Le concept de médecine régénératrice ou de thérapie cellulaire repose sur la découverte récente des cellules souches pluripotentes, ces cellules mères à l'origine des différents types cellulaires nécessaires à la bonne marche d'un organisme adulte. De nouvelles découvertes pourraient signer la fin de la recherche sur les cellules souche, et en tout état de cause sur les cellules souche embryonnaires.
Dotées de propriétés plastiques et prolifératives uniques, les cellules souches peuvent être greffées à des fins thérapeutiques pour réparer in situ des tissus ou organes endommagés. Pour cela, il suffit de parvenir à les cultiver et les différentier en lignées cellulaires spécialisées : hépatiques, cardiaques, cutanées, neuronales,... Il s'agit incontestablement d'un des secteurs les plus passionnants de la recherche biomédicale actuelle, à juste titre source d'espoir pour les médecins ayant en charge des malades souffrant de pathologies et lésions dégénératives.
Comme on le sait, la recherche internationale s'est dans un premier temps massivement orientée sur les cellules souches embryonnaires, ces cellules du miracle ou élixirs de jouvence dont on nous promettait monts et merveilles. Il a fallu rapidement déchanté. Aucun résultat significatif pour la science ou la médecine n'a pu être observé depuis les années 1990. Ces cellules ne souffrent pas seulement d'une accumulation de contre-performances rédhibitoires pour une éventuelle application clinique courante chez l'homme (instabilité, risque mutagène, mauvaise tolérance immunitaire,...), elles ont également été largement éclipsées par deux mini révolutions biologiques qui ont émaillé la jeune histoire des cellules souches.
Deux révolutions biologiques
La première – on a tendance à quelque peu l'oublier – c'est tout simplement la découverte de l'existence de cellules souches dites adultes, montrant des capacités insoupçonnées dans le pouvoir de générer des entités cellulaires différentes de leur tissu d'hébergement originel. La mise en évidence de cette propriété de différentiation pluripotente est venu briser un dogme qui n'avait jusqu'ici quasiment pas été remis en question : une cellule souche issue d'un tissu adulte ne peut donner naissance qu'à une cellule spécialisée composant ce tissu .
Au sein de ce vaste continent des cellules souches non embryonnaires, l'exemple le plus frappant de cette flexibilité est bien sûr celui des cellules issues du sang de cordon ou du cordon lui-même. L'Académie de médecine a confirmé dernièrement dans un rapport particulièrement éclairant les perspectives remarquables ouvertes par la découverte de ces cellules [1]. Plusieurs études internationales font même état d'essais cliniques probants chez l'homme. Le sénateur de Paris Marie-Thérèse Hermange a d'ores et déjà souhaité que le législateur tienne compte des recommandations de l'Académie en faisant du cordon ombilical un enjeu stratégique majeur pour permettre à la recherche française de se maintenir au plus haut niveau dans un contexte de forte concurrence internationale [2] .
La seconde révolution scientifique de ces dernières années – moins de cinq ans ! – est bien sûr la démonstration qu'il était possible de reprogrammer une cellule adulte en une cellule souche à pluripotente induite, dite iPS (induced pluripotent stem cells), en y introduisant des facteurs de dédifférenciation adéquats. L'idée est ensuite de redifférencier ces cellules souches induites en différentes catégories cellulaires spécialisées, ce que de nombreux labos dans le monde sont parvenus à réaliser, tout en améliorant sensiblement la technique de reprogrammation mise au point par le professeur japonais S.Yamanaka en 2006. Pour l'instant, la France n'a pas réussi à prendre le train en marche de la révolution scientifique des iPS, certainement en raison de l'orientation excessivement idéologique qui plombe les débats récurrents autour de la légalisation de la recherche sur l'embryon.
Vers la fin de l'étape cellule souche
Une troisième mini révolution dans le champ des sciences du vivant est peut-être sur le point de se produire. Le biologiste Albert Barrois en a fait mention à plusieurs reprises sur son blog indépendant sans que cela n'ait suscité le moindre écho dans la presse spécialisée [3]. Il rapporte une première étude parue dans la prestigieuse revue Nature montrant qu'une association de trois gènes bien choisis était capable de transformer des cellules adultes communes comme des fibroblastes en neurones fonctionnels [4]. Baptisées cellules iN en référence aux cellules iPS, ces neurones ont été capables de former des connexions synaptiques en l'espace de moins de cinq jours, et ce avec un taux de rendement de l'ordre de 20 %, très largement au-dessus de ceux obtenus avec les cellules iPS.
Comme le souligne Albert Barrois, la nouveauté de ces travaux menés par une équipe américaine de l'université de Stanford est qu'on n'a pas eu besoin de passer par la case cellule souche . À aucun moment en effet il n'a été nécessaire de reprogrammer le fibroblaste en cellule indifférenciée puis de forcer son destin vers la formation de cellules nerveuses. Il s'agit ici d'un processus de transdifférenciation directe permettant de passer d'une cellule spécialisée à une autre cellule spécialisée. L'idée est donc de garder le concept de médecine régénératrice sans recourir aux cellules souches.
Barrois fait état d'une seconde étude publiée dans la revue Cell qui vient confirmer la possibilité de court-circuiter l'étape cellule souche indifférenciée . En partant de la même hypothèse, une équipe de l'université de San Francisco est parvenue, en utilisant une autre combinaison de facteurs génétiques, à transformer des fibroblastes directement en cellules musculaires cardiaques, prénommées naturellement iCM . Les études réalisées chez la souris ont montré après leur greffe dans le cœur que ces cellules se comportaient spontanément comme des cellules contractiles cardiaques.
Un nouveau paradigme
Quelles leçons tirer de l'ensemble de ces découvertes ? On sait donc aujourd'hui qu'un organisme adulte comprend des cellules souches à flexibilité pluripotente dans chacun de ses tissus, l'exemple emblématique étant celui du cordon ombilical ; que même lorsqu'elles sont déjà spécialisées, il est loisible de les dédifférencier en cellules souches iPS avant de les reprogrammer en cellules d'un autre type ; enfin, qu'il est possible de passer directement d'un type cellulaire à l'autre par un processus de transdifférenciation.
Cette dernière découverte est sur le point de faire définitivement voler en éclat les références intellectuelles de l'ensemble de la biologie cellulaire. Nous sommes tout simplement en train de changer de paradigme comme disent les critiques des sciences. Évidemment, il n'a jamais été aussi inutile qu'aujourd'hui de faire de la recherche sur l'embryon. On peut même se demander si une recherche scientifique exclusivement consacrée aux cellules souches embryonnaires ne va pas constituer dans un proche avenir un handicap sévère dans la course au développement de thérapies cellulaires innovantes. Bref, nous avons tout à gagner à respecter le plus élémentaire principe d'éthique qui est la protection inconditionnelle de la vie humaine à son commencement.
Car les horizons dégagés par ces nouveaux travaux sont évidement extrêmement prometteurs pour la médecine régénératrice. Le fait de s'abstenir de passer par l'étape des cellules souches écarte théoriquement tout danger de prolifération cancéreuse. Ces cellules induites peuvent être par ailleurs issues directement de cellules adultes prélevées chez le malade lui-même, donc parfaitement compatibles sur le plan immunitaire. Elles pourraient avec les iPS dynamiser considérablement la recherche cognitive puisqu'elles constituent de parfaits outils de modélisation des pathologies humaines et de criblage moléculaire pour tester des médicaments, les deux seules justifications que s'obstine à avancer l'Agence de la biomédecine pour continuer à faire de l'embryon .
En complet décalage avec les progrès considérables de la biologie cellulaire observés depuis l'adoption de la loi de bioéthique de 2004, le gouvernement français souhaite assouplir le dispositif encadrant la recherche sur l'embryon et supprimer son caractère expérimental. Alors que les discussions au Parlement sont imminentes, le législateur pourra-t-il faire comme si rien ne s'était passé dans le champ des thérapies cellulaires ?
[1] Académie nationale de médecine, Les cellules souches du cordon et du placenta : de la recherche aux applications thérapeutiques, Rapport adopté le 26 janvier 2010 au nom du groupe de travail présidé par le professeur d'hématologie Jacques Caen.
[2] www.genethique.org, Sang de cordon, proposition de loi au sénat , 1er mars 2010.
[3] www.albertbarrois.blogspot.com, 27 janvier et 6 août 2010.
[4] T. Vierbuchen, A. Ostermeier, Z.P. Pang, Y. Kokubu, T. C. Südhof, M. Wernig. Direct conversion of fibroblasts to functional neurons by defined factors , Nature 463 (2010), 1035-1041.
[5] M. Ieda, J.-D. Fu, P. Delagado-Olguin, V. Vedantham, Y. Hayashi, B. G. Bruneau, D. Srivastava. "Direct reprogramming of fibroblasts into functional cardiomyocytes by defined factors", Cell 142 (2010), 3, 375-386.
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