Nos coups de coeur
Nous connaissions Louis XIV amateur d'art, mécène, mélomane, spectateur averti. Nous devinions à quel point l'art était une passion pour lui. Tant d'œuvres portent sa marque : la personnalité du Roi éclate dans les ballets de Lully, les statues et les bâtiments de Versailles, le mystère du Prince se décèle dans les comédies de Molière ou les jardins de Lenôtre.
Mais un tel rayonnement ne peut s'expliquer par une simple passion. Philippe Beaussant nous en livre les clés. Le Roi a fait de son règne un bouquet d'œuvres d'art parce qu'il était artiste lui-même. Excellent artiste. Dans les ballets de Lully, il dansera longtemps les rôles principaux occupés plus tard par des professionnels. C'est lui aussi qui donnera un avis éclairé sur la sélection des chanteurs de la chapelle royale. Mieux connue, sa connaissance de l'architecture lui donna de percevoir avec finesse l'équilibre général d'un bâtiment, de choisir lui-même le dessin des fenêtres, allant jusqu'à faire abattre la première construction du grand Trianon qui ne le satisfaisait pas. Le détail qui cloche ne résiste jamais à l'œil du Prince. Ainsi naquit le classique français, mélange subtil d'ordre et de fantaisie, purifié par le goût d'un homme sans cesse soumis aux assauts de l'histoire.Deuxième clé expliquant l'attachement artistique de Louis XIV : l'identification de sa personne à sa fonction. Depuis son avènement, ce n'est plus Louis, c'est le roi qui est à l'œuvre. Ainsi, une disposition personnelle devient un attribut royal et l'art doit contribuer à l'édification de la royauté. D'où les sujets choisis par Louis XIV pour les œuvres qu'il commande. Empruntés le plus souvent à la mythologie, ils exaltent la fonction royale pour construire le " Roi Soleil ". Quand l'art se fait politique, c'est la politique qui se fait subtile et foudroyante : Beaussant raconte comment Louis distille disgrâces et compliments à travers les œuvres qu'il soutient ou comment le prince dramaturge met en scène une décision politique lourde de conséquence. Le témoignage est du père Raulin, confesseur du prince : " Le roi s'approcha de [nous] deux et nous parla de comédie qu'il avait en tête et parla tout haut à M. de Villequier, puis comme en riant s'approcha de son oreille (ce fut le moment de son commandement) s'en retira tout aussitôt, et comme s'il l'eût entretenu de comédie : " Surtout, dit-il, qu'il n'y ait personne sur le théâtre !" " Plus tard, pendant la messe, " M. de Villequier lui vint rendre compte tout bas à l'oreille, et comme j'étais seul ce jour-là auprès du roi, il se tourna vers moi et me dit : "C'est que j'arrête le cardinal de Retz" ". Ce petit prince qui danse et joue de la guitare avait le sens du secret et de la mise en scène. On l'imagine fort bien, théâtral, lorsqu'il jette sa canne par la fenêtre pour ne pas frapper Lauzun, l'impertinent. Pour réussir un grand effet de scène, rappelle Beaussant, il faut quatre choses : l'effet de contraste, d'où naît la surprise ; la rapidité dans le changement ; la rapidité de l'effet ; le mot qui fait mouche. Louis n'a pas son pareil pour " aménager le calme qui précède " et porter l'estocade. Qu'on se souvienne de l'annonce de sa prise du pouvoir aux ducs et aux ministres d'État racontée par Loménie de Brienne : " La précision de la scène est admirable : tout est calculé et efficace. Du très grand art. "Dernier trait attachant de la personnalité de ce roi artiste, sa familiarité avec ses " pairs ", créateurs ou interprètes. Racine aura ses entrées dans la chambre du roi jusqu'à sa mort. Molière aussi, quoique moins longtemps. Bien d'autres connaîtront avec le roi une intimité qui donnera naissance à de grandes œuvres. Aurait-elle existé cette familiarité singulière si le roi lui-même n'avait été artiste ?BÉNÉDICTE ALIXArticle paru dans "Liberté Politique" N°2