Nos coups de coeur
J'appartiens à une génération de chercheurs de Dieu. C'est ainsi que Matthieu Grimpret, 22 ans, ancien élève de science-po Paris, salue la révolution qui gagne notre monde à l'aube du XXIe siècle.
Dans un essai fulgurant qui tient aussi bien du témoignage personnel que de la sociologie religieuse, il dresse le portrait d'une génération de catholiques, heureux de l'être et sans complexe. La nouveauté de ce livre est là : pour la première fois depuis longtemps, la réalité de l'Église n'est plus présentée à travers le prisme déformant des grilles de lecture des années 70, dont la plupart des chroniqueurs religieux ne savent toujours pas se défaire, par parti pris idéologique ou tout simplement par ignorance. En outre, derrière l'enthousiasme reconnu volontiers à la " génération JMJ " mais qui peut se révéler superficiel ou éphémère, Grimpret manifeste une maturité précoce qui est peut être le signe d'une nouvelle étape de cette nouvelle évangélisation que les papes de l'après-concile ont tous appelé de leurs vœux. Génération JMJAprès la génération des enfants gâtés de 68, on assiste aujourd'hui à l'émergence d'une nouvelle jeunesse, éprise d'absolu et de retour à Dieu. C'est la génération du fils prodigue, succédant à la " génération égarée ". L'absence de Dieu " s'est révélée si cruelle et si désastreuse que le monde ne la supporte plus. Le temps des fils prodigues est là. Ils viennent ou reviennent par milliers vers leur Père du ciel " (p. 26). Soulignant l'actualité de la parabole (Luc, 15, 11-32), Grimpret commente le texte. Ce qui a perdu le fils prodigue, ce n'est pas tant l'absence de morale que l'absence d'amour. " Les fils prodigues que nous sommes oublient qu'ils ont un père au ciel qui les aime plus que tout. Ils oublient l'amour de Dieu et c'est pourquoi leur manière de vivre est immorale. Il est vain d'indiquer à quelqu'un des normes de comportement si on ne 1'invite pas d'abord à chercher, à connaître, à vivre l'amour de Dieu. " C'est pourquoi la révolution de Dieu est avant tout une révolution de l'amour, elle " consiste à ancrer dans le cœur de chaque homme la certitude qu'il est aimé personnellement de Lui. "L'auteur évoque ainsi sa participation personnelle à la messe pontificale à Reims en 1996 et aux JMJ à Paris en 1997. Il témoigne du puissant renouveau spirituel initié par les grands rassemblements et les pélerinages initiés par Jean-Paul II. Il analyse aussi avec beaucoup de lucidité et de liberté les débats et polémiques nés autour de l'actuel pontificat : le schisme avec les lefebvristes, la morale sexuelle, la question de l'avortement, la repentance. Il exprime avec des mots simples, sans embarras, les convictions d'un jeune catholique qui aime le Christ et son Église.La seconde partie du livre est consacrée à la nouvelle Pentecôte spirituelle, la révolution dans le cœur de l'Église portée par le concile Vatican II. Parmi les fruits du Concile, Matthieu Grimpret souligne l'importance majeure jouée par le renouveau charismatique et les communautés nouvelles. " Le renouveau charismatique, c'est le mariage de la joie et de la radicalité. " Toute la force du renouveau charismatique et plus largement du renouveau spirituel dans l'Église, tient dans sa capacité à unir ces deux qualités. L'auteur est d'autant plus crédible dans son plaidoyer qu'il ne prêche pour aucune paroisse charismatique : issu lui-même d'un catholicisme plutôt traditionnel, il montre la fécondité du renouveau charismatique dans les nouvelles générations de baptisés, celles qui ont su saisir le meilleur d'un renouvellement spirituel sans trahir le dépôt de la foi ni s'accrocher à de vains combats d'arrière garde. Si les communautés nouvelles attirent et suscitent tant de vocations, c'est qu'elle rayonnent de cette joie d'aimer tout en pratiquant l'Évangile sans concession, avec la ferveur des premiers chrétiens. Cette analyse est celle des jeunes de la " génération JMJ ", elle-même fille sans le savoir de la première vague de la " génération Jean-Paul II ", celle qui se révéla à Compostelle, la première JMJ " hors les murs ". En lisant la Révolution de Dieu, on comprend que la relève est assurée. Le réveil civique du peuple de la foiLa troisième et dernière partie du livre mérite une attention toute particulière. Elle révèle pleinement la sagesse et le talent de son jeune auteur. Mieux, elle prouve que la nouvelle évangélisation amorce dans les esprits un approfondissement proprement civilisateur. Matthieu Grimpret y traite de la seconde nouvelle Pentecôte, la nouvelle Pentecôte politique ou la révolution de Dieu dans la cité. Tirant les leçons du concile, il montre qu'il ne peut y avoir de nouvelle évangélisation sans engagement des chrétiens au service de la cité. " Loin d'être l'établissement d'un État chrétien, la nouvelle Pentecôte politique, la révolution de Dieu dans la cité, se conçoit comme le réveil civique du peuple de la foi, l'émergence d'une force politique nouvelle. "La mission politique des chrétiens ne consiste pas tant à rétablir une société aux structures chrétiennes, qu'à construire au sein de la société un espace de liberté indispensable à une pratique religieuse authentique qui élève l'homme, et qui, le rapprochant du Créateur, sanctifie la société elle-même et change l'homme. En ce sens, le pluralisme religieux — si mal compris — n'est pas à redouter, pas plus que la coopération avec des incroyants. Le prix à payer est cher : il faut être des saints... et des saints vigilants. Ce qui est intolérable aux yeux des chrétiens, c'est la violation des consciences et des libertés " par la promotion de contre-valeurs ou par des lois immorales ". En effet, " rien de ce que produit la société ne doit empêcher la communion d'une âme avec son Seigneur. C'est là la véritable signification de la liberté religieuse et toute la mission politique des chrétiens pour les années à venir ".En bref, le réveil social des chrétiens consiste essentiellement dans le dessein politique d'une réforme des mœurs ou dans ce que Jean-Paul II appelle la " civilisation de l'amour ". Cette perspective n'est pas sans risque. La tentation est grande de réduire le discours social de l'Église à une opinion privée. Ce réflexe schizophrène est un effet du laïcisme français : le souci de réussir politiquement se cherche des alibis pour faire accepter son message au point d'abandonner l'essentiel. Mais la tentation peut être aussi de se réfugier dans l'espoir improbable d'une chrétienté modèle XIIIe siècle, censée résoudre tous les problèmes, ce que Grimpret appelle le " syndrome de l'assiégé ". On sait qu'une part sensible de la frange conservatrice du catholicisme français a pu se croire représentée par le parti de l'ordre et de la rigueur morale, le Front national. Cette séduction toute maurrassienne est un leurre : il ne suffit pas de disposer d'un programme et d'une stratégie de conquête du pouvoir pour faire preuve de sagesse politique, le pouvoir ne résout rien en lui-même. Relativisme ou radicalisme, dans les deux cas, l'erreur est identique : elle pratique un activisme du " tout-politique " qui sacrifie la cohérence anthropologique de l'exigence évangélique. Sensible aux défaillances historiques du catholicisme politique, Matthieu Grimpret en appelle à une " intelligence politique évangélique ". Sans prétendre à l'essai scientifique, il fait montre d'une intuition solide et argumentée qui peut orienter avec raison la conscience politique des jeunes chrétiens. " Nous ne jetterons pas la civilisation de l'amour dans la vie politique, mais nous placerons la vie politique dans la lumière de la civilisation de l'amour. " Il ne s'agit pas de créer un parti politique chrétien pour prendre le pouvoir et réformer les institutions. Il s'agit de remobiliser avec perspicacité la combativité et l'imagination de la communauté catholique. À cet égard, l'exemple américain de la Christian Coalition, fondée en 1989 par le pasteur évangélique Pat Robertson mais où se retrouvent de nombreux catholiques, est riche d'enseignements. L'auteur y puise avec profit et audace une part de son inspiration. On le voit, les horizons de Matthieu Grimpret sont larges.D. TH.Article paru dans Liberté Politique N°13