L’équinoxe d’automne répond à l’équinoxe de printemps. Aux semailles, au travail de la terre, à l’éclosion puis à la fécondation des fleurs dans les vergers, et aux célébrations de la résurrection de la nature, répond le temps des récoltes, des actions de grâce et des rituels reliés à la mort et à la crainte des débordements de l’autre monde.
Un article issu du site de l'Institut Iliade
L’automne évoque immanquablement l’idée d’une fin de cycle. La végétation, après une explosion de couleurs crépusculaires, se met progressivement au repos à mesure que les jours déclinent, que les brumes matinales, le ciel bas, la fraicheur puis le froid se répandent sur les régions tempérées.
L’imagerie populaire moderne, associant cette décrépitude apparente de la végétation aux célébrations des morts de la Toussaint, est encore imprégnée de productions poétiques mélancoliques. Le magnifique poème de Charles Verlaine, « Chanson d’automne », en constitue un exemple archétypal et souligne le caractère lugubre de ces mois automnaux. Oui, c’est un temps où l’on pense à sa finitude, un temps qui appelle au souvenir et au repli consciencieux de l’intériorité. L’automne nous rappelle avec simplicité cette évidence : toute chose a une fin.
Si l’automne nous rappelle que toute existence a une fin, nous qui nous projetons dans un univers au fonctionnement cyclique, nous devons aussi y déceler la promesse du lendemain. C’est une saison de plénitude et de turbulences : celle de la fin de l’été où pendant quelques semaines, la végétation mature, vigoureuse, prospère jusqu’au temps des récoltes, période de joie authentique dans les campagnes, où la vie communautaire s’épanouit et les granges se remplissent avant la bascule dans les temps sombres qui mènent au solstice d’hiver. Il s’agit surtout de la saison des métamorphoses : les feuilles tombées au sol se mêlent à la terre, deviennent peu à peu un humus riche en matière organiques et en biotope qui permettra dès le printemps le renouvellement et le développement des végétaux. Enfin, la rétractation végétale et le repli des jours invitent naturellement au retranchement sur notre propre intériorité avant le long hiver et la renaissance printanière.
D’ailleurs, dans les traditions européennes, l’idée de séparation de l’année, de bascule automnale est largement attestée. En astrologie, le signe de la balance débute dès l’équinoxe d’automne. Dans le monde germanique, le mois de septembre, ou « Scheiding », – qui sépare – constituait l’entrée dans la deuxième partie de l’année, débutée en mars. Pour les Celtes, l’année débutait après les célébrations de Samhain, période de quelques jours, liée à l’équinoxe d’automne et considérée comme hors du temps. Un temps où le monde des morts et des vivants sont ouverts l’un sur l’autre. Dans la Grèce antique, les mystères d’Eleusis célébraient, en période d’équinoxe, Demeter Perséphone et Hadès, dont le mythe renvoie évidemment à cette idée de porosité entre le monde des vivants et celui des morts ainsi qu’au cycle de la nature. Pour l’anecdote, le calendrier révolutionnaire composé par Philippe Fabre d’Eglantine, fixait également la nouvelle année à l’équinoxe d’automne !
La période automnale est celle des célébrations populaires liées à des rites de remerciements pour les récoltes, marquant le début et la fin des moissons ou des vendanges. En ce sens, l’équinoxe d’automne répond à l’équinoxe de printemps. Aux semailles, au travail de la terre, à l’éclosion puis à la fécondation des fleurs dans les vergers, et aux célébrations de la résurrection de la nature, répond le temps des récoltes, des actions de grâce et des rituels reliés à la mort et à la crainte des débordements de l’autre monde.
Ainsi, deux axes se dessinent dans les traditions et fêtes automnales : le premier correspond aux antiques croyances européennes liées au culte des morts ; le second est lié aux célébrations agro-pastorales dédiées au cycle des saisons, de la nature et des récoltes, et emplies de rites de bénédiction en faveur des divinités du troisième ordre.
Nous pouvons constater dans les deux cas une adaptation et une récupération par l’Église de ces deux types de rites à travers le culte de Saints et les rituels liés aux récoltes qui faisaient constamment appel à la bénédiction des prêtres. C’est au travers du prisme chrétien que notre plus ancienne culture s’est perpétuée jusqu’à nous, dans nos campagnes et ce jusqu’aux années 60. Puis, le coup de grâce porté par l’exode rural des « trente glorieuses », la mécanisation de l’agriculture et le concile Vatican 2 qui s’est attaché à nettoyer le calendrier chrétien de ses références agro-pastorales (il signe par exemple la disparition des Saints de Glace du calendrier) les ont fait tomber en désuétude. Ces intrications complexes entre antiques reliquats païens, religion chrétienne, et parfois sécularisation républicaine, constituent la forme avec laquelle les anciennes solennités nous apparaissent aujourd’hui lorsqu’elles n’ont pas tout simplement disparu. Dans tous les cas, leur sens profond, à force d’avoir été remanié, dissimulé, voire combattu, échappe au plus grand nombre à force de paraître incompréhensible et contribue ainsi au déracinement culturel Européen.
Le calendrier et les célébrations auxquelles nous nous référons et qui était celui de nos aïeux, pourrait être qualifié de pagano-chrétien. Le moment déterminant, qui ouvra la voie en Europe à ce syncrétisme fut la politique en matière d’évangélisation dictée par le pape Grégoire le Grand (540-604) au VIème siècle. Selon ses préceptes, les missionnaires doivent être patiemment formés à connaitre la langue et la religion des territoires à conquérir spirituellement et s’efforcer de ne pas brusquer dans leur foi les païens. Les temples ne sont pas détruits, mais les idoles païennes peu à peu retirées au profit des figures chrétiennes. Les traditions autochtones ne sont pas forcément combattues ou interdites, mais patiemment christianisées. C’est ainsi, pour prendre l’exemple le plus emblématique que la naissance du christ est célébrée au solstice d’hiver et sa résurrection à Pâques. L’Église catholique a dû faire appel au culte des Saints pour récupérer les célébrations traditionnelles païennes du solstice d’été (Saint Jean) et de l’équinoxe d’automne (saint Michel et fête de la Toussaint). C’est ainsi qu’une poignée de prêtres réussit à évangéliser la Grande-Bretagne. Ce sont ensuite les missionnaires britanniques fraîchement christianisés, et adeptes des enseignements de Grégoire le Grand qui entreprirent l’évangélisation de la Germanie païenne (Saint Boniface).
Nous tâcherons dans ce travail, de séparer, de décolmater au mieux les strates successives qui s’agglomérèrent et se superposèrent au fil du temps sous le vernis à la fois chrétiens et laïc qui recouvre de nos jours nos vieilles traditions. Nous nous efforcerons d’atteindre les racines les plus profondes de notre culture.
Les traditions agraires
L’automne correspond à la période de l’année où l’homme des campagnes récolte le fruit de son travail. On engrange dans les greniers les produits nécessaires à la survie pendant l’hiver. Les céréales, les pois, les fruits à coque qui serviront à confectionner l’huile, les pommes et les poires, les raisins lors des vendanges, les olives dans les régions méridionales. Il faut comprendre que la saison des récoltes, qui exigeaient de nombreux travailleurs saisonniers, correspondait à une période de foisonnement de la vie communautaire rythmée par des célébrations et des rites particuliers à chaque région d’Europe.
Trois axes se dessinent néanmoins dans ces traditions agraires. Le premier correspond aux festivités liées à la convivialité exacerbée dans cette période de l’année rendue nécessaire par le travail des champs, et qui exprime une déférence réciproque entre les maîtres – les propriétaires – et les travailleurs saisonniers. Le second correspond aux rites évoquant le rattachement voire l’inclusion de la période automnale dans le cycle de l’année, constituant ainsi à la fois un aboutissement et un commencement. Le troisième voit les populations s’attacher à remercier des divinités ou Dieu pour les générosités offertes par le travail de la terre, en même temps qu’elles se célèbrent elles-mêmes pour le labeur accompli, source de leur identité.
Les rites liés aux moissons
Ils sont particulièrement riches car le blé et le grain symbolisent le cycle de l’existence depuis la nuit des temps. Le blé semé en terre, descend dans le monde souterrain d’où il ressort rajeuni, plein de forces nouvelles. Les semailles évoquent la vie qui renaît toujours de la mort. Le sens des rites de la récolte est donc de relier la fin d’un cycle à un nouveau commencement.
De manière assez constante, la coupe de la première gerbe et celle de la dernière gerbe de blé étaient ritualisées. Après la messe de moisson qui faisait souvent débuter les travaux des champs, et où il n’était pas rare de décorer l’église avec des faucilles ou autres outils agricoles, c’était le plus souvent le propriétaire ou la maîtresse de maison, mais aussi parfois un enfant qui se chargeait de faucher la première gerbe. Cet épi pouvait être gardé précieusement au foyer, où on l’accrochait dans la cuisine. On tressait également divers objets issus de cette première gerbe de blé.
Cependant, les rituels les plus importants concernaient la fin du travail des champs et se soldaient par des fêtes d’envergure. Les « erntedankfest », ou fête de l’action de Grâce, des territoires Germaniques et le Harvest Festival sur les Iles Britanniques, clôturaient la période des récoltes. Ces célébrations sont à présent plus connues sous leur forme américanisée appelée « Thanksgiving ».
Durant ces occasions, des rituels étaient dédiées à la dernière gerbe de blé, de toute évidence dotée de pouvoirs magiques et notamment inclus dans des rites de fertilité. Dans les deux cas, la fête fut christianisée : les dernières gerbes étaient bénies à l’église, et les cloches sonnaient à la volée pour célébrer la fin de la moisson et on célébrait alors la messe. Avec elles, on façonnait au Royaume-Uni la « Harvest doll », ou « Kern baby », une poupée de paille, vêtue d’habits traditionnels qui faisait l’objet de rites et de jeux. En Allemagne, les saisonniers tressaient – entre autres choses – une imposante couronne de paille qu’on promènait en cortège jusqu’à ce qu’elle soit offerte avec solennité au propriétaire de la ferme. Ce grain issu de la dernière gerbe était utilisé pour confectionner les gâteaux à Noël, et au printemps suivant, elle était mêlée à la graine de semailles pour favoriser la réussite des cultures ou encore donnée à manger aux chevaux. Cela constituait une manière symbolique de lier entre elles les différentes saisons de l’année.
La couronne des moissons pouvait aussi être laissée sur place, en plein champs au même titre que la dernière gerbe de blé, où une partie de la récolte est considérée selon les régions et les époques, comme une offrande aux anges, mais aussi comme la pâture du cheval du ciel ou encore une offrande aux oiseaux, ce qui atteste également la consécration du fruit de la moisson à Odin-Wotan.
La moisson comme le battage du blé se clôturait par un repas copieux offert par les maîtres où tous ceux qui avaient travaillé se retrouvaient.
Au-delà des aspects rituels, ces célébrations constituent la fête où le peuple tout entier s’affirme solidaire de sa paysannerie et propage de manière conséquente l’identité paysanne.
Les labours d’automne
Une fois les récoltes terminées, un nouveau cycle démarre. Ainsi ont lieu les labours d’automne où l’on enfouit dans le sol, de la matière organique, du fumier, des engrais divers.
Partout en Europe, l’ouverture du labour est réalisée par un personnage d’importance, le forgeron, le chef du village, la personne la plus âgée. Il s’agit pour l’homme traditionnel, d’un geste tout sauf anodin, que celui qui consiste à opérer une incision dans la terre nourricière, à la mettre à nu, à l’exposer au froid qui s’installe.
Avant de débuter ces labours, le paysan romain allait planter un clou dans le temple de Minerve et devait se concilier les faveurs de Vulcain, Dieu des forgerons, avant d’utiliser l’araire pour ouvrir la terre.
L’équinoxe d’automne : la saint Michel
Saint-Michel, le saint guerrier associé à l’équinoxe d’automne, est célébré le 29 septembre. Il fait partie des saints Patrons de France, d’Allemagne et de Belgique. D’abord célébré au printemps dans les premiers temps du christianisme, sa fête a été déplacée au 29 septembre lors du concile de Mayence en l’an 813 et le demeure toujours aujourd’hui.
Dans la tradition chrétienne, ange guerrier, chef de la milice céleste des anges du Bien, il est représenté au moment de l’Apocalypse en ange ailé sauroctone (tueur de dragon), terrassant le mal représenté sous les traits d’un Dragon et le chassant hors du paradis. Il veille à écraser toute insurrection contre Dieu. Ainsi étymologiquement, Mikael signifie : « qui se prétend comme Dieu ». On lui reconnait également le rôle de saint conducteur d’âme ou psychopompe et c’est sur sa balance que sont pesées les âmes au jour du jugement dernier, en même temps qu’elle accompagne l’équinoxe, qui voit les nuits devenir plus longues que les jours. Ainsi, il ouvre la période qui célèbre le culte des morts…
Évoquer les apparitions relatées de ce saint permet de bien comprendre son importance et constitue une bonne introduction pour évoquer les éléments païens antérieurs auxquels il s’est substitué. Il serait d’abord apparu en 492 au sommet du mont Gargano, dans les Pouilles, en Italie. Ce lieu où se situe une grotte qui lui est dédiée est devenue depuis un lieu de pèlerinage majeur. Il serait également apparu au Pape Grégoire, un déterminant évangéliste, dont nous venons de parler, et sa venue sur terre, à Rome, concomitante de l’édification d’un lieu de culte, aurait permis la fin de la grande peste qui sévissait alors. En Normandie, il aurait fini par obtenir de Saint Aubert, sous la menace, et après trois venues, qu’il lui décerne un lieu de culte qui deviendra le Mont Saint Michel.
En 1425, à Jeanne D’arc, il demanda d’être pieuse, de mettre en déroute les envahisseurs et de placer sur le trône le dauphin du royaume de France en le faisant sacrer à Reims.
Il est très intéressant de remarquer la substitution qui se serait semble-t-il opérée entre Saint Michel et Gargantua, dans les contrées où cette divinité primitive revêtait de l’importance. Le Mont-Saint-Michel, majestueuse colline sise à quelques encablures des côtes normandes a selon les traditions locales été édifié par le géant celtique Gargantua, en déposant un rocher alors qu’il rejoignait l’Angleterre. Avant de devenir le Mont-Saint-Michel, ce lieu fût d’ailleurs un sanctuaire dédié au Dieu solaire Bélénos qui, dans le panthéon Celtique n’est autre que le père du demi-Dieu Gargantua. Le mont Gargan de Rouen a vu aussi l’édification d’une église dédiée à saint Michel, de même que l’emblématique Monte Gargano en Italie. Par ailleurs, un saint Gorgon était fêté le 9 septembre en Normandie où des foires et des fêtes lui étaient dédiées. Gargantua, qualifié d’Hercule Celte, représentait une figure de géant débonnaire et maladroit néanmoins toujours prêt à secourir les paysans en détresse. Il est traditionnellement associé à la période mégalithique et son nom reste présent dans la typographie de l’Europe de l’Ouest pour qualifier généralement des ensembles rocheux remarquables qui seraient par-ci tombés de sa hotte, par-là issus de la boue tombée de ses godasses, ou encore formés par la trace de ses pas. En Vendée, il aurait repoussé les Anglais durant la guerre de 100 ans, période durant laquelle il aurait été un symbole de la résistance aux envahisseurs, en leur jetant des arbres entiers.
Il semblerait également que par ses attributs guerriers et son rôle de conducteur d’âmes, l’archange Saint Michel ait été associé à Odin/Wotan. De la même manière, de nombreuses Églises ou sanctuaires dédiés à saint Michel ont été établis sur des lieux de culte précédemment dédiés à Wotan.
Assez curieux et anecdotique, le toponyme Saint-Michel-Mont-Mercure, d’une ancienne commune vendéenne, quand on sait que Wotan a été associé à Mercure dans les panthéons païens.
Saint-Michel en tant que conducteur d’âmes ouvre la période qui célèbre le culte des morts. Sa balance accompagne l’équinoxe qui voit les nuits devenir plus longues que les jours. Au même moment, la saison agricole se termine, on vend ses récoltes et ses bêtes dans les grandes foires d’automne. Les festivités sont l’occasion de grands banquets et à la nuit tombée on allume des feux de joie au sommet des collines.
Le culte des morts : la Toussaint, le jour des trépassés, Samhain et la saint Martin
Le grand épisode spirituel automnal correspond à la célébration du culte des morts, et se déroule dans les premiers jours du mois de novembre. Concernant l’antique fête de Samhain, nous devons rester humbles car nous savons peu de choses. Elle s’étendait, suivant les sources, sur une période de trois à douze jours et quarante jours après l’équinoxe d’automne. Il s’agissait d’une des quatre fêtes principales du calendrier celtique, avec Imbolc, Beltaine et Lugnasad. Ces quelques jours, considérés comme hors du temps, précédaient la nouvelle année celtique marquée par le passage de la saison claire à la saison sombre. On y festoyait autour de banquets, on y faisait le bilan de l’année écoulée dans le domaine miliaire et agro-pastoral.
Pendant cette période d’instabilité, une porte s’ouvrait sur le Sid, l’au-delà celtique, repère des Dieux et des héros, ce qui permettait une certaine porosité entre le monde des vivants et celui des morts. Les traditions populaires encore vivantes en Bretagne, en Écosse ou en Irlande au début du XXème siècle expliquent la persistance dans ces contrées d’une période où l’on célébrait encore les défunts. Des lanternes en forme de tête de morts étaient sculptées dans des betteraves ou des navets. Elles étaient censées guider les trépassés qui lors de cette période particulière, rentraient chez eux. Ainsi, la coutume voulait qu’on laisse la porte entre-ouverte et quelques victuailles sur la table à la fin du repas afin qu’ils pussent se restaurer.
Il est fondamental de préciser que des traditions de ce type sont rapportées dans des régions européennes extérieures à l’univers celtique. On peut par exemple citer la confection du pain des morts à Bonifacio en Corse, pour une raison analogue : la restauration des morts. Ainsi, il ne serait pas très pertinent d’identifier la fête des morts au Samhain celte, l’origine du culte des morts automnale étant probablement à rechercher dans le néolithique Européen.
Il faut bien sûr évoquer la fête d’Halloween, la nuit du 31 octobre. Ce succédané de Samhain nous est revenu d’outre-Atlantique, comme tout ce qui y est venu un jour d’Europe, mercantilisé et avili. Ce sont en effet les immigrés irlandais et écossais arrivés en Amérique du Nord qui y ont popularisé cette fête. À cette occasion, on joue à se faire peur en arborant des déguisements effrayants et les enfants font, à la manière des morts le jour de Samhain, des processions autour des maisons du quartier à la recherche de sucreries obtenues en échange de paroles menaçantes. Les lanternes creusées dans des raves et les navets sont remplacées par d’effrayantes citrouilles. C’est aussi une Samhain christianisée qui nous est revenue d’outre atlantique, puisque les morts qu’il fallait guider et nourrir reviennent parés d’atours effrayant, pareils à des démons, sont menaçants et jouent des mauvais tours.
Notre calendrier célèbre la fête chrétienne de la Toussaint ainsi que le 11 novembre, qui sont deux jours fériés. Initialement située le 13 mai, la fête de tous les Saints a été déplacée au premier novembre à partir de l’année 835 probablement dans l’optique de la substituer progressivement aux fêtes païennes liées au culte des morts ancrées de longue date dans la culture européenne. Elle fût instituée sur tout le territoire de l’empire carolingien par Louis le Pieux. En 998, les moines de Cluny, en Bourgogne, terre de culture celtique, instituèrent une fête des trépassés le 2 novembre. Elle entra dans la liturgie romaine comme commémoration de tous les fidèles défunts au XIIIème siècle.
En France, lors des célébrations du 11 novembre, nous commémorons la victoire des Alliés et l’armistice signé à Rethondes. La République a par ce moyen récupéré la solennité dédiée à tous les combattants morts pour la patrie, mais aussi pour la liberté et la tolérance : on se rassemble autour du monument au mort du village, l’harmonie municipale joue l’hymne national et parfois un hymne régional et on convoque les enfants des classes primaires pour l’accompagner par le chant.
Avant la première guerre mondiale, c’était la saint Martin, instaurée par le Pape Martin Ier au VIIème siècle, qui était célébrée le 11 novembre. Saint Martin a eu en France une importance toute particulière : il a longtemps été considéré comme un patron national. Son tombeau situé à Tours constituait un lieu de pèlerinage majeur.
À cette date correspondait chez les Celtes et les Germains – nous en trouvons d’ailleurs des exemples en France – le début de l’année calendaire. La période qui s’étendait de la Toussaint à la Saint Martin se dénommait « la Martinale ». On y célébrait la fin de l’année agro-pastorale et le début de la nouvelle année de labeur… Au cas-où la démonstration de l’unité constituée par la Toussaint, la fête des trépassés et la Saint Martin ne serait pas suffisamment évidente, l’on pourrait ajouter que dans les Flandres, en Allemagne et aux Pays Bas, il est attesté de l’existence de traditions faisant intervenir des processions d’enfants portant des lanternes et des lumignons dans des betteraves à sucres creusées en forme de têtes.
Pendant des siècles c’est à la saint Martin qu’on a embauché les garçons de ferme, les métayers. Il se tenait alors des foires d’embauche. Dans ces grandes foires, qui persistent de nos jours dans certaines villes, on vendait aussi le fruit de son travail.
C’est d’ailleurs traditionnellement dans les environs de la saint Martin qu’on tue le cochon en Europe occidentale, après quoi les viandes sont mises à sécher et conservées en salaisons.
Néanmoins, c’est bien l’oie (équivalent du cygne de Wotan) qui constitue le plat traditionnel du festin de la saint Martin qui réunissait toute la maisonnée.
Le lendemain de la fête débutait le petit carême, période de jeune qui précédait Noël, ou l’Avent chez les peuples germaniques. Ainsi, Saint Martin constitue le premier des Saint solsticiaux et tout en clôturant le cycle d’hommage aux morts, et celui de l’année agro-pastorale écoulée, il marquait le commencement du cycle liturgique de Noël.
Comment célébrer l’automne aujourd’hui ?
Si malheureusement les traditions agraires, dans un environnement principalement citadin et dans le cadre d’une agriculture industrialisée, ont perdu tout sens pour la plupart d’entre nous, elles méritent cependant d’être connues. Elles ont rythmé la vie de nos aïeux qui passaient leur existence à cultiver la terre. Nos morts nous obligent. L’automne est un moment propice pour organiser une randonnée au milieu des champs et des vignes et confectionner des objets avec une gerbe de blé qui seront conservés au sein du foyer. Que ceux qui habitent à la campagne et bénéficient de quelques récoltes n’oublient pas de laisser la « part des oiseaux » au sommet des branches des arbres fruitiers. La célébration de l’équinoxe le jour dit où lors de la Saint Michel peut faire l’objet d’une fête accompagnée d’un banquet où des brasiers seront allumés à la tombée de la nuit. Période du déclin apparent des choses et du développement conjoint de l’intériorité, elle est propice aux prises de décision pour l’année à venir.
Concernant le culte des morts, notre calendrier chrétien et républicain a conservé une structure permettant de le célébrer comme il se doit. Les festivités débutent la nuit du 31 octobre et le culte des morts se poursuit ensuite jusqu’à la saint Martin au 11 novembre. C’est évidemment un moment idéal pour transmettre aux enfants : il s’agira de parler de l’histoire familiale en évoquant les morts de la famille, afin d’affermir le sentiment d’appartenance à une lignée qui oblige aussi bien envers le passé – les défunts – que le futur – les enfants à naître. La visite du cimetière, la participation à l’entretien des tombes, concourent à faire comprendre qu’il existe deux morts : la première, celle du corps et de l’âme, la seconde, plus triste, plus froide : l’oubli. Il peut être par exemple possible d’offrir aux jeunes enfants un arbre généalogique qu’on étoffera au fil des années. Peu à peu, on évoque les morts illustres, qu’ils fussent intellectuels, artistes, politiciens, inventeurs ou explorateurs, ainsi que les héros guerriers, répondant en cela à la tripartition traditionnelle des indo-européens. On peut aussi raconter des contes traditionnels faisant intervenir des revenants.
Nos anciennes traditions habitent encore l’Europe, elles sont à portée de main. Il nous importe de les faire vivre tout en les adaptant à notre temps. Il faut bien sûr fréquenter les foires automnales régionales où soufflent encore parfois le vent lointain de la tradition et aussi les cérémonies du 11 novembre dans nos villages. La célébration du culte des morts dans le cadre familial et communautaire raffermit les liens de la famille et du clan, mais sans la nature comme socle – socle profondément ancrée – un pan immense de nos plus antiques traditions nous échappera et nous demeurerons déracinés.
Martin Issartel