. Pour Ginette Guibert, gynécologue dans un centre d'AMP, il ne fait aucun doute qu'il existe aujourd'hui un trafic d'ovocytes en France du fait de l'existence de pressions inavouées entre donneuses et receveuses. Nous recevons des femmes qui sont les employées de celle qui a besoin d'ovocytes ou qui sont en tractation financières avec elle. Il existe réellement un phénomène de marchandisation et l'anonymat ne préserve absolument pas de cela (Rapport Leonetti, p. 103).
La rupture qu'entraînent les techniques de procréation artificielle, tant sur le plan scientifique qu'anthropologique, est telle que le législateur les a encadrées par des règles strictes [10] , affirme le Conseil d'État. Force est de reconnaître aujourd'hui que la transgression que constitue l'extraction des ovocytes hors du corps des femmes a généré des dérives qui ont résisté à tous les contrôles sensés les éviter.
A noter :
Les évêques de France relancent leur blog bioéthique. Désireux de poursuivre le dialogue initié dans le cadre des états généraux de bioéthique, les évêques réactivent le blog Bioéthique.catholique.fr à l'occasion de leur assemblée plénière de printemps.
[1] Mgr Pierre d'Ornellas (sous la présidence), Bioéthique et filiation, Institut catholique de Rennes, 15 mars 2010.
[2] Mgr Pierre d'Ornellas, Un fils nous est donné ; Père Thierry Avalle, professeur de philosophie au Collège des Bernardins, La filiation comme fondement premier de l'être-au-monde ; Sylvie Bagot, psychologue au Cecos de Rennes, Origine et filiation ; Docteur Alain Hirschauer, chef de service en soins palliatifs à Malestroit, Filiation, capacité affective et corporéité ; Mélina Douchy-Oudot, professeur de droit à la faculté de Toulon, Filiation et assistance médicale à la procréation : la réponse du droit ; Elisabeth Montfort, ancien député européen, L'homofiliation ; Aude Mirkovic, maître de conférences à la faculté de droit d'Evry, L'ouverture de la PMA en dehors des indications médicales : conséquences sur la filiation ; Docteur Philippe Anthonioz, professeur à la faculté de médecine de Tours, L'homme descend de l'homme ; Natalia Lopez Moratalla, professeur de biochimie et biologie moléculaire à l'Université de Navarre, Les problèmes en matière de filiation dans la pratique des diagnostics génétiques préimplantatoires, Docteur Dominique Le Lannou, directeur du Cecos de l'Ouest, L'anonymat du don de gamètes ; Mgr Jacques Suaudeau, directeur scientifique de l'Académie pontificale pour la Vie, Procréations artificielles et brouillage de la filiation ; Docteur Marie-Odile Rhétoré, membre de l'Académie de Médecine, Les maternités de substitution ; Anna Grabinski, docteur en droit Université de Rennes, La préservation de la fertilité et ses conséquences : les autoconservations en question ; Roberto Andorno, docteur en droit à l'Institut d'éthique biomédicale de l'Université de Zurich, La maîtrise technicienne de la descendance ; Pierre-Olivier Arduin, directeur de la commission bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon, L'assistance médicale à la procréation avec donneur : la réflexion du magistère catholique ; professeur Hervé Pasqua, directeur de l'Institut catholique de Rennes, Génération et production.
[3] Cardinal Joseph Ratzinger, Congrégation pour la doctrine de la foi, Instruction Donum vitae sur le respect de la vie humaine naissante et la dignité de la procréation, 22 février 1987.
[4] Agence de la biomédecine, Bilan des activités 2008, pp. 270-271.
[5] Mission d'information sur la révision des lois de bioéthique, Favoriser le progrès médical, respecter la dignité humaine, Rapport parlementaire n. 2235, tome 1, janvier 2010, pp. 91-104.
[6] Violaine de Montclos, Le grand bazar de la procréation, Le Point, 11 mars 2010.
[7] Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, La loi bioéthique de demain, tome 2, décembre 2008, p. 62.
[8] Conseil d'État, La révision des lois de bioéthique, La documentation française, mai 2009, pp. 55-56.
[9] Compte-rendu de la séance du Sénat du 10 novembre 2003.
[10] Conseil d'État, op.cit., p. 45.
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