Par principe, l'État est fondé à intervenir pour garantir la paix dans les banlieues. Mais on peut se demander si la violence sociale n'est pas sans lien avec le rôle de la puissance publique et si elle ne découle pas en partie d'une réalité plus profonde qui marque notre système politique et social depuis longtemps : une crise de la subsidiarité et de la responsabilité.
Régulièrement depuis les années soixante-dix on en appelle à l'État, qui multiplie les plans, essentiellement en distribuant une manne aux associations qui sont ensuite laissées à leurs propres forces, avec les résultats que l'on observe maintenant (*). Ce recours à l'État montre ses limites. L'État est faible ; il n'a pas d'argent ; ses marges de manœuvre sont infimes. La classe politique n'est pas motivée par cette question, quand elle ne l'exploite pas pour ses objectifs prioritaires : la concurrence personnelle et la prochaine vague d'élections.
En réalité les autorités publiques ont durablement contribué à dévitaliser les structures essentielles de la société, et les pré-programmes électoraux qui sont rendus publics ces temps-ci accentuent la tendance.
Dans notre pays, les structures sociales essentielles et plus largement les corps intermédiaires ont du plomb dans l'aile. La famille : parler de la soutenir est considéré comme un anachronisme au regard des modèles émergents. L'école : le rapport Thélot ayant été immolé sur l'autel du monolithisme de l'école républicaine, elle vient de laisser passer une chance de réforme de fond. Les syndicats : peu attractifs, le sommet en décalage avec la base, mal à l'aise dans la compétition mondiale. L'entreprise : suspecte quand elle gagne de l'argent, taxée, entravée par les contraintes d'un code du travail qui n'encourage pas l'initiative et la pression financière du court terme, par ailleurs en difficulté quand elle n'est pas véritablement intégrée à l'économie de la connaissance.
Ne faut-il pas réfléchir à remettre l'État à sa juste place, qui est de faire vivre les structures vitales de la société en leur garantissant les conditions d'un développement dans la durée ? À entendre le reportage radiodiffusé dimanche 6 novembre, d'un habitant d'une cité de Clichy-La Garenne disant que sa cité est un bien collectif précieux pour tous ceux qui y vivent et qu'en conséquence ils ont mis en place des groupes de défense pour la protéger de trublions venus d'ailleurs, on peut comprendre qu'il y a là une piste, celle de la responsabilité de chacun sur son espace de vie. La pensée sociale chrétienne a toujours mis en avant l'importance de l'initiative et de la subsidiarité ; elle alerte régulièrement sur les risques qu'une hypertrophie de l'État peut entraîner pour l'équilibre du corps social. Une voie qu'il convient donc d'explorer, avec un œil nouveau sans doute, est celle, double, de la subsidiarité et de la solidarité.
Cette voie comporterait cinq grandes orientations :
1/ Renforcer les structures sociales essentielles : la famille (redonner de la crédibilité au projet familial), l'école (soutenir des expériences nouvelles, notamment avec l'enseignement privé, hors sectorisation) et l'entreprise (l'aider pour que dans les zones sensibles elle privilégie le recrutement des personnes sans emploi qui y résident et la formation de celles qui n'ont pas de qualification) ; tout cela dans une perspective de mixité sociale, c'est-à-dire en permettant l'interpénétration des communautés et des niveaux de vie.
2/ Favoriser l'émergence d'autres corps intermédiaires : associations culturelles, associations de loisirs et de sport, échanges inter-religieux, etc., en veillant à ce qu'ils soient officiellement structurés autour d'un projet contrôlable et que leurs responsables soient sensibilisés à l'intérêt commun.
3/ Renforcer les pouvoirs politiques locaux en favorisant la collaboration visible de tous les acteurs qui garantissent les conditions de développement : ordre social, repères communs, sens des responsabilités, solidarité de terrain envers les plus démunis, contrôle des associations...
4/ Refuser fermement les zones de non-droit où des groupes sans mandat font régner leur loi : l'affirmation et la défense du bien commun sont une condition sine qua non de la subsidiarité et de la solidarité.
5/ Mettre en place une solidarité de la nation, notamment de la part des territoires les plus prospères, au nom des principes de dignité des personnes et de priorité pour ceux qui sont en difficulté ; solidarité qui n'est pas que matérielle et financière, mais faite aussi de liens vivants, économiques, culturels, éducatifs, associatifs...
Tout ceci exige une condition préalable, celle de la justice. C'est inenvisageable si l'État, dont c'est le rôle au nom du bien commun, ne passe pas des messages forts en matière de justice : la répression des actes irrespectueux des personnes et des biens, l'élimination des trafics illicites de la soi-disant économie parallèle, aussi bien que la punition des actes de ségrégation ou de discrimination. Une justice lente et, il faut le reconnaître, assez dépourvue de moyens, souvent en conflit avec une police qui, elle aussi dépourvue de moyens, dérape parfois, a peu de chance de contribuer à cet objectif.
L'État devrait, au lieu de s'épuiser dans des domaines qui ne sont pas les siens, se renforcer dans ses missions prioritaires de justice, de paix et de développement de la communauté nationale, et favoriser l'émergence de corps intermédiaires capables de susciter des initiatives de terrain qui contribuent à un bien commun sans cesse réaffirmé.
*Hervé l'Huillier est président d'Évangile et Société.
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