Notre approche de la "troisième voie" et de son impasse (Décryptage, 2 mars) ne plaît pas à tout le monde... Dans l'impossibilité de répondre à chacun, voici une réponse globale sur les mérites supposés de l'aspiration centriste à une politique consensuelle au-dessus des partis.
Ce désir de dépassement des clivages stérilisants de la vie politique a sa légitimité, et assurément, sa noblesse. Et ce désir a la vie dure tant la guerre civile larvée qui semble caractériser la vie électorale française est pénible. On a déjà dit ici quelles en étaient les causes profondes, notamment la pesanteur idéologique des partis de gauche. Mais il faut revenir sur les différents habillages de cet hypothétique dépassement... pour en saisir tout l'artifice, en raison de la fausseté de ses principes, et de ses illusions.
1/ La quête d'une union nationale
L'union nationale a une constante : chacun la voudrait sur son programme. Certains sont meilleurs que d'autres, soit ; il n'empêche que le champ de l'action politique est moins celui des principes que celui du possible dans le contingent d'une situation donnée. L'action politique comporte donc, par nature et sans que cela ne la dévalue, une marge d'appréciation qui fonde précisément la diversité des programmes. De fait, l'union nationale n'a été réalisée qu'une fois au XXe siècle en France, entre 1914 et 1918, et autour d'un programme minimum : tenir face à l'ennemi et gagner la guerre. Toutes les autres tentatives ont été vaines, sans qu'il puisse en être autrement.
2/ Le recours à l'homme providentiel
L'expérience historique a été moins limitée, mais plus malheureuse. Elle ne s'est jamais présentée que dans des circonstances dramatiques (défaite militaire s'ajoutant à une crise intérieure ouverte) : 1940 avec Pétain ; 1954 avec Mendès ; 1958 avec De Gaulle. Nous n'en sommes évidemment pas là. On oublie trop aisément quelle en est l'issue habituelle. Le recours à l'homme providentiel repose sur un malentendu (au mieux) ou sur une démission (plus souvent), par lesquels on s'en remet à un autre, sorte de deus ex machina, des efforts de redressement que l'on n'est pas capable d'entreprendre soi-même. Mais comme on ne gouverne pas contre les gens, ni même sans eux, la réalité de la société finit toujours par reprendre le dessus, au prix d'une déchirure civile qui aggrave le mal.
3/ La vertu du juste milieu
Il ne faut pas confondre la vertu de tempérance qui doit guider chacun de nous dans l'usage modéré qu'il peut faire des biens et plaisirs de ce monde, avec une poire coupée en deux. Deux demi-vérités ne font pas une vérité toute entière ; pas plus que deux demi-mesures ne font une politique cohérente.
Piocher des idées ici et là pour les amalgamer en un compromis acceptable par deux camps antagonistes ne fait pas un programme. Non qu'il n'y en ait pas de bonnes des deux côtés ; mais le syncrétisme engendre plus de confusion qu'il ne confère de cohérence à une démarche politique dont la fiabilité implique l'inscription dans une perspective longue et structurée. De plus, sur les questions qui touchent aux valeurs fondatrices de la société, telles que la protection de la vie, le respect du mariage ou le droit des enfants à avoir un père et une mère, il y a des compromis impossibles ou inacceptables.
4/ L'aspiration au ni gauche/ni droite
L'unanimité demeure du domaine du rêve et de l'incantation, à moins qu'elle soit imposée de force.
La vie politique se structure nécessairement selon un clivage binaire pour la raison très simple que gouverner, c'est choisir , et obtenir sur ce choix l'adhésion d'une majorité. Le corollaire, c'est une minorité qui milite en faveur d'options différentes et se trouve donc dans l'opposition.
Réalité qui n'est pas propre au régime démocratique mais qui s'y impose tout spécialement d'une part parce que l'électeur a besoin d'identifier clairement les options qu'on lui offre, d'autre part parce que la confusion engendre l'absence de majorité, laquelle obscurcit la portée du vote et empêche de gouverner, et finit par conduire l'électeur vers les extrêmes où il pense trouver le véritable changement qu'il n'a plus au cœur du système.
Derrière la récusation du clivage gauche/droite, qui agite la vie politique française depuis des lustres, se cachent en réalité deux erreurs et un mensonge. La première erreur tient à la méconnaissance du caractère mobile de ce clivage qui n'est pas figé mais évolue avec la société elle-même et en fonction des enjeux. La seconde porte sur l'idée même d'alternance : loin d'être un mal, elle est une nécessité car le pouvoir use et corrompt ; il est indispensable d'en changer régulièrement les titulaires et, pour ce faire, on n'a rien trouvé de mieux que l'affrontement électoral entre deux camps.
Le mensonge concerne ceux qui ambitionnent de conduire la politique d'un bord avec les voix de l'autre bord.
Pour en savoir plus :
■ L'impasse de la troisième voie , Décryptage, 2 mars 2007.
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