PARIS Unesco, [DECRYPTAGE/analyse] - Les premières assises de l'Enseignement catholique du XXIe siècle s'inscrivent dans le sillage des précédentes qui, en 1993, appelaient " à donner du Sens à l'école pour que l'école donne du sens à la Vie ", rapporte fidèlement, majuscules comprises, Paul Malartre, nouveau Secrétaire général de l'Enseignement catholique.
1993 : un an après la promulgation des nouveaux statuts de l'enseignement catholique, les accords Cloupet-Lang, bradant la formation des maîtres aux IUFM de l'État pour le plat de lentilles de la retraite des enseignants, prétendaient fonder la paix scolaire par le compromis historique entre l'Église et le pouvoir socialiste. L'échec de l'amendement de la loi Falloux en 1995 pouvait dès lors être interprété comme la volonté de l'Enseignement catholique de ne pas fragiliser l'équilibre global des deux composantes - publique et privée - du système éducatif. Deux erreurs stratégiques graves à l'origine de la satellisation de l'Enseignement catholique autour de la planète Éducation nationale : elles hypothèquent gravement le présent de l'institution.
L'analyse des mutations sociales et culturelles qui avait préludé aux assises de 1993, confirmée l'année d'après par le rapport de Mgr Dagens (Proposer la foi dans le monde d'aujourd'hui) portait diagnostic de la crise générale du système éducatif à laquelle l'Enseignement catholique entendait répondre, comme partie prenante du service public d'enseignement, par l'appel au "sens" et la proposition des valeurs évangéliques. Les Assises de 2001 approfondissent ce sillon. Paul Malartre confirme : "Notre projet éducatif n'est pas neutre : il doit donner une vision chrétienne de l'homme" (Valeurs Actuelles, 30 nov. 2001). Se référant au jubilé, il estime nécessaire que l'Enseignement catholique saisisse "cette occasion exceptionnelle pour approfondir le sens de sa présence au coeur du système éducatif français... avec la volonté d'être fidèle à sa source inépuisable, l'Evangile, et à tous ses fondateurs et fondatrices qui, par des réponses audacieuses, ont su relever des défis éducatifs nouveaux".
" Nous ne croyons pas aux directives venues d'en-haut "
En ces temps de déroute éducative, dénoncée à tout va par les acteurs mêmes du système qui voudraient s'absoudre de leur responsabilité par les vertus de l'autoflagellation, on trouve un ton nouveau, éloigné de cette complaisance empressée pour toute sentence tombant du magistère ministériel de la rue de Grenelle, qui signifiait sans doute que l'enseignement privé (de liberté) n'avait tout de même pas oublié le sens très catholique de la hiérarchie. Faut-il y voir les prémices d'une revendication de liberté plus grande ? Paul Malartre note "que les réformes de l'Education nationale, malgré leur cohérence et les germes de changement qu'elles portent en elles, ne suffisent plus à résoudre les problèmes de l'école" (document de présentation des Assises, " L'établissement dans l'Enseignement catholique "); il ajoute : "Nous ne croyons pas aux directives venues d'en-haut" (La Croix, 30 nov. 2001). Et pour manifester cette volonté de dégager pour l'institution de nouvelles marges de liberté, il prend une position très ferme sur le maintien des classes de 4ème et 3ème technologiques que le ministère voudrait fermer. "Non seulement ce n'est pas le moment de le faire , mais il s'agit au contraire de multiplier les approches pédagogiques diversifiées. Les difficultés de notre système éducatif, surtout en collège, viennent de la volonté de faire passer tout le monde par le même moule... Vouloir fermer ces classes ne relève pas seulement de l'erreur mais de la faute" (La Croix, 30 nov. 2001).
La charge contre le collège unique n'est plus vraiment hérétique, il est vrai, depuis que Jean-Luc Mélenchon l'a soutenue face au mammouth, mais d'autres propositions appuient ce discours combatif, concernant l'enseignement professionnel et agricole, qui doit être perçu comme une vraie formation et non pas comme une filière de relégation, ou les internats qui "ont été inventés par les congrégations religieuses et sont recherchés parce qu'ils sont synonymes d'encadrement et de sérieux" (Valeurs actuelles) ; concernant également l'annualisation des programmes et des horaires (La Croix), le tutorat, le monitorat ou la généralisation des projets d'établissement.
Il suggère aussi la création d'observatoires mis en place aux niveaux national et régional pour évaluer les besoins dans les domaines social, pédagogique et pastoral, pour faciliter la mise en réseau des établissements et la nécessaire mutualisation de leurs ressources dans les régions en difficulté démographique. "Il s'agit d'articuler plus efficacement les orientations nationales avec la responsabilité et les initiatives de tous les acteurs au plan local" (document de présentation des Assises). Il rappelle enfin, à propos de la formation nécessaire des acteurs éducatifs, "qu'aucune éducation à la responsabilité n'est possible si les éducateurs ne sont pas en situation de responsabilité": il pointe ainsi le vice qui est devenu la raison sociale du mammouth.
Tentation bureaucratique
Mais cette velléité d'autonomie ne va pas jusqu'à la revendication d'une pleine liberté scolaire. "En raison de notre association à l'Etat, nous avons des obligations envers lui, en particulier en matière de respect des programmes", dit Paul Malartre, qui estime que la liberté scolaire "consiste à bien marquer nos différences sans être en porte-à-faux avec l'Etat" (Valeurs actuelles). On peut se demander si la mise en réseau évoquée plus haut ne va pas contribuer à consolider la structure déjà lourde qui a transformé de la manière la plus illégitime les directions diocésaines en inspections académiques-bis, en charge des établissements sous contrat, et l'Enseignement catholique en ministère-bis.
Faut-il rappeler que la loi Debré reconnaît le chef d'établissement comme unique interlocuteur pour la signature du contrat et que dès lors, les pouvoirs que se sont arrogés les directions diocésaines ou le comité national de l'Enseignement catholique dans la gestion nationale des contrats d'association sont usurpés ? Cet état de fait est d'autant plus dommageable qu'il va au rebours de toute la tradition de l'Église en matière d'enseignement, étrangère à toute centralisation et fondée sur les charismes particuliers d'une multitude de congrégations qui s'adaptaient aux terrains les plus variés. Voilà l'un des effets pervers de l'application de la loi Debré.
L'épreuve de vérité reste pour l'école catholique la façon dont elle s'acquitte de sa mission d'évangélisation. "Ces assises, dit Paul Malartre, montrent que nous nous libérons d'une certaine timidité. Il s'agit... de ne pas avoir peur de dire notre identité : être une école associée au service public d'éducation et en mission d'Église." Cela doit amener l'école catholique à distinguer nettement, pour mieux les unir, les domaines de la formation civique, de la culture religieuse et de la pastorale. Les larmes de crocodiles de certain ministre de l'Éducation nationale sur l'analphabétisme religieux qui rendrait inapte à la citoyenneté ont quelque chose de jubilatoire : il faudra toute la pédagogie de Régis Debray après conversion définitive pour convaincre MM. Jospin, Lang et consorts que sans le christianisme, la République devient illisible. Et c'est l'enjeu du débat sur la culture religieuse, cette appréhension laïque des religions, pleinement justifiée dans l'enseignement public.
Culture religieuse ou sainteté ?
Mais cette approche réductrice est un piège grave pour l'école catholique si elle n'est pas doublée par une pédagogie de la foi. Il est de première urgence de reconstruire une culture chrétienne en prise sur la modernité, et la mission de l'école catholique postule qu'elle en prenne les moyens en développant, dans le cadre de nouveaux espaces de liberté, des programmes originaux ; l'histoire de l'Église devrait y être enseignée comme la doctrine sociale servir de canevas à la réflexion sociologique ou philosophique, les Pères de l'Église à l'étude du latin et du grec, ou les grands auteurs chrétiens de notre littérature privilégiés en lettres.
Nous avons cette culture à partager avec l'école de la République : en commun nous avons la pédagogie du beau comme ouverture et propédeutique au mystère. Soljénitsyne remarquait dans son discours de Stockholm que des trois branches de l'être - le bon, le vrai, le beau -, la modernité avait détruit les deux premières et qu'il appartient désormais à la beauté d'assumer toute la sève du tronc pour le revivifier. Mais la vision patrimoniale et passéiste - ah! le devoir de mémoire ! - qui est celle du ministère ne peut être celle de l'école catholique, tournée vers la vie et ouverte à la dimension métaphysique.
C'est pourquoi l'insistance sur l'interreligieux (doc. I et III de préparation des assises) peut apparaître comme un aiguillage dangereux, menant à tous les syncrétismes dont l'époque est friande au nom du culte de la déesse Tolérance... À nous faire regretter Jules Ferry ! On pourrait n'y voir qu'une concession au politiquement correct, mais si Paul Malartre précise qu'il n'est pas question d'organiser un libre-service des religions en vertu de "la mission que l'Église nous confie [qui] est d'être un lieu d'éducation qui parle de Jésus-Christ" (Famille chrétienne, 1-7 déc. 2001 ), il faut bien constater que l'esprit du siècle est devenu maître de l'institution ; nulle part n'est rappelé que tout éducateur chrétien entreprend de guider ses élèves vers l'unique fin dernière de l'homme, la sainteté.
On touche là aux limites de la démarche de l'Enseignement catholique. Si nécessaire soit son ressourcement - et nous devons saluer tous les efforts réalisés par ses membres au service de l'évangélisation - il restera insuffisant. Il correspond à la demande de masse d'un enseignement d'inspiration chrétienne, handicapé par une lecture étroite du principe de laïcité auquel l'assujettit la loi Debré, mais la demande de l'Église va très au-delà. Cette sainteté posée par les papes du XXe siècle comme fin ultime de l'éducation, exige des établissements où la mission d'éducation est soutenue par la prière et la vie sacramentelle de la communauté éducative. Paul Malartre observe que " la demande d'éducation à la foi est minoritaire, mais forte " (Famille chrétienne). Elle justifie donc pleinement, dans le cadre du pluralisme, l'existence dans chaque diocèse d'écoles - pourquoi pas une "école cathédrale" ? - qui offriraient à la fois une formation générale et une formation chrétienne de haut niveau.
L'Église doit avoir maintenant le courage de susciter des initiatives, éventuellement hors système, pour dégager ces nouvelles marges de liberté qui profiteront à l'ensemble du système éducatif, public compris. Elle doit redevenir la championne de la liberté scolaire. C'est pourquoi il faut soutenir sans réserve la démarche de l'Enseignement catholique et l'appel au sens et à l'espérance renouvelé par Paul Malartre pour qu'ils portent tous leurs fruits. Et en même temps, rester attentifs à la mise en oeuvre d'une vraie liberté scolaire, aujourd'hui ignorée de nos concitoyens à cause de l'ersatz qu'en représente l'Enseignement catholique, et dont les critères doivent être l'autonomie en matière de financement et de gestion dans le cadre de "l'entreprise d'éducation" qu'est tout établissement, de pédagogie, et en dernier lieu, la liberté spirituelle de l'école.
Emmanuel Tranchant est chef d'établissement catholique.
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