Andrei Filipov, un grand chef d'orchestre, a été limogé sous Brejnev pour avoir voulu garder dans l'orchestre du Bolchoï qu'il dirigeait son ami Sacha et sa femme Léa, suspects aux yeux du régime soviétique. Pour gagner sa vie il est resté au Bolchoï, mais comme technicien de surface ... Il apprend, par un fax arrivé en l'absence de son destinataire que le théâtre du Chatelet, à la suite d'une défection, cherche d'urgence à faire venir le Bolchoï à Paris...
Andrei, joué par le merveilleux acteur et producteur russe Aleksei Guskov (photo) va alors saisir sa chance. En trois jours il va réunir, en une folle équipée au cœur de Moscou, ses anciens musiciens qui vivent de petits boulots et les persuader de le suivre à Paris. Tsiganes, déclassés de toutes origines affublés d'invraisemblables vêtements et de bagages colorés et hétéroclites, ils vont débarquer à Roissy sous l'œil effaré de leur contact parisien. Un ancien apparatchik qui fait partie de la troupe a négocié pour eux trois jours tous frais payés dans la capitale. Les musiciens, ivres de joie, font une fête ininterrompue avec leur cachet payé d'avance.
Andrei, lui n'a qu'un désir : voir la jeune et célèbre artiste française qu'il a choisie comme violon solo. Mais lorsqu'il réalise enfin son rêve : dîner avec elle en tête à tête, il est si ému qu'il boit plus que de raison. Il lui raconte alors et le concert interrompu, et le triste sort de Léa qui, enfermée au Goulag, devenue folle, rejouait inlassablement, de ses bras vides d'instrument, jusqu'à sa mort, le concerto de Tchaïkovski... La jeune fille, effrayée, refuse alors de jouer. Elle n'est pas Léa et refuse d'endosser le rôle de la folle, de la morte...
Pourquoi revient-elle sur sa décision ? Comment la troupe en folie arrive-t-elle à rejoindre la salle de concert ? Le concert sera-t-il celui qui réparera le drame d'alors ?
Ne pas le dire est préférable. Pour que vous alliez, vous aussi, au concert .
Dissidence
Les Grecs de l'Athènes antique liaient mouziki et politiki , les choses de l'art et celles de la politique. Ce film, tout en touches légères mais en émotions poignantes, illustre à merveille le propos. En recevant au festival de Montréal le prestigieux Grand Prix des Amériques pour son premier film, Mihaileanu l'avait dédié à ses parents dont l'histoire est très proche de celle-ci , celle d'un écrivain dissident, qui, pour sortir de prison, pactise avec le diable et doit à ses collaborations avec le régime dictatorial en place de pouvoir continuer et sa vie et son art.
De fait son père, Mordechaï Buchman, journaliste roumain d'origine juive, déporté en camp de travail par les nazis, changea de nom après la guerre et se fit une place en Roumanie sous Ceausescu. C'est tout cela que Radu Mihaileanu voulut oublier en venant suivre des cours de cinéma en France il y a trente ans... Mais ce passé lui colle à l'âme, et comme dans Va, vis et deviens, son précédent film (2004), ses personnages luttent en se jouant d'elle par des subterfuges contre une Histoire qui les détruit.
La beauté de ce film vient de ce que la grande maîtrise de Mihaileanu – élève et collaborateur du cinéaste Marco Ferreri – a rencontré l'immense talent de l'acteur principal, Aleksei Guskov, et du duo qu'ont pu former ces deux personnalités hors norme. Aleksei Guskov dit de Radu Mihaileanu lors d'une interview parue sur leblogducinema.com :
C'est une qualité très rare d'être un dictateur — car sur le plateau, c'est est un dictateur absolu – et en même temps de savoir prendre en considération les faiblesses des gens, savoir les atténuer, savoir expliquer son propre autoritarisme, son perfectionnisme. [...] Et je resterai très reconnaissant envers Radu [...]. Sa façon de se comporter... vous inspire. Il ne s'épargne pas lui-même, alors on a envie de faire aussi quelque chose d'extraordinaire.
Et d'ajouter : J'ai de la chance dans mes rencontres.[...] Car Dieu nous offre des cadeaux. Soit nous ne les remarquons pas, soit nous les acceptons. Soit nous sommes prêts, soit nous ne sommes pas prêts à les recevoir. Mais Dieu en offre toujours.
Il note aussi avec humour quand on lui demande, dans la même interview, s'il est l'acteur favori de Vladimir Poutine : Je n'en sais rien. Il faut le lui demander. Ce sont des rumeurs lancées après ma réception du Prix d'État pour le film Le Roman de la taïga. Renata Litvinova, avec son humour et sa spontanéité, a fait un commentaire : "À partir de maintenant tout va bien pour Guskov, vous avez vu comment Poutine a souri quand il s'est approché de lui ?"
Et il ajoute finement, en homme averti des charmes et des dangers de la politique : Mais comme Vladimir Vladimirovitch est notre Premier ministre, et que notre pays reste quand même très "byzantin", s'il accorde une certaine attention à mes projets et en fait un commentaire favorable, cela m'aidera dans mon travail. On peut toujours espérer.
Il est probable qu'il sera en tout cas, très bientôt, l'acteur russe préféré des Français.
Film de Radu Mihaileanu Le Concert, avec l'acteur et producteur Aleksei Guskov
(photo supra) dans le rôle titre.
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