Cette affaire hors norme n'atteint pas qu'un puissant de ce monde. Elle a blessé un très grand nombre de Français, partisans ou opposants de celui qu'ils voyaient déjà comme un possible Président. Nos compatriotes sont facilement prêts à – trop – pardonner les frasques privées de leurs hommes politiques. Sans remonter aux rois de France, depuis Pompidou ceux-ci les ont habitués à ne pas faire grand cas de leurs aventures amoureuses. Un seuil a pourtant été franchi. L'homme était au sommet de sa puissance et le voila menotté.
Le mot sidération a été employé à plusieurs reprises pour décrire l'état de choc de l'opinion. Ce terme initialement attribué à l'influence subite des astres sur la santé des personnes peut se définir comme l'anéantissement brusque des fonctions vitales (par électrocution, action de la foudre, hémorragie cérébrale, etc.). La sidération est une forme paroxysmique de dépression. Les psychanalystes le définissent comme un moment où le sujet est en quelque sorte happé par un trou noir. Ce qu'il voit, et la manière dont il voit ne font plus qu'un dans une espèce d'unité qui interdit toute forme de mise à distance.
Ce genre de traumatisme, à l'instar de ce qui s'était produit le 11 septembre 2001, empêche de réfléchir, de mettre à distance , puis laisse des traces dont les effets collatéraux peuvent changer durablement les comportements et le cours des événements.
L'impact psychologique du choc s'est immédiatement révélé dans le déni massif exprimé par l'opinion qui a tenté de disculper le directeur général du FMI en oscillant entre la thèse du complot et la maladie psychologique d'un compulsif sexuel. Mais la maladie ne suffisant pas à justifier un comportement criminel, elle a finalement majoritairement opté pour la thèse du complot comme le montre un sondage CSA du lundi 16 mai réalisé pour BFM TV, RMC et 20 minutes en France. Celle-ci, bien que théoriquement possible, est très peu probable compte tenu de l'homme et des circonstances.
Il faut une très grande force morale pour contempler l'inacceptable sans fuir ni se révolter. Une force morale qu'humainement nous n'avons pas toujours. Pour ceux qui ont la foi, c'est la raison pour laquelle un don du Saint-Esprit y est consacré : le don de science qui nous aide à voir le mal dans la lumière du bien et non dans notre révolte naturelle. À défaut, nous avons besoin de recourir à une explication acceptable .
Il est d'ailleurs significatif qu'une partie des médias et de la classe politique, allant de Christine Boutin qui a parlé de piège à Robert Badinter qui a accusé la police de New York en passant par Bernard Tapie et quelques autres, ait relayé la thèse du complot qui avait l'avantage d'absoudre DSK et de charger sa présumée victime. Ce déni est un moyen de défense immédiate contre la sidération. Il passera avec le temps ; mais le choc, lui, peut laisser des lésions souterraines dans la mémoire collective.
L'affaire DSK ne modifie pas le paysage politique titrait le Monde du 20 mai sur la base d'un sondage Ipsos. C'est possible, de manière provisoire, dans la mesure où ce paysage est largement médiatique. Mais dans la conscience des Français et dans le regard qu'ils portent sur les responsables politiques, il risque d'y avoir un avant et un après.
Les grands bouleversements politiques sont souvent venus après des scandales qui n'avaient rien de politique en eux-mêmes. L'affaire du collier précède de peu la révolution française et l'affaire Raspoutine, la révolution Russe. L'une et l'autre ont profondément déconsidéré la fonction souveraine. On peut y voir un effet du hasard. Je ne le crois pas et l'affaire DSK peut jouer un rôle analogue.
Les Français n'aiment guère leur classe politique mais la supportent. Un grand nombre déteste leur Président bling-bling mais respecte sa fonction. Or chez un peuple qui descend facilement dans la rue, la durée de cet état un peu schizophrénique n'est pas garantie. Dans la situation de fragilité de notre société, la paix sociale tient à une alchimie complexe dont tous les ressorts ne sont pas rationnels.
Beaucoup de Français ont été individuellement blessés par l'image de cet homme si puissant devenu soudain si misérable. Le mot n'est plus de mode mais, à travers DSK, ils ont été atteints dans leur honneur. Quels ressorts ont été brisés dans ce peuple si prompt à bloquer les chemins de fer et à manifester ? Aujourd'hui, il se tait et cherche une explication ; mais demain ? Rien ne serait pire qu'un procès bâclé. La lumière doit être faite. DSK plaide non coupable. Souhaitons-lui, si c'est vrai, de le prouver. Si c'est faux, 75 ans de prison comme le prévoit la loi américaine ce n'est pas trop pour l'honneur de la France et pour une femme victime d'un homme, fut-il malade.
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