Lorsqu'on veut sauver son chien enragé, il suffit de mettre sur le compte de la puce qui le démange son excitation et ses comportements bizarres. Tel est le sentiment qui domine à la lecture du dernier rapport en date sur les avatars de la gestion des grandes entreprises publiques par leurs récent ou actuel présidents, rapport établi " au nom de la commission d'enquête sur la gestion des entreprises publiques afin d'améliorer le système de prise de décision ", commission présidée par Philippe Douste-Blazy.
Les " commissaires " nous font aussi penser à tous ceux-là qui, lors du naufrage du socialisme réel à l'Est dans les années 80, mettaient la faillite de l'économie centralement planifiée sur le compte du " stalinisme ", cet excès manifeste d'un système communiste qui gardait toutes ses chances, dès lors qu'il serait réformé efficacement de l'intérieur. D'autres au contraire soutenaient déjà, un peu sommairement sans doute mais non moins justement, qu'" on ne réforme pas l'armée soviétique ".
Bien que les rédacteurs de ce rapport semblent à la recherche de formules susceptibles de marquer l'esprit de leurs contemporains : " Un mot peut résumer la situation de certaines entreprises publiques ces dernières années, c'est celui de faillite ", ils renâclent à formuler la conclusion de bon sens que l'on attendrait pour le moins d'un panel issu d'une majorité parlementaire " libérale " : la seule vraie manière d'améliorer la gestion des grandes entreprises publiques est de les soumettre au droit commun, c'est-à-dire de les privatiser. Et, comme il faut donner du temps au temps et que l'on ne peut privatiser du jour au lendemain EDF et la SNCF (qui a la chance de bénéficier d'un traitement de faveur dans ce rapport, alors que, pour le contribuable français du moins, la SNCF c'est, bon an mal an, un petit Crédit Lyonnais), l'objectif politique de ce rapport pourrait être d'encourager le gouvernement à réduire autant que possible le temps nécessaire pour faire rentrer le secteur public dans le giron du droit privé et de la saine concurrence, dont l'éloignement a permis les abus déplorés et tant et plus de gâchis oubliés.
Alors, en effet, la plupart des lacunes constatées dans la " gouvernance " des entreprises publiques ces dernières années recevraient un début de réponse " technique " : présence d'actionnaires véritables au sein des conseils d'administration, abolition des conseils d'administration fantoches à la solde des ministres de tutelle, banalisation progressive du statut des personnels, etc.
Faute de vouloir tirer cette conclusion, qui n'aurait pas été au demeurant une vraie découverte (Marcel Boiteux lui-même a fini par se rallier à la solution d'une privatisation nécessaire en ce qui concerne EDF et par dire pourquoi dans la revue Commentaire après de nombreuses années d'atermoiements et de dénégations), et que sa tonalité même, très (trop) critique, semblait impliquer, le rapport Douste-Blazy / Diefenbacher s'embourbe dans une myope accusation des gestions des derniers présidents de France Télécom et d'EDF (ceux de La Poste trouvant également une certaine grâce aux yeux des membres de la commission).
Il n'hésite pas, au-delà de la critique, à formuler des " conseils " pour une gestion publique améliorée (adopter " une vision plus stratégique, une surveillance moins tatillonne ") tout en gardant pour le bouquet final la géniale idée de " créer une commission ", la seule qui nous manquait encore : " le comité interministériel d'orientation " (de la gestion des entreprises publiques). Ce dernier viendrait " utilement " compléter, on imagine, l'action de l'Agence des participations auquel le ministre de l'Économie a sagement décidé, sur la recommandation du rapport Barbier de la Serre, de confier la gestion des participations de l'État pour préparer les entreprises publiques (et leur actionnaire de référence actuel) à leur état futur d'achèvement : être des sociétés de droit commun dans la concurrence mondiale, inévitable destin des grands, et même des plus petits, dans ce monde tel qu'il va.
Revenons brièvement sur le premier point, à savoir la critique au vitriol des présidents de France Télécom et d'EDF, puis sur l'aspect le plus intéressant de ce rapport qui souligne la vraie force motrice derrière l'évolution de fond du secteur public en France.
Même si le président de la commission prévient dès l'avant-propos que " compte tenu des difficultés financières de certaines entreprises publiques, la commission a souhaité, dans son ensemble, travailler dans la sérénité. Les accusations contre telle ou telle direction, sources de polémiques inutiles, risquaient de porter préjudice aux entreprises alors qu'il s'agit de les aider à se redresser, à améliorer leur gestion, à faire face à la concurrence croissante ", le ton est donné sept lignes plus loin. " Clairement, poursuit P. Douste-Blazy, la présidence de M. Michel Bon a mené France Télécom à un endettement gravissime. Même si les conditions économiques et notamment la bulle Internet ont joué leur rôle, trop de risques inconsidérés ont été pris sans contrôle. Les exemples de Mobilcom et de NTL, précisément analysés dans le rapport, le démontrent assez. Il est dès lors difficilement admissible qu'après sa démission en septembre 2002, M. Bon ait continué à percevoir sa rémunération jusqu'en juin dernier ".
Les réactions de la presse seront donc logiquement aussi dépassionnées que le rapport le promettait.
Que l'on nous comprenne bien : les faits reprochés à Michel Bon (des spécialistes des télécoms se demandent toujours quel expert l'a conseillé pour lui faire accepter la valorisation d'Orange, dont l'achat à un prix déraisonnable a été le point de départ de la descente vertigineuse du cours de bourse de FT) et à François Roussely sont indéniables, comme le sont ceux, pour remonter à un passé immédiatement antérieur, reprochés à J.-M. Messier ou à J.-Y. Haberer. Ils sont même tellement indéniables que l'on peut se demander s'il est besoin de réunir une commission pour les rappeler, plutôt que de faciliter l'action de Colette Neuville.
Cependant le facteur personnel nous paraît être de second ordre par rapport au fait institutionnel ou " systémique " qui dépasse les hommes en cause : une entreprise publique par définition peut prendre des risques d'une tout autre ampleur qu'une entreprise privée, c'est presque " pour cela " qu'elle a été conçue d'ailleurs, puisque selon des théories dont la démonétisation n'est pas très ancienne, l'une des grandes limites de l'entreprise privée serait liée à la " myopie du marché " (dont le corollaire direct revenait à soutenir que chaque fonctionnaire, ou chaque agent du secteur public par contamination, est né avec une longue vue). Les erreurs potentielles des entreprises publiques sont donc plus grandes et plus coûteuses, c'est compris dans le " concept ".
L'autre fait institutionnel qui aurait pu être relevé à l'origine des erreurs de gouvernance de ces entreprises, c'est l'erreur de casting qui consiste à confier les destinées des plus grandes entreprises françaises à des hommes issus de l'administration, qui sont tous des spécialistes, selon l'expression de Donald Regan, de l'OPM (other people's money, l'argent des autres). Derrière chaque erreur entrepreneuriale de poids (de l'UAP à Vivendi en passant par le Crédit Lyonnais), se cache presque toujours un inspecteur des finances, non sans doute parce que les représentants de cette catégorie seraient dotés d'un QI inférieur à la moyenne nationale, mais peut-être plus simplement parce qu'il ne suffit pas de sortir dans les premiers rangs d'une école d'administration, fût-elle nationale, pour savoir ex nihilo diriger une entreprise, même publique. D'autant que ces entreprises présentent aujourd'hui l'inconvénient décisif de ne plus jouer dans un contexte national et monopolistique où les erreurs de gestion (qui ont été constantes, notamment sous la forme d'occasions manquées multiples par la démotivation de toute la chaîne intermédiaire de commandement et donc de la base) étaient noyés dans la masse de profits monopolistiques garantis par l'État. Mais il est vrai qu'il n'est pas besoin d'un long rapport de plus pour conclure : " À chacun son métier, les vaches seront bien gardées ". Et pourtant la question est posée : le bon sens est-il, en France, la chose du monde la mieux partagée ?
Il en va de même pour l'agenda européen qui constitue l'impulsion première du mouvement de fond dans le secteur public français. Le rapport rappelle à juste titre que la libéralisation manifestement bénéfique (qui voudrait revenir au monopole des télécommunications ?) ne s'est faite chez nous que grâce à des directives européennes successives (votées à Bruxelles et presque toujours hypocritement reniées à Paris par des décideurs honteux) : dans les télécommunications, l'énergie, la poste et le transport ferroviaire après le transport aérien. " La libéralisation des industries de réseau, longtemps considérées sous l'angle de la catégorie intouchable et sui generis de services publics, et leur " ouverture à la concurrence ont ainsi constitué, selon M. Edmond Alphandéry, ancien ministre de l'économie et des finances et ancien président d'EDF, un excellent moteur pour les entreprises publiques en ce qu'elles obligent à penser différemment, à gérer les coûts et à rechercher davantage de souplesse " (introduction p. 7).
Force est de constater, une fois encore, que le rappel de ces vérités à dire vrai suffisantes, auxquelles les vérités propres de ce rapport parlementaire apporte peu de valeur ajoutée pour la réflexion et l'action gouvernementale, risquait de faire tourner court ce rapport et de le priver de l'originalité requise par nature dans ce genre d'exercice.
L'avoir allongé et personnalisé ne le rend malheureusement pas moins " court ".
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