Dans un rare consensus, les députés français ont voté, mardi 6 décembre 2011, une proposition de loi abolitionniste sur la prostitution, déposée par Danielle Bousquet, député PS qui a présidé une mission d’information parlementaire sur la prostitution en France et Guy Geoffroy, député UMP et rapporteur de la mission.

La résolution a pour but de réaffirmer la position abolitionniste que la France a adopté en 1960, en matière de prostitution : « Les principes abolitionnistes doivent être proclamés haut et fort à une époque où la prostitution semble se banaliser en Europe.

Actuellement, la prostitution n’est pas un délit. La résolution a pour but d’obtenir la pénalisation des clients, ce qui nécessitera une révision du code pénal.

Sur ce point, le gouvernement est loin d’être unanime. Le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, prétend qu’il serait nécessaire de réviser en profondeur le code pénal, alors que Roselyne Bachelot se dit favorable à considérer que la prostitution est un délit et a annoncé le lancement d’une campagne de sensibilisation en 2012. 

Le consensus n’existe pas non plus du côté des associations.

Le président de la Fondation Scelles, Yves Charpenel, qui a lancé un appel pour l’abolition de la prostitution en France, reconnaît que la concrétisation de la proposition de loi est loin d’être gagnée, alors que nos voisins allemands ont choisi de règlementer  cette activité.

"Le plus vieux métier du monde" n'a plus de métier que le nom. Selon la Fondation Scelles, qui lutte pour le respect de la dignité humaine, plus de 80 % des entreprises du sexe sont contrôlées, financées ou soutenues par le crime organisé, alimentant une véritable industrie planétaire [1]. »

L’association STRASS, syndicat des travailleurs du sexe considère que l’abolition de la prostitution conduirait à travailler dans la clandestinité et augmenterait les risques sur le plan de la santé et la sécurité. Soutenu par Act-Up et Aides, Strass préfère distinguer la traite des êtres humains liés aux réseaux mafieux de la prostitution librement consentie et demandent des « droits » pour les prostituées.

En Europe, plusieurs approches coexistent :

Position règlementariste : la prostitution est considérée comme un métier. Les prostituées paient des impôts et bénéficient d’une assurance santé. C’est le cas de l’Allemagne.

Position abolitionniste : le client est pénalisé alors que la prostituée est considérée comme une victime. La prostitution est une forme d’exploitation de la femme. C’est le cas de la Suède.

Position prohibitionniste : le client et la prostituée sont également pénalisés. Cette position peu retenue en Europe est celle des Etats-Unis.

La résolution réaffirmant la position abolitionniste de la France en matière de prostitution fait suite à la mission d’information parlementaire sur la prostitution en France, rendue public le 13 avril 2011. Dans leur exposé des motifs, les députés Danielle Bousquet et Guy Geoffroy présentent un état des lieux dont voici des extraits[2].

 « Le projet de  résolution parlementaire, présente un triple objectif : rendre publiques certaines réalités qui posent question dans une démocratie comme la nôtre, battre en brèches les idées reçues qui laissent accroire que, sous prétexte que la prostitution serait « le plus vieux métier du monde », elle est une fatalité, enfin, réaffirmer la détermination de la France à lutter contre la prostitution et à garantir les droits des personnes prostituées.

 Certains faits :

 20 000 personnes se prostituent chaque année en France dont environ 85 % sont des femmes. Les clients quant à eux sont en quasi-totalité des hommes. Ceci démontre la réalité sexuée de la prostitution.

 En 1990, 20 % des femmes étaient de nationalité étrangère, elles en représentent aujourd’hui près de 90 %. Les pays d’origine (Roumanie, Bulgarie, Nigeria et Chine principalement) démontrent l’emprise croissante des réseaux de traite sur la prostitution.

 Toutes les études s’accordent sur le fait que les personnes prostituées sont victimes de violences particulièrement graves qui portent une atteinte souvent dramatique à leur intégrité physique et psychique.

 Ces constats heurtent frontalement nos principes les plus fondamentaux : la non-patrimonialité et l’intégrité du corps humain ainsi que l’égalité entre les sexes et la lutte contre les violences de genre, par une sexualité marchande.

 À n’en pas douter, le vécu de la prostitution est moins la mise en œuvre militante du principe philosophique de libre disposition de son corps que la réalité beaucoup plus crue de la location de ses organes sexuels par contrainte ou par nécessité.

 Il ne saurait être question de reconnaître la prostitution comme un travail et de lui appliquer les règles relatives au droit du travail. La France doit tout mettre en œuvre pour proposer des alternatives crédibles à la prostitution afin de rétablir la liberté de choix des personnes prostituées qui souhaitent cesser cette activité. En parallèle, un effort sans précédent doit être consacré à l’information, à la prévention et à l’éducation.

Enfin, la loi doit clairement marquer la responsabilité de chacun : les auteurs de traite des êtres humains et de proxénétisme, ainsi que les clients en leur indiquant clairement qu’eux aussi ont une part de responsabilité. »

Le Conseil de l'Europe

La position de la France s’inspire de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, dite Convention de Varsovie, (STCE N° 197), adoptée par le Comité des Ministres le 3 mai 2005 et ouverte à la signature à Varsovie le 16 mai 2005. Elle est entrée en vigueur le 1er février 2008. La France l’a ratifiée en juillet 2007.

Objet de la Convention de Varsovie

La traite des êtres humains est la forme moderne du commerce mondial des esclaves. Les êtres humains sont considérés comme des marchandises à acheter et à vendre, que l’on force à travailler, la plupart du temps dans l’industrie du sexe, mais aussi, par exemple, dans le secteur agricole ou dans des ateliers, pour des salaires de misère voire sans salaire. La traite des êtres humains est une atteinte directe aux valeurs sur lesquelles le Conseil de l’Europe fonde son existence.

La Campagne du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains a été lancée en 2006 sous le slogan L’être humain - pas à vendre. Elle a pour objectif de sensibiliser les gouvernements, les parlementaires, les collectivités locales et régionales, les ONG et la société civile à l’ampleur du problème de la traite des êtres humains en Europe aujourd’hui. Elle attire l’attention sur les différentes mesures qui peuvent être prises pour empêcher cette nouvelle forme d’esclavage, pour protéger les droits fondamentaux des victimes et pour poursuivre en justice les auteurs de la traite.

Entrée en vigueur de la Convention de Varsovie par le Conseil de l'Europe

Le 1er février 2008, la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains est entrée en vigueur. Lors de sa Déclaration, ce même jour, le Secrétaire Général Terry Davis indique que ''Chaque année, plus de 600.000 personnes sont vendues en Europe, victimes de criminels internationaux. Plus de 80 pour 100 de ces victimes sont des fillettes et des femmes, et 70% se retrouvent en situation d’esclavage sexuel ».

Un trafic d’êtres humains, sans précédent, s’est développé ces dernières années à l’échelle mondiale (2,45 millions d’après l’OIT) et touche principalement les femmes, mais aussi des enfants et des hommes.

En Europe, ces femmes sont vendues, privées de leur citoyenneté et exploitées pour l’industrie du sexe (70%), pour l’agriculture et les ateliers comme le textile.

Pour lutter contre ce fléau que l’on peut qualifier d’esclavage moderne, le Conseil de l’Europe s’est doté d’un instrument juridique contraignant qui précise que la traite est une violation des droits de la personne humaine et une atteinte à la dignité et à l'intégrité humaines.

La Convention demande à tous les Etats membres, mais aussi à toutes les collectivités régionales et locales de mettre en œuvre les mesures concrètes pour faire reculer cet esclavage moderne :

  • Information, sensibilisation et communication auprès des personnes vulnérables comme les jeunes et les femmes,
  • Assistance physique et psychologique ainsi qu’une formation pour une réinsertion dans la société,
  • Respect du droit des victimes,
  • Poursuite des trafiquants et des réseaux mafieux et renforcement de la coopération internationale en matière de poursuites pénales à l’encontre des trafiquants,
  • Numéro d’appel unique pour les victimes…

Le mécanisme de suivi de la mise en œuvre, le GRETA (Groupe d’experts contre la traite des êtres humains) est maintenant opérationnel et fait l’objet d’un rapport régulier pour évaluer les mesures de la Convention[3].

La mise en œuvre de la Convention est l’affaire de tous : Union européenne, Etats membres, collectivités régionales et locales, organisations non gouvernementales et société civile, tous ceux qui respectent la dignité des êtres humains, sans exception. 

La Convention reconnaît également que la société civile a un rôle important à jouer en matière de prévention, de protection et d'assistance aux victimes et qu’elle peut utilement aider les pouvoirs publics.

A ce jour, la convention a été ratifiée par  l'Albanie, l'Andorre,  l'Arménie, l'Autriche, l'Azerbaïdjan, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, Chypre, le Danemark, la France, la Géorgie, l'Irlande, l'Italie, la Lettonie, le Luxembourg, la Moldova, Malte, le Monténégro, les Pays-Bas, la Norvège, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, Saint-Marin, la Serbie, la République slovaque, la Slovénie, l'Espagne, la Suède, « l'ex-République yougoslave de Macédoine », l'Ukraine et le Royaume-Uni et a été signée par neuf autres Etats membres du Conseil de l’Europe : Allemagne, Estonie, Finlande, Grèce, Hongrie, Islande, Lituanie, Suisse, et Turquie.

Le Parlement européen

Le Parlement européen, de son coté, avait voté une résolution sur la prostitution forcée dans le cadre de manifestations sportives internationales[4], le 8 mars 2006, quelques mois avant la Coupe du Monde de foot à Berlin, mais ne retenait que le point de vue de la contrainte.                                                                                                                                                      Le 5 avril 2011, le Parlement européen a adopté une directive sur la prévention de la traite des être humains, en se fondant sur plusieurs articles de la Charte européenne des droits fondamentaux :

Article 1 : « la dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée. »

Article 5 : « La traite des êtres humains est interdite. » 

A ces articles, il convient d’ajouter le principe de non-patrimonialité et de non-commercialisation du corps humain, ce qui interdit toute activité sexuelle en échange d’une tarification.            

La voix de la France est attendue

La résolution réaffirmant sa position abolitionniste est une nouvelle étape dans sa lutte contre la traite des êtres humains, notamment les femmes. Elle doit s’accompagner de la lutte contre la pornographie, soulignée par plusieurs députés comme Christian Vanneste qui a déjà alerté le gouvernement. Car les images diffusées sur les sites consultés par des enfants de plus en plus jeunes montrent les femmes comme des objets de plaisir et non comme des personnes dignes de respect.

 

Elizabeth Montfort est présidente de l'ANFE et porte parole de l'AFSP.

Retrouvez son article sur le site de l'ANFE.

 

[1] http://www.fondationscelles.org/index.php

[2] http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion3522.asp

[3] http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/trafficking/Source/PDF_Conv_197_Trafficking_F.pdf

[4] http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=MOTION&reference=B6-2006-0160&language=FR