En revenant de Lourdes, après avoir prié la Vierge avec le pape, la faiblesse est de se précipiter dans les kiosques. L'armada de photographes professionnels présents, et de journalistes forcément compétents dépêchés par les rédactions, annonçait une couverture à l'aune de l'événement vécu par des centaines de milliers de personnes.
La horde des photographes, debout sur une estrade à la grotte, n'allait-elle pas jusqu'à empêcher de voir le pape s'y recueillir ? Mais en définitive, pourquoi tout cela ? pour quelles photos ? Aucune dans Le Point (1). Pas même un article. Quant à L'Express (2), il s'oppose avec une semaine d'avance à Jean-Paul II lorsqu'il affirmera lors de son homélie du 15 août : " Les dogmes de l'Immaculée conception et de l'Assomption sont intimement liés. "
L'hebdomadaire décide, en effet, que le pape de la semaine est Jacques Duquesne, l'auteur de Marie (Plon). À la faveur de l'événement marial à venir, il prépare le terrain pour son "livre intrépide et édifiant" ainsi que le dit avec tous, à son tour, Claude Imbert dans son éditorial. Un livre reçu seulement dans les rédactions, évidemment. Stratégie grossière ! Et quel mépris des lecteurs et de l'information !
Le n° 1666 du Point – numéro particulièrement mauvais – affiche en Une un titre éloquent : "Rentrée 2004 : Les nouveaux snobismes, Design, Loisirs, Beauté, Saveurs, Mode", et n'ose offrir du voyage de celui qu'on nomme déjà "Karol le Grand", que l'éditorial d'un athée peu tolérant à l'encre acrimonieuse. Ironie d'un sort grotesque que celle de trancher en faveur de l'éphémère, du superficiel et du superflu contre ce qui dure !
Il est des délabrements, spirituels et intellectuels, pire que "l'extinction des moyens physiques" – selon la formule de l'auteur (1) ! – aveuglements tragiques en tout cas, plus opiniâtres et plus effrayants encore lorsqu'ils viennent d'un esprit ramolli et d'une intelligence contaminée qui ne veut plus, ne peut plus être libre.
Tragiques toujours, quand le tout s'exhibe de manière ostentatoire, vendu à des milliers d'exemplaires à des lecteurs de plus en plus formatés. Franz-Olivier Giesbert, rédacteur en chef du Point, a-t-il donc trouvé juste qu'un événement de cette envergure ne soit même pas vu, soit passé purement et simplement sous silence ? Que douze pages d'objets "tendance" aient été réservées précisément la semaine de la venue de celui qui, malade, venait dire aux malades, et donc à tout homme de bonne volonté, ce que l'Évangile dit de la souffrance, quel usage surnaturel de la souffrance le christianisme propose, et ajouter au mensonge par omission volontaire l'ersatz théologique d'un pseudo exégète comme modèle, quelle manipulation ! Serait-ce cela notre belle laïcité ?
Les pages de l'émotion
Alors pourquoi pas Paris Match (3) ? Une fois de plus, l'hebdomadaire s'est trouvé à la hauteur sur les grands événements religieux, malgré sa vocation sensationnelle. Que ce soit l'éditorial d'Alain Genestar, ou les six pages de l'article de Caroline Pigozzi, vrai, documenté jusqu'aux détails hyperréalistes, l'événement est couvert. L'article révèle surtout la chose à voir lorsqu'on a des yeux : l'émotion. Émotion de compassion. Émotion de tendresse filiale. L'émotion a saisi également et, malgré elle, la journaliste, et en professionnelle du fait vrai, humaine, elle l'avoue, dans ses derniers paragraphes : car, oui, de l'émotion, il y en avait, à Lourdes, près du vicaire du Christ implorant la Vierge pour le monde.
Nous avions tous, à la grotte de Massabielle, les larmes aux yeux, fidèles de base, jeunes et vieux, malades ou bien portants, prêtres et cardinaux. Mais qui a osé être assez libre pour le dire, pour en faire l'humble aveu, pour titrer "Les larmes du pape" ? En mystique, on parle positivement du don des larmes... Mais ici, à cacher avec le reste !
Il y a décidément d'autres murs à faire tomber, le pape le sait plus que tout autre. Et nous, ingrats parce qu'aveugles, nous ne reconnaissons même pas tout ce que nous devons à cet homme-là -- pire, nous le nions !
Les numéros de Paris Match sur les questions religieuses, que ce soit sur les voyages du pape en France, notamment en 1980, ou sur l'historique et belle nomination de Mgr Lustiger à Paris, ou sur la mystique stigmatisée Marthe Robin, "sentinelle de l'Invisible" s'il en est, adoptent décidément le ton juste, avec certes leur mode propre. Là, l'image de ce septième voyage en terre de France, sur notre belle terre de Bigorre, la photo sur double page du regard suppliant de Jean-Paul II qui s'accroche à la Croix du Christ et que le photographe a su saisir, ne manque pas son objectif de vérité, la photo relaie l'indicible autant que l'essentiel.
Et pour en finir avec la mascarade, et pour ceux qui se laisseraient abuser avec Claude Imbert ou Claire Chartier par l'éloge pas vraiment catholique du livre de Duquesne, lire ou relire la critique du Figaro Littéraire écrit par un jeune dominicain... Le titre dit tout : "Notre-Dame des Poncifs."
(1) L'éditorial de Claude Imbert, "Athènes et Lourdes", Le Point du 19 août 2004.
(2) Claire Chartier, "Et si c'était la première femme moderne ? Marie, Le livre choc de Jacques Duquesne, Relecture d'une histoire sainte à la lumière de la modernité", L'Express du 9-15 août 2004.
(3) L'éditorial d'Alain Genestar, "Le Pape et le biologiste", Caroline Pigozzi, "Jean-Paul II : l'annonce faite à Marie", Paris Match du 19-25 août 2004.
(4) Philippe Verdin, op., "Notre-Dame des Poncifs", Le Figaro littéraire, 12 août 2004.
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