J’ai insisté la semaine dernière sur l’échec de la construction européenne dans ses missions essentielles, notamment l’emploi. J’ai également souligné l’échec de la vision originelle des pères de l’Europe, à savoir la construction progressive d’une fédération européenne. Cette évaluation critique est légitime et nécessaire, mais elle n’est pas suffisante. Il faut aussi réfléchir à une vision alternative.
Les nations européennes ont en effet besoin de coopérations étroites dans certains domaines clés. Une « Europe des nations » pour quoi faire ? C’est toute la question. Voici quelques pistes de réflexion.
Cohérence et coopération
L’Europe a d’abord besoin de refonder une politique douanière pour protéger ses emplois et sa production, sauf à raboter progressivement et inéluctablement les droits sociaux et la protection sociale dans des proportions inacceptables. Cette Europe douanière passe par une préférence européenne, laquelle était dans les principes de l’UE avant le tournant libre-échangiste.
L’Europe a également besoin d’une politique migratoire commune, conjuguée bien sûr à une politique d’aide au développement qui lui soit directement liée.
Ce qui est en jeu, c’est que l’Europe puisse constituer un espace géographique cohérent dans lequel se développent des coopérations fortes entre les nations ; par exemple dans les domaines cruciaux de l’énergie, des ressources naturelles, de l’environnement, mais aussi de la fiscalité appliquée aux firmes et aux transactions financières.
Respiration
La question monétaire se pose aussi, bien sûr. L’euro, comme monnaie unique, nécessite non seulement un niveau de convergence fort, mais encore un budget européen intégré, et donc une fiscalité européenne intégrée. Cela signifie un pas supplémentaire dans l’intégration. Cela implique un "Bercy européen" qui tenterait d’imposer une convergence aux forceps. Or l’une des leçons de l’histoire récente, c’est qu’une telle férule n’est pas tenable car elle contraint excessivement les nations, les prive de marge de manœuvre économique et se déploie in fine contre les peuples.
En 1992, durant le débat sur Maastricht, Philippe Séguin avait annoncé ce qui se produit aujourd’hui avec l’euro : l’impossible convergence, un cadre trop rigide pour être tenable, fermement gardé par une banque centrale dont l’indépendance signe la démission du politique. Il avait alors proposé une autre solution : une monnaie commune plutôt qu’une monnaie unique.
Une monnaie unique, c’est comme une cocotte-minute sans échappatoire, ou une installation électrique sans disjoncteur. Des monnaies nationales, à côté d’une monnaie commune, c’est la possibilité, pour les pays qui en ont besoin, de recourir — dans des limites à fixer — à des dévaluations devenues incontournables ; mais aussi à un certain niveau d’inflation qui soulage la dette. L’expérience récente montre que cette souplesse serait une respiration bienvenue pour les nations.
Restaurer le politique
De telles perspectives constituent une refondation des coopérations et des politiques européennes. Et je pense qu’elles impliquent un démantèlement de la superstructure actuelle. D’une part parce que la technostructure est formatée pour faire l’inverse ; d’autre part parce qu’elle deviendrait de facto inutile.
Une instance de médiation et d’arbitrage juridique et politique des traités pourrait peut-être suffire. Une telle refondation aurait le mérite de s’appuyer sur l’existant — les nations sont déjà opérationnelles — sans nécessiter de reconstruction structurelle complexe et de long terme.
Cependant, cette refondation implique la restauration du politique dans les États et ne se ferait pas sans difficultés ni efforts. Je crois que le premier effort à fournir, c’est de réfléchir ensemble à une redistribution de la donne européenne.
Guillaume de Prémare
Chronique prononcée sur Radio Espérance, le 16 mai 2014.
Sur ce sujet :
L'Europe à l'épreuve des faits, 12/05/14
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