Dans une tribune du Monde de ce dimanche 24 mai, Nadine Morano réaffirme sa volonté de légaliser la technique des mères porteuses. Si personne ne peut ignorer la douleur d'un couple qui ne voit pas venir l'enfant désiré pour des raisons médicales, la souffrance autorise-t-elle la loi à permettre des pratiques inhumaines ? Inhumaines pour la femme, pour le couple et pour l'enfant ?
Déconstruction de la maternité et de la filiation
Pour saisir les enjeux, il convient de distinguer la procréation pour autrui où les parents donnent leurs gamètes, de la gestation pour autrui où l'un des deux parents biologiques peut être un donneur anonyme. Dans les deux cas, les couples désirant un enfant feraient appel à une mère porteuse.
Pour Nadine Morano, il s'agirait en quelque sorte de corriger, par la loi, l'inégalité devant la nature en invoquant la souffrance des couples sans enfant et la générosité des mères porteuses. Elle précise qu'on parle d'une "femme" porteuse et non d'une "mère" porteuse. Là est le scandale, c'est un déni de maternité ! Une femme devient mère du fait même de porter un enfant.
Ou alors veut-elle signifier que cette grossesse devrait être vécue comme s'il ne se passait rien ? Ce serait réduire la maternité de substitution à la location d'un organe. Or la femme, lorsqu'elle devient mère, l'est dans tout son être : son corps, son intelligence, sa psychologie. Sa maternité n'est pas une parenthèse dans sa vie de femme devenue mère, mais le début d'une histoire humaine unique qui commence par l'accueil d'un don, celui de la vie, et qui se projette vers l'avenir.
- Pourrait-on ignorer l'investissement affectif d'une mère qui attend un enfant ? Et déclarer que tout cela n'est pas important, ni essentiel à la croissance de l'enfant ?
- Pourrait-on imaginer un seul instant que les mères porteuses soient les seules mères qui ne préparent pas l'arrivée d'un enfant ? Et qu'une autre femme prépare cette arrivée sans avoir jamais été enceinte ?
Selon les propositions d'un groupe de sénateurs du 25 juin 2008, la mère porteuse doit avoir déjà été mère, on peut donc supposer qu'elle vit en couple et qu'elle pourrait décider de garder l'enfant, ce qui remettrait en cause la question de la propriété de l'enfant. La mère intentionnelle ne serait plus la mère, du fait de changement de décision de la mère porteuse. On imagine déjà l'imbroglio juridique....
Et l'enfant dans tout cela ? De qui est-il le fils ou la fille ? De ses parents intentionnels ? De ses parents biologiques ? De sa mère porteuse qui lui a donné des soins pendant neuf mois ?
Cinq acteurs pourraient revendiquer le nom de parent : le père intentionnel, le père biologique, la mère intentionnelle, la mère biologique et la mère porteuse. Même Mme Morano reconnaissait cet éclatement de la parenté lors d'une interview le 26 juin 2008 : La gestation pour autrui est un acte d'amour. L'enfant grandit dans le corps d'une femme et dans le cœur d'une autre...
Marchandisation du corps humain
Le ministre croit pouvoir minimiser les risques de marchandisation du corps par un encadrement juridique strict.
Outre que cet argument a déjà servi à déroger un certain nombre de principes (par exemple, la recherche sur l'embryon), c'est oublier que la marchandisation ne représente pas seulement et d'abord une question d'indemnisation des frais de maternité, ni un accord éclairé des parties concernées chez le juge. La marchandisation touche au contenu et à l'objet du contrat lui-même : un couple en mal d'enfant passe une commande par contrat pour qu'une femme qui est déjà mère puisse porter pendant neuf mois un enfant qui n'est pas le sien : Nous vous donnons un ovocyte et du sperme et dans neuf mois vous nous donnez notre enfant. L'encadrement juridique de la technique ne changera rien aux termes du contrat.
Quant à l'argument classique de l' exception légale (lever l'interdiction, en France, pour éviter le tourisme procréatif ), il est peu convainquant. En Europe, seules la Grande Bretagne et la Grèce autorisent cette pratique, la Belgique et les Pays-Bas la tolèrent. La France, dans d'autres domaines, assume sa singularité et refuse de suivre certaines législations de nos voisins au nom de son exception culturelle !
Mme Michèle André, qui présidait le groupe de travail du Sénat, avance ce même argument au nom de l'égalité de traitement : Si on regarde l'Union européenne, la Grande-Bretagne et la Grèce ont légiféré dans le sens d'encadrer pour éviter la marchandisation — c'est-à-dire l'argent et le fait que les plus riches peuvent avoir accès à des techniques de cette nature et exclure les autres.
Affirmer que l'encadrement juridique est une garantie pour éviter toute marchandisation est un leurre. Le contrat fait de l'enfant l'objet d'une commande ou d'un échange et de la femme un instrument de gestation. Et nous savons très bien que les mères qui accepteront de porter l'enfant d'une autre sont les femmes les plus vulnérables dont seul compte l'intérêt financier, en dépit de l'argument subjectif de la générosité. Ainsi, comme le précise Sylviane Agacinski, le ventre de la femme devient un instrument de production et l'être humain qu'il porte un produit négociable (Le Monde, 22 mai 2009).
Institutionnalisation de l'abandon
Au terme du contrat passé entre parents intentionnels et mère porteuse, celle-ci devrait abandonner l'enfant dès la naissance. Or le Conseil de l'Europe vient d'adopter une résolution demandant aux États membres de tout faire pour éviter aux mères d'abandonner leur enfant pour des raisons financières, matérielles ou psychologiques. Cette décision exige des États une vraie solidarité et un vrai soutien envers les femmes les plus fragiles de notre société. A contrario, l'idée de Mme Morano est de violer le principe Mater semper certa est – La mère est celle qui accouche , en demandant à la mère porteuse d'abandonner son enfant pour réaliser les termes d'un contrat.
Cependant conscients que la mère porteuse pourrait s'attacher à l'enfant qu'elle porte, les sénateurs ont accepté l'idée qu'elle puisse se rétracter et garder l'enfant, ce qui marquerait la rupture du contrat.
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Alors que depuis plusieurs mois, les Français sont invité à participer aux débats de bioéthique, il serait juste de faire référence aux textes internationaux signés par la France, notamment la Convention d'Oviedo sur la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine. Ce texte rappelle que la dignité humaine inclut l'intégrité, l'identité et la non patrimonialité de l'être humain et marque le souci de sa protection (article 1).
La technique des mères porteuses porte atteinte à l'un des principes fondateurs de notre civilisation : le respect de la dignité humaine, en particulier la dignité de la femme qui ne peut être réduite à un instrument de gestation, et la dignité de l'enfant qui ne peut faire l'objet d'un contrat entre adultes.
Comme l'a exprimé le Premier ministre, François Fillon, dans sa lettre adressée au Conseil d'État, le 11 février 2008, pour préparer les états généraux de bioéthique : la loi ne saurait méconnaître les principes fondateurs qui s'appliquent en la matière .
Ce sont bien ces principes fondateurs qui doivent guider les réflexions lors des états généraux et tout au long des débats parlementaires.
*Élizabeth Montfort est conseiller régional, présidente de l'Alliance pour un nouveau féminisme européen, administrateur de la Fondation de Service politique.
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