En novembre 2021, France et Italie ont signé le Traité du Quirinal qui vise à renforcer les liens économiques entre les deux pays. Mais derrière les objectifs officiels affichés c’est aussi une pensée de l’Europe qui se manifeste.
Emmanuel Dupuy est président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) et Edoardo Secchi est président du Club Italie-France
La signature, le 26 novembre dernier, du Traité du Quirinal, entre le Président de la République, Emmanuel Macron et le Président du Conseil italien, Mario Draghi, scellant la pérennité des convergences de vues et d’actions diplomatiques, financières et économiques entre Paris et Rome, est souvent comparée à la signature, 58 ans plus tôt, du Traité de l’Élysée, le 22 janvier 1963, entre le Général Charles de Gaulle et le Chancelier allemand, Konrad Adenauer.
C’est évidemment vrai dans la comparaison des ambitions convergentes intergouvernementales, franco-allemande hier, franco-italienne aujourd’hui. Pourtant, le Traité du Quirinal ouvre aussi une autre fenêtre : celle de la perspective d’un nouveau traité européen. Celui-ci accompagnerait une nouvelle ambition communautaire, que la présidence française du Conseil de l’UE ambitionne de porter haut et fort.
Emmanuel Macron et Mario Draghi avaient ainsi sans doute raison de placer la signature de ce Traité sous la plume de Michel de Montaigne, qui dans ses Essais, en évoquant l’énigme de l’amitié qui le liait à Etienne de la Boétie, rappelait simplement : « parce que c’était lui, parce que c’était moi ». Il est évident que la trajectoire commune des deux présidents, ayant troqué tous deux leur costume de banquiers d’affaires pour celui nettement plus contraignant de la gestion des affaires publiques de chacune de leur nation, doit beaucoup à cet opportun réchauffement transalpin.
Nombreuses sont ainsi les perceptions partagées, et ce au-delà des seules berges du Tibre et de la Seine.
Raviver la coopération entre Rome et Paris
Le Plan de relance européen (Next Generation EU) et ses 800 milliards d’euros envisagés sur la période 2021-2026, aurait-il jamais vu le jour sans l’activisme de Paris et Rome et une subtile « grammaire latine » de la vertu d’une certaine souplesse budgétaire suffisamment convaincante, face à un front traditionnel de refus euro-septentrional, vertement « arc-bouté » sur la rigueur des critères budgétaires héritée du Traité de Maastricht ?
N’est-ce pas là, d’ailleurs, avec le point cardinal de la « relance », un des trois piliers de la présidence semestrielle du Conseil de l’UE, que Paris assume du 1er janvier au 1er juillet 2022 ?
« Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà », a-t-on coutume de dire, en référence à un autre bel esprit, lui aussi épris de l’humanisme de Rome, Blaise Pascal. Vérité qui s’applique autant, de part et d’autre des Alpes, aux deux autres piliers de la Présidence française du Conseil de l’UE : « puissance » et « appartenance ».
L’affirmation de la « puissance » évoquée en boucle par Emmanuel Macron, depuis son discours en Sorbonne, le 26 septembre 2017, se conjugue, en effet, à l’aune de la « Boussole stratégique », initiée sous la présidence allemande, présentée en mars 2021 et qui fut finalisée en mars 2022, sous présidence française. L’Union européenne sera ainsi dotée d’un véritable Livre blanc sur la sécurité et la défense, définissant à l’horizon de 5 à 10 ans, moyens et objectifs d’une Politique Européenne de Sécurité et Défense (PSDC) et d’une Politique étrangère et de Sécurité commune (PESC), qui se cherchent, toutes deux, depuis leurs balbutiements posés hâtivement en 1954.
Toujours en jachère, cette « Europe de la défense », malgré quelques avancées méritoires à travers les traités de Maastricht, en 1992 et Amsterdam, en 1997 et une « Stratégie européenne de sécurité », restée sans réel lendemain depuis 2003, demeure donc un chantier prioritaire. Comme 77% des Européens, les Français et Italiens restent profondément convaincus de la nécessité d’œuvrer à davantage de responsabilité décisionnelle, de cohérence budgétaire, d’efficacité opérationnelle et de rapidité de déploiement des moyens militaires considérables dont disposent les États européens.
Bref, c’est bien d’« autonomie stratégique » dont il s’agit et que garantissent les 198 milliards d’euros consacrés à la défense dans le cadre du budget de l’UE.
Reste désormais à fixer et surtout garder le même cap stratégique européen, loin de toute tentative du « grand large ». Bien que la nécessaire et rassurante sécurité collective ait été pendant ces 75 dernières années l’horizon stratégique avec l’OTAN, désormais, notre évident intérêt – dans un monde « post-atlantique » – consisterait à nous rééquilibrer, nous aussi, urgemment, comme nos partenaires stratégiques autant que compétiteurs systémiques (États-Unis, Russie, Chine, Turquie) l’ont déjà fait, en direction de l’Eurasie comme dans la zone indopacifique.
Appartenance commune
Le dernier axe de convergence franco-italien, qui résonne, en écho, auprès de nos 25 alliés européens, de nos 23 partenaires de la politique européenne de voisinage, voire au-delà sur le continent africain, au Moyen-Orient et en Asie Centrale, est celui de l’« appartenance ».
Il est ici question de ce qui fait réellement « civilisation », de part et d’autre des mers que nous avons en partage (Baltique, Méditerranée, Adriatique, mer Noire), perçu, davantage, comme passerelles que considérées comme un Limes infranchissable et offrant l’image réductrice d’une Europe forteresse.
Chacun comprendra que pour appartenir collectivement, il convient de définir ce qui nous unit et nous différencie. C’est d’ailleurs, en re-découvrant les valeurs consubstantielles de notre destin européen, celle de la « solidarité » comme celle de la « subsidiarité » que nous consoliderons l’Europe.
Si sur le plan institutionnel et politique il existe désormais une direction à prendre, sur le plan économique, la France et l’Italie sont déjà dans une situation très avancée par rapport à d’autres pays de l’Union européenne. Leur complémentarité industrielle s’est avérée être plutôt un point de force capable de dynamiser et soutenir les deux économies. L’intérêt français vers l’Italie concerne principalement l’industrie, la finance et la distribution et trouve une asymétrie demande/offre avec l’intérêt italien qui identifie la France comme un marché principal pour l’innovation et l’exportation.
Leurs échanges commerciaux repartent à la hausse en 2022, à 92 milliards d’euros, et même s’ils n’ont pas encore atteint le niveau des échanges franco-allemands, l’écart s’est réduit progressivement à partir de 2014. À ce rythme, les échanges pourraient attendre les 120 milliards en 2030.
Enfin, la France et l’Italie pourraient unir leurs compétences sur le plan de la recherche et de l’innovation et développer des programmes de formation des nouvelles générations aux métiers du futur comme l’intelligence artificielle et le quantique. L’impact sur leur économie et l’emploi serait alors de grande importance, car le monde se tourne vers le secteur des services et celui qui dominera la technologie, dominera l’économie.