On pourrait contester l'opportunité d'instaurer un avantage fiscal en faveur des ménages ayant emprunté pour se loger – cela risque de relancer la hausse des prix de l'immobilier qui, fort heureusement, est en train de se calmer ; mais il s'agit d'un engagement pris par celui qui a été élu président de la République, et les engagements doivent être tenus.
On pourrait également discuter à propos de la limitation éventuelle de cet avantage aux ménages ayant effectué leur acquisition depuis une certaine date ; mais le chef de l'État vient de trancher : les emprunts anciens donneront droit à un avantage fiscal tout comme les nouveaux.
Intéressons-nous donc à ce qui reste à décider : la forme à donner à cet avantage fiscal. Déduira-t-on les intérêts du revenu imposable, accordera-t-on une réduction d'impôt, ou attribuera-t-on un crédit d'impôt ? Le choix entre ces trois formules, sous des apparences techniques, est en réalité une question de philosophie politique ; il indiquera dans quelle direction entend aller le nouveau pouvoir.
Déduire les intérêts du revenu imposable ne présente un avantage que pour les ménages qui sont imposables sur leur revenu, c'est-à-dire une petite moitié des ménages français. Cela revient à refuser le bénéfice de la mesure aux titulaires de faibles revenus (par exemple une personne seule percevant le SMIC) et aux familles, notamment les familles nombreuses où seul l'un des conjoints travaille, dès lors que celui-ci n'est pas au sommet de l'échelle des revenus professionnels. En outre, pour un foyer fiscal imposé au taux marginal de 40 %, la mesure serait 7 fois plus avantageuse que pour son homologue atteignant seulement la tranche à 5,5 %. Elle établirait dès lors une discrimination à l'encontre des personnes les moins bien payées et des couples les plus féconds.
La réduction d'impôt ne s'applique, par définition, qu'aux contribuables redevables de l'impôt sur le revenu. Pour ceux qui sont faiblement imposables, elle joue de façon partielle : si les époux Martin ont une cotisation d'impôt de 300 €, une réduction d'impôt se montant théoriquement à 1200 € ne leur rapporte en fait que 300 € ; ils se trouvent désavantagés à hauteur de 900 € par rapport aux époux Durand qui ont contracté un emprunt identique mais gagnent davantage ou ont moins d'enfants, si bien que leur contribution d'impôt atteint 2 000 € : la mesure rapporte 1 200 € aux Durand contre 300 aux Martin.
Le crédit d'impôt est en définitive la seule technique socialement et familialement équitable. Si ce crédit d'impôt est par exemple égal au quart des intérêts versés, quels que soient les revenus et la composition du ménage il diminue du quart l'amputation de son budget par les frais financiers. Ce n'est certes pas la seule façon d'obtenir ce résultat : une bonification d'intérêt (prise en charge par l'État d'une fraction des intérêts dus à la banque) reviendrait au même.
La bonification d'intérêt serait plus visible dans les comptes de l'État, et donc plus en harmonie avec l'esprit de la LOLF, la loi d'orientation des lois de finance. Mais, dès lors que, en dépit de déclarations de principe sur la nécessité de diminuer le nombre des niches fiscales , le Président et le gouvernement ont décidé d'emprunter la voie fiscale, c'est clairement au crédit d'impôt qu'ils doivent avoir recours s'ils entendent ne pas rendre moins égaux face au subventionnement des achats de résidences principales les foyers les plus modestes et ceux qui comprennent le plus grand nombre d'enfants.
*Jacques Bichot est économiste, professeur à l'Université Jean-Moulin (Lyon III).
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