La première chambre civile de la Cour de cassation a annulé mercredi 17 décembre la transcription à l'état-civil en France des jumelles d'un couple français nées d'une mère porteuse en Californie. Décryptage d'Aude Mirkovic, maître de conférences en droit privé à l'Université d'Evry, qui répond aux questions de Pierre-Olivier Arduin.
Liberté politique. — Le feuilleton judiciaire de cette affaire de mère porteuse est une vieille histoire. Pourquoi la plus haute juridiction française en est-elle venue à invalider un arrêt de la Cour d'appel de Paris donnant satisfaction aux parents demandeurs ?
Aude Mirkovic. — Des époux français ont eu recours à une mère porteuse aux États-Unis, en raison de l'infertilité de l'épouse et de l'interdiction de la pratique en France. Des embryons ont été alors conçus in vitro avec les gamètes du mari et ceux de la mère porteuse, et transférés chez cette dernière. Deux enfants naissent de la mère porteuse le 25 octobre 2000. Leurs actes de naissance, établis selon le droit californien, indiquent comme père et mère le couple français. Le père demande la transcription des actes au consulat de France à Los Angeles, ce qui lui est refusé. À la demande du ministère public (du procureur de la République), les actes de naissance des enfants sont transcrits, aux fins d'annulation, sur les registres de l'état-civil de Nantes, et le procureur de la République fait assigner les époux pour obtenir cette annulation. Le tribunal de grande instance de Créteil, dans un jugement du 13 décembre 2005, déclare irrecevable l'action du procureur de la République, décision confirmée par la Cour d'appel de Paris le 25 octobre 2007.
La question posée à la Cour de cassation était donc de savoir si le ministère public pouvait demander la nullité de la transcription sur les registres français d'état-civil des actes de naissance américains des enfants. La Cour de cassation répond de façon positive : le ministère public a bel et bien intérêt à agir, en raison de la contrariété à l'ordre public de ces actes dont les énonciations résultent d'une convention portant sur la gestation pour autrui.
La question de droit posée à la Cour de cassation est donc assez technique. En effet, la cour d'appel de Paris ne s'est pas prononcée sur la pratique elle-même de la maternité pour autrui, mais sur la question de la transcription des actes de naissance. Elle n'en a pas moins relancé le débat à partir de cette question cruciale : que faire des enfants nés d'une mère porteuse malgré la prohibition de la loi française ?
Quel est le sort de ces enfants ?
Leur filiation paternelle peut être établie comme n'importe quelle filiation paternelle. La difficulté concerne la filiation maternelle : les enfants ne peuvent être rattachés à la femme du couple demandeur, car ce n'est pas elle qui les a mis au monde (en l'espèce elle n'était pas non plus la mère génétique, qui était la mère porteuse elle-même). Or, en droit, la mère est celle qui accouche de l'enfant. On ne peut établir la filiation maternelle par aucun moyen (adoption, reconnaissance, possession d'état), car établir une telle filiation reviendrait à donner effet à la convention de mère porteuse, laquelle est contraire à l'ordre public français en vertu de l'article 16-7 du Code civil.
L'avocat général a récemment rappelé que le ministère public avait parfaitement le droit d'agir pour défendre l'intérêt public à l'occasion de faits qui portent atteinte à celui-ci . Quelle est la portée de cette décision ?
C'est peu dire que le ministère public a le droit d'agir pour défendre l'ordre public, c'est son rôle ! Il existe en effet deux sortes de règles : les règles supplétives et les règles impératives. Les règles supplétives, comme leur nom l'indique, suppléent à la volonté des individus. Si les intéressés n'ont rien prévu d'autre, la règle supplétive s'applique, mais il est possible de prévoir autre chose, et de déroger à la règle. Un contrat peut écarter les règles supplétives, en prévoyant d'autres solutions que celles prévues par la loi.
Au contraire, la règle impérative, ou d'ordre public, s'impose aux individus et les intéressés ne peuvent l'écarter, quand bien même ils seraient d'accord pour cela. Le ministère public est garant de l'ordre public et, quand une règle d'ordre public, comme l'interdiction de la gestation pour autrui, est violée, le ministère public a pour rôle de rétablir l'ordre public en question. Sinon, quelle est l'utilité des règles impératives, s'il suffit de se mettre d'accord pour les transgresser ?
Le fait que le procureur ait agi en justice pour faire annuler la transcription des actes de naissance des enfants est donc la chose la plus normale qui soit. La cour d'appel de Rennes avait déjà jugé que la défense de l'ordre public devait entraîner l'annulation de la transcription de l'acte de naissance d'un enfant né d'une mère porteuse (Rennes, 4 juillet 2002). La décision de la Cour de cassation n'est donc en rien une surprise : elle n'a fait qu'appliquer la loi, ce qui est son rôle. Si quelqu'un peut donner effet aux conventions de mère porteuse, c'est le législateur.
Justement, est-ce vraiment un revers pour les partisans de la Gestation pour autrui (GPA) ? En d'autres termes, le législateur ne sera-t-il pas tenté à l'occasion de la révision de la loi de bioéthique de faire valoir un pseudo intérêt supérieur de l'enfant et d'autoriser la retranscription d'actes de naissance dans l'état-civil français d'enfants nés de mères porteuses ?
C'est exactement ce que la cour d'appel de Paris avait fait, en considérant que l'intérêt supérieur des enfants exigeait la transcription des actes de naissance sur les registres français. Pourtant, l'intérêt supérieur de l'enfant est ici bien mal compris. En autorisant la transcription de ces actes, on réglerait la situation de tel enfant précis, mais on porterait atteinte à l'intérêt de l'enfant en général que la loi entend protéger contre cette pratique. S'il est possible de régulariser la situation des enfants nés d'une mère porteuse à l'étranger, l'interdiction cesse d'être dissuasive et la protection assurée par la loi cesse d'être effective !
Le fait qu'une filiation soit établie à l'étranger n'oblige pas à sa reconnaissance en droit français si elle est contraire à l'ordre public français. Par exemple, le juge français peut refuser de donner effet, en France, à un jugement d'adoption prononcé à l'étranger si les parents biologiques n'ont pas donné leur consentement à l'adoption ou s'ils n'ont pas été informés du caractère irrévocable de l'adoption. Pourtant, une fois que l'enfant est en France, élevé depuis de nombreuses années par le couple français, son intérêt n'est-il pas que l'adoption prononcée à l'étranger soit finalement reconnue en France ?
Mais comment ne pas voir qu'une telle reconnaissance ne pourrait qu'encourager les couples désireux d'avoir un enfant à s'accommoder de procédés troubles pour obtenir l'adoption d'un enfant à l'étranger ? On réglerait ainsi la situation de tel enfant précis, mais on porterait atteinte à l'intérêt de l'enfant en général que la loi entend protéger contre ces pratiques qu'elle interdit.
En outre, dans le cas présent, accepter de transcrire les actes de naissance étrangers ne résoudrait en rien la situation des enfants nés de mère porteuse. Seuls ceux nés à l'étranger selon la loi d'un pays autorisant cette pratique seraient concernés. Les autres continueraient d'être dépourvus de filiation maternelle.
Certains demandent que la France organise la GPA afin que tous ces enfants aient une filiation maternelle ?
Une éventuelle légalisation de la gestation pour autrui ne résoudrait pas ce problème. D'ailleurs, le rapport rendu par le groupe de travail du Sénat en juin 2008, qui recommande pourtant la légalisation de la pratique, n'en prévoit pas moins de maintenir l'interdiction d'établir la filiation maternelle dès lors que les conditions posées par la loi n'auraient pas été respectées. Il ne peut que constater l'évidence, à savoir qu'il est inutile de prévoir un encadrement à la gestation pour autrui si les conditions légales peuvent être impunément transgressées.
Quand bien même on légaliserait la pratique, des enfants vont naître de mères porteuses dans des conditions illégales et on se trouvera avec les mêmes difficultés qu'aujourd'hui, à ceci près que les cas seront bien plus nombreux car, une fois la pratique passée dans les mœurs, il y aura beaucoup plus de recours à des mères porteuses de façon illégale. La légalisation de la GPA ne règlerait donc pas tous ces cas et, au contraire, elle contribuerait à en augmenter le nombre.
Oui, mais certains disent que l'enfant n'y est pour rien et que ce n'est pas à lui de payer le prix des erreurs des adultes ?
Il est bien naïf de penser que la justice ou la loi puisse éviter à l'enfant de payer le prix des erreurs des adultes. On ne peut, au nom de l'intérêt de l'enfant, écarter les règles impératives qui sont là précisément pour sa protection, sans ruiner l'intérêt de l'enfant en général, c'est-à-dire celui de tous les autres. Le fait que les enfants paient le prix des erreurs des adultes n'a hélas rien d'original et la loi ne peut pas tout réparer au cas par cas sous peine de perdre sa cohérence.
Les enfants nés de mères porteuses ne sont pas les seuls à payer le prix des agissements des adultes. On pense immédiatement à l'enfant incestueux, mais aussi à des cas plus courants dans lesquels l'enfant ne pourra jamais établir sa véritable filiation, ne serait-ce que parce que le délai pour agir est expiré en raison de l'irresponsabilité des adultes. Il n'est pas une règle du droit de la filiation qui ne soit susceptible de porter atteinte à l'intérêt de tel enfant particulier dans tel cas précis.
Une enquête de Libération [1] met encore le doigt cette semaine sur la collusion entre les réseaux francs-maçons et ultra-féministes dans la revendication actuelle des mères porteuses. N'est-ce pas en définitive un combat idéologique qui veut mettre à bas nos principes juridiques séculaires de protection de l'enfant et d'indisponibilité du corps ?
Il est vrai que l'enthousiasme avec lequel certains volent au secours des quelques dizaines (quelques centaines peut-être ?) de couples demandeurs est assez intrigant. La revendication de la gestation pour autrui va certainement plus loin que la satisfaction du désir d'enfant de ces couples. En effet, la prohibition est fondée avant tout sur la protection de l'enfant (et, aussi, celle de la mère porteuse). Si la gestation pour autrui était admise pour les couples infertiles, cela reviendrait à admettre que cette pratique ne présente finalement pas de danger pour les enfants ou les femmes gestatrices. Il devient alors possible de l'envisager pour permettre non seulement aux couples infertiles d'avoir des enfants mais, aussi, aux hommes célibataires ou eux-mêmes en couple...
Si la gestation pour autrui était accessible aux uns mais non aux autres, cela pourrait très vite être interprété en termes de discrimination entre les uns et les autres et la gestation pour autrui pourrait être revendiquée au profit des hommes homosexuels. Il est certes absurde de poser la question en termes d'éventuelle discrimination entre candidats à l'enfant. La seule question est de savoir ce qui est le meilleur pour l'enfant. Mais, souvent, et la Cour européenne des droits de l'homme donne le mauvais exemple, la question est envisagée du côté des candidats à l'enfant, et il est bien certain que la revendication de la légalisation de la gestation pour autrui dépasse largement le cas des quelques couples hétérosexuels demandeurs.
*Aude Mirkovic est maître de conférences en droit privé à l'Université d'Evry.
[1] Libération, Les mères porteuses veulent la reconnaissance du ventre , 17 décembre 2008.
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