euthanasie

« Peut-on aller plus loin dans les cas exceptionnels où l’abstention thérapeutique ne suffit pas à soulager les patients aux prises avec une douleur irréversible et qui appelle un acte médical assumé au terme d’une décision partagée et réfléchie ? » a demandé François Hollande lors de son déplacement à Rueil-Malmaison le 17 juillet dernier, à la maison Notre-Dame du Lac qui est la deuxième structure nationale en termes d’offre de soins palliatifs. 

Le mot d’euthanasie n’est toujours pas prononcé mais aucun commentateur n’est dupe sur les intentions du chef de l’Etat et de sa majorité : il s’agit bien d’autoriser dans les mois qui viennent l’assistance médicale à mourir à la demande du malade, quitte à avancer « prudemment » sur un dossier brûlant où les oppositions demeurent très fortes, en particulier dans le milieu de la réanimation ou des soins palliatifs.

Dans son discours, le chef de l’Etat a choisi de ne pas présenter une éventuelle légalisation de l’euthanasie comme une rupture par rapport à la loi Leonetti mais plutôt comme son prolongement. Un stratagème qui permettrait de ne pas heurter de front une profession médicale majoritairement réfractaire à toute remise en cause de l’interdit de tuer.

Perfectionner la loi sur la fin de vie ?

Fidèle à sa réputation d’homme de « consensus » et de « dialogue » aux dires de ses amis, François Hollande a exclu d’apporter lui-même une réponse trop catégorique à sa propre question, confiant le soin au professeur Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique, de conduire une mission de réflexion chargée de lui faire des propositions avant la fin de l’année sur le sujet. 

Nous voudrions appeler à la vigilance sur cette stratégie du Président et de son gouvernement de désamorcer par avance toute controverse en présentant une éventuelle évolution en matière de fin de vie non en termes de rupture mais comme un prolongement « naturel » de la loi du 22 avril 2005. Jean-Marc Ayrault n’avait pas dit autre chose en expliquant début juin à l’antenne d’une radio catholique que le gouvernement envisageait de « perfectionner la loi Leonetti ». Il fallait mal connaître le dossier pour penser qu’il s’agissait là d’un recul dans la volonté de la gauche d’instaurer « une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité » selon l’engagement n. 21 du programme présidentiel.

Les socialistes n’ignorent pas que la loi du 22 avril 2005 adoptée à l’unanimité par le Parlement est considérée par tous les spécialistes de la question comme l’une des grandes lois françaises de ces dernières années, étudiée avec intérêt par les pays étrangers dont certains n’hésitent pas à s’inspirer pour écrire leur propre législation. Tout en promouvant l’accès aux soins palliatifs et le traitement de la douleur, la loi proscrit l’acharnement thérapeutique dans le respect de la volonté du malade et au terme d’une procédure collégiale transparente[1]. François Hollande n’a pu que rendre hommage à la législation actuelle dans son discours de Rueil-Malmaison avant de demander s’il ne fallait pas prolonger le dispositif par la permission d’un « acte médical » assumé collégialement dans certains cas exceptionnels, autrement dit un geste directement létal anticipant la mort du malade.

Pour mieux rallier les uns et les autres à l’idée d’une évolution de la loi Leonetti, la gauche en propose une nouvelle interprétation qui permet de jeter la confusion dans les esprits. Dans un éditorial révélateur, Le Monde a d’ailleurs parfaitement traduit ce qui se trame dans cette guerre sémantique : « La loi Leonetti autorise les médecins à laisser mourir les patients en stoppant tout traitement actif. Cette forme d’euthanasie passive (…) ne répond pas à tous les cas complexes, notamment de certains malades graves et/ou chroniques qui réclament la mort par un geste actif de la part des soignants [2]».

Confusion entre euthanasie passive et arrêt de traitement

Autrement dit, il s’agit de faire croire que les limitations et arrêts de traitements autorisés depuis 2005 par la loi Leonetti relèvent de l’euthanasie passive, dernière marche avant une éventuelle dépénalisation de l’euthanasie active par injection mortelle. Il n’y aurait de fait qu’une différence de degré entre la législation en vigueur et le projet socialiste d’exception d’euthanasie.

Il est donc primordial de savoir ce que dit exactement la loi Leonetti pour ne pas tomber dans le piège tendu. Celle-ci a modifié le Code de la santé publique pour autoriser les limitations ou arrêts de traitements en les insérant dans un cadre éthique extrêmement rigoureux. La loi française précise que « les actes médicaux ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris [3]». Les mots n’ont pas été choisis au hasard. Seule l’intention d’éviter de tomber dans une « obstination déraisonnable », anciennement appelée « acharnement thérapeutique », autorise un médecin à ne pas débuter ou stopper un traitement devenu inutile ou disproportionné. Dans ce cas, la cause de la mort qui peut en découler est la pathologie sous-jacente. Le malade, s’il décède, ne meurt pas du fait du médecin mais du libre cours de sa maladie dont il devient déraisonnable d’empêcher l’issue fatale.

Selon la définition classique reconnue par les professionnels de santé, l’euthanasie est une action ou une omission perpétrée avec l’intention de donner la mort à un malade pour supprimer sa souffrance ou sa douleur. Il est essentiel de comprendre que l’euthanasie dite passive, c’est-à-dire l’abstention (ou la suspension) d’un traitement bénéfique et proportionné à l’état d’un malade dans le but de précipiter son décès, demeure strictement interdite par la loi. Le Code de la santé publique et le Code de déontologie médicale sont formels : « Le médecin n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort » (article R. 4127-38). Ne pas administrer de l’insuline à un patient qui décompense son diabète avec l’intention de précipiter sa mort ou injecter à ce même malade une dose de curare sont deux « actions » qui semblent a priori très différentes l’une de l’autre pour un observateur extérieur. Elles relèvent en fait de la même appréciation criminelle et sont donc rigoureusement prohibées par la loi.

L’omission ou l’abstention peuvent être des actes criminels, l’inaction étant une forme d’action, comme ne pas prévenir d’un danger mortel, ne pas empêcher celui qui recule de tomber dans le vide. Si l’euthanasie est la plupart du temps de commission, elle peut aussi être d’omission. La distinction entre omettre et commettre n’a pas de pertinence éthique quand l’intention est bien celle de tuer le malade.

Entretenir la confusion pour piéger le débat ?

La Société de réanimation de langue française a été parfaitement claire sur ce point : « Il ne faut pas comprendre sous le terme d’euthanasie passive la limitation ou l’arrêt des traitements relevant, non pas de l’intention de donner la mort, mais du renoncement à l’acharnement thérapeutique, qui intervient lorsque l’on constate que la mise en œuvre d’un traitement ou sa poursuite relève de l’obstination déraisonnable. Toutes les formes d’administration intentionnelle de la mort, directes ou indirectes, sont interdites par la législation française. Le Code de déontologie médicale rappelle cette interdiction dans son article 38 (…). Les décisions de limitation ou d’arrêt des traitements doivent donc être distinguées de l’euthanasie « active » et de l’euthanasie « passive ». Elles en diffèrent radicalement par leur intention : intention de provoquer ou d’accélérer la mort dans le cas de l’euthanasie, intention d’éviter des traitements et des souffrances inutiles dans le cas du renoncement à l’acharnement thérapeutique [4]».

On remarquera que l’enseignement magistériel de l’Eglise ne dit pas autre chose comme l’a confirmé le bienheureux Jean-Paul II au n. 65 d’Evangelium vitae : « Il faut distinguer de l'euthanasie la décision de renoncer à ce qu'on appelle l'« acharnement thérapeutique », c'est-à-dire à certaines interventions médicales qui ne conviennent plus à la situation réelle du malade, parce qu'elles sont désormais disproportionnées par rapport aux résultats que l'on pourrait espérer ou encore parce qu'elles sont trop lourdes pour lui et pour sa famille (…). Le renoncement à des moyens extraordinaires ou disproportionnés n'est pas équivalent au suicide ou à l'euthanasie; il traduit plutôt l'acceptation de la condition humaine devant la mort ».

Dernier point extrêmement important pour comprendre l’esprit de loi française, la décision de retrait des thérapeutiques prise après discussion collégiale au sein de l’équipe soignante devrait entraîner obligatoirement le passage du temps curatif au temps palliatif. La France est d’ailleurs l’un des premiers Etats au monde à avoir créé un « droit individuel aux soins palliatifs pour les personnes qui le nécessitent » ainsi que l’a reconnu explicitement le Conseil d’Etat en 2009[5]. Ne pas entreprendre ou arrêter un traitement inutile ou disproportionné n’équivaut donc pas à « laisser mourir » le malade comme on nous le répète aujourd’hui, mais au contraire oblige à l’accompagner en lui dispensant les soins palliatifs les plus appropriés si nécessaire.

Dire que la loi du 22 avril 2005 est une forme d’euthanasie passive et de laisser mourir permet de la présenter comme la dernière étape avant la légalisation de l’euthanasie active. La manipulation ne relève pas seulement de l’ignorance de nos responsables politiques, elle constitue une ressource stratégique savamment entretenue dans le but d’obscurcir le débat sur la fin de vie pour mieux parvenir à ses fins. Autrement dit, toute autorisation d’euthanasie, fût-elle exceptionnelle, constituerait une rupture éthique majeure avec la législation actuellement en vigueur.

[1] Dans le cadre de cet article, nous n’aborderons pas la question du retrait de l’alimentation artificielle chez les personnes en état végétatif chronique permis par la loi Leonetti qui équivaut à une véritable euthanasie. Malgré la transgression que cette pratique constitue en elle-même et qui ne saurait donc être acceptée en aucun cas, le jugement que l’on est en droit de porter sur la loi française demeure globalement positif.

[2] Editorial, « Euthanasie et fin de vie : qui peut décider ? », Le Monde, 18 juillet 2012.

[3] Article L. 1110-5 du CSP, Loi n. 2005-370 du 22 avril 2005, article 1, Journal officiel 23 avril 2005.

[4] Société de réanimation de langue française, « Limitation et arrêt des traitements en réanimation adulte », Réanim (2010) ; 19 : 679-698. Cf. aussi S. Grosbuis, F. Nicolas, S. Rameix, O. Pourrat, F. Kossman-Michon, Y. Ravaud, F. Blin, P. Edde, « Bases de réflexion pour la limitation et l’arrêt des traitements en réanimation chez l’adulte », Réanim Urgences (2000) ; 9 : 11-25.

[5] Conseil d’Etat, La révision des lois de bioéthique, La documentation française, 2009, p. 111.