Nos coups de coeur
La réédition des grands romans de Huysmans (1848-1907) est toujours un événement pour les amateurs de littérature. Elle devrait l'être aussi pour les chrétiens.Huysmans sait, plus que nul autre, peindre l'âme chrétienne qui hésite, qui tâtonne dans le vrombissement du monde, qui peine à discerner la volonté du Père à laquelle elle aspire à se conformer.
Comme le note Paul Valéry dans la préface du livre, " l'écoulement des phrases ressemble de si près à celui de nos idées que l'inévitable choix [parmi les formes amenées par la pensée], le travail fécond [de l'écrivain], devient imperceptible et laisse le lecteur croire qu'il pense, cependant qu'il lit. Et cette imitation arrive à son but, à son comble, lorsque le lecteur, qui a retrouvé là un monologue intime analogue au sien [...], trouve tout à coup qu'il a dépassé quelque chose, qu'il contient déjà une idée non familière, qu'il a bu par surprise une émotion inconnue et qui s'agite [...] ". On ne peut mieux dire le génie de cet auteur qui, au long de cinq livres pourtant fort différents dans leur facture, entraîne son lecteur à la suite de sa conversion.Huysmans rompt avec la discipline de Zola en publiant, en 1884, son À Rebours où un esthète dégénéré, des Esseintes, se réfugie, pour fuir son propre écœurement, parmi les œuvres les plus hautes que l'art a produites et qu'il a amassées dans une maison retirée. Dans ce bric-à-brac de la Beauté, dont la vaste peinture constitue le roman, les œuvres de l'Église ont trouvé ingénument la première place.À des Esseintes succède une autre figure, moins outrée dans sa décadence, d'une psychologie plus fine, Durtal. Quatre romans tracent son itinéraire. Son attirance pour le Moyen ge, son goût du bizarre et du fantastique, conduisent Durtal, dans Là-Bas, àfréquenter les cercles sataniques contemporains — mais il se révolte devant leur bassesse et leur puérilité, pour se tourner vers l'Église. En Route l'envoie à la Trappe. C'est la conversion, le grand chambardement de l'âme, dans le calme extérieur de l'abbaye silencieuse. Avec la Cathédrale Durtal se pose à Chartres dont il scrute, avec une science formidable, le symbolisme. Désormais chrétien, il cherche sa voie à l'ombre d'une église pleine de sens. Ici les poèmes en prose dont sont faits les romans de Huysmans, atteignent leur sommet. La Cathédrale est une débauche de tableaux magnifiques, très précis et traversés de visions étourdissantes. L'Oblat clôt le cycle sans résoudre la question du chemin à suivre, de la vocation. Dans cet hymne à la liturgie, sans pareil dans tout ce qui a été écrit, Durtal est reçu comme oblat de Saint-Benoît, mais la loi sur les congrégations force à l'exil sa communauté et le renvoie, seul, à Paris, sans objet.Pour la première fois, les quatre romans du cycle de Durtal sont publiés en un volume. En guise de préface, un article de Paul Valéry propose une analyse très pertinente de leur originalité littéraire. Mais Valéry, si perspicace à suivre les états psychologiques, était impénétrable aux choses spirituelles, devenu obtus à force de scepticisme. (Qu'on se souvienne de ses articles sur Bossuet et Baudelaire dans Variété II.) Aussi son propos ne saisit-il pas le véritable enjeu du Roman de Durtal : la séduction d'une âme esthète par l'Église et le cheminement d'une conversion difficile.On regrette que cette édition ne donne pas la traduction de tous les textes latins cités ni un lexique des termes rares que Huysmans affectionnait. Ces aides sont indispensables aujourd'hui pour pénétrer un tel auteur. À quand donc la Pléiade ?G. DE L.Article paru dans "Liberté politique" N°1