La guerre menée par Israël à ses voisins a remis sur le devant de la scène le concept de « judéo-chrétien », un terme à l’usage hautement politique qu’il convient d’envisager de manière dépassionnée et critique à l’heure où cet alliage contestable peut être utilisé pour légitimer des entreprises guerrières.
« Je suis allé en Israël pour défendre la civilisation judéo-chrétienne ». Voici ce qu’écrivait le polémiste devenu politique Éric Zemmour en novembre 2023 reprenant le concept pour le moins vague de « judéo-chrétien ». Derrière cette appellation se trouve une idée selon laquelle les peuples chrétiens occidentaux et les israélites, notamment ceux qui vivent en Israël, ont un destin commun.
De prime abord, impossible de nier l’existence d’une filiation entre la religion hébraïque et le christianisme. Accoler les deux ensembles religieux pour causer « civilisation » semble en revanche plus périlleux.
Les racines européennes en question
Les racines culturelles européennes sont multiples et leurs manifestations sont variables selon la zone géographique et le peuple envisagé.
Le christianisme demeure l’élément religieux le plus largement partagé sur le continent, certes, dans des expressions très diverses à considérer le catholicisme, l’orthodoxie ou encore le protestantisme. Au sein même de ces « sous-ensembles » des divergences majeures opposent les groupes en présence.
Des racines européennes peuvent par ailleurs être décelées avant l’apparition du christianisme notamment à travers la grande famille des langues dites « indo-européennes ». S’il ne s’agit pas ici de faire une autopsie identitaire du Vieux continent, on relèvera que l’appellation de civilisation gréco-chrétienne peut apparaître judicieuse tant le christianisme romain s’est « épanoui » dans la philosophie grecque. Cet attelage gréco-romain peut sembler plus représentatif des deux millénaires d’histoire passés.
Un bouclier israélite face à l’islam ?
L’appellation judéo-chrétienne, elle, répond à un double impératif politique plus qu’à une « filiation civilisationnelle ». Pour une partie de la droite, en France, il s’agit de se ranger du côté d’Israël pour légitimer le rejet de l’islam d’importation migratoire.
Pour Israël, il s’agit d’invoquer un destin commun pour préserver le soutien d’un Occident pourtant plus vraiment chrétien mais qui vit sur un socle hérité du christianisme. Pourtant le judaïsme contemporain semble bien éloigné de celui qui a pu être pratiqué avant la naissance du Christ. La rédaction du Talmud, postérieure à la venue du Christ sur Terre, a profondément modifié la religion hébraïque impliquant notamment, selon une certaine interprétation, une forme d’hostilité à l’endroit des non-juifs en général et des chrétiens en particulier.
Le substrat hébraïque du christianisme ne saurait cependant pas être écarté. Ainsi, le décalogue est un héritage commun complètement intégré au christianisme. Autre héritage de la religion abrahamique : la conception du pouvoir. Ainsi, l’historien Jean Favier rappelle-t-il comment Charlemagne[1] s’est largement inspiré du royaume d’Israël dans sa légitimation du pouvoir et dans son approche de la notion de Justice.
L’usage de la notion « judéo-chrétienne » ne semble cependant pas recouvrir une réalité palpable aujourd’hui. La spiritualité juive rabbinique est construite sur un ensemble de règles et de codes formels, orthopraxie qui rappelle davantage l’islam que le christianisme. De quoi inviter à la prudence face au recours de cet alliage contestable et plus généralement aux concepts d’ordre religieux surtout quand ceux-ci servent à légitimer des guerres ou des massacres.
Olivier Frèrejacques
Président de Liberté politique
[1] Charlemagne, Jean Favier, Editions Fayard, 1999.
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