Source [Le Salon Beige] La pathologie de M.Macron la plus dangereuse pour la France n’aura bien évidemment pas été son covid [NDLR : dans ce monde de transparence qu’il nous a promis, aurons-nous la possibilité de connaître son traitement ?] mais sa diarrhée verbale. Et là, nous devons confesser une erreur : nous avons cru que son entretien sur le média BRUT en début décembre avait constitué une sorte d’horizon indépassable au moins jusqu’à la fin de l’année 2020. Eh bien, c’était mal connaître ses capacités : il y a eu une nouvelle giclée sphinctérienne, particulièrement abondante (neuf pages), dans le dernier numéro de l’Express, en date du 23 décembre 2020.
On y retrouve ce caractère soyeux qui, d’après Napoléon, caractérisait extérieurement si bien Talleyrand : cet art de la rhétorique et de la pose qui a tellement fasciné pendant tous les épisodes du Grand Monologue (qu’on repense seulement à cette séquence inouïe du 18 mars 2019, pendant laquelle M.Macron a tenu huit heures de rang d’« Echanges avec des intellectuels à l’occasion du Grand Débat National » et qui a semblé se terminer uniquement parce que la salle se vidait au fur et à mesure que l’heure passait, ne restant plus que quelques ministres d’astreinte et des rescapés muets), cet art d’enchaîner les formules, de paraître affronter les questions avec audace et de savoir traiter de tout de façon claire si l’on accepte de se laisser entraîner dans le tourbillon de l’hypnose à tendance psychologisante.
Dans ce nouvel entretien, remarquons tout d’abord que M.Macron se complaît à se référer à ses discours précédents, démontrant que pour lui, le discours vaut action :
- « Je crois à une politique de la reconnaissance [NDLR : des divers horizons culturels]… c’est pour cela que dans le discours des Mureaux, j’ai voulu insister sur la reconnaissance par la mémoire, par les diplômes… »
- « Nous avons occulté ces histoires… en oubliant la part d’Afrique dans le débarquement de Provence, ce que j’ai tenu à corriger le 15 aout 2019»
- « Quand je m’exprime sur la chaîne Al-Jazeera, quand j’écris au Financial Times pour défendre notre liberté d’expression, notre laïcité, c’est bien ce combat que j’assume, celui, séculaire, des Lumières».
- « Je crois que cette nation-idée dont parle Mona Ozouf peut s’incarner concrètement. En particulier en célébrant les héros passés et présents qui ont porté haut les valeurs françaises. C’est pour cela que j’ai tenu à panthéoniser Maurice Genevoix et tous ceux de 14… Pour cela aussi que je rends hommage aux héros contemporains»
Ceci étant dit, d’après la Une du journal, l’entretien était consacré à ce que M.Macron, président de la République, pense des Français. Cela lui permet tout d’abord de sortir les formules ciselées qu’il affectionne :
- « Nous avons renoué avec nos doutes ancestraux… Cela ne me rend pas pessimiste pour autant. Car je suis certain que ces doutes sont une énergie politique très rare».
- « Nous sommes à présent pris par notre volonté farouche, absolue, de reprendre le contrôle de notre vie, de notre vie intime et de la France comme nation».
- « Une société pour avancer a besoin de commun, que des principes d’autorité politique, académique, scientifique existent. Et ce commun, parce qu’aussi l’espace public est de plus en plus fragmenté, est de plus en plus difficile à produire»
- « Je suis persuadé que, dans tous les domaines, il nous faut renouer avec notre capacité à nous projeter dans l’avenir, à retrouver une confiance en nous et en chacun et la certitude que nous pouvons bâtir. Renouer avec l’esprit de conquête».
- « La capacité française à retrouver son destin passe par cette Europe, plus souveraine. Et donc [NDLR : on avoue avoir du mal à comprendre la relation causale entre ce qui précède et ce qui suit] ce « Nous, Français » ne se construira qu’en retrouvant le goût de l’avenir dans de monde si incertain Ce « Nous, Français » et un principe d’action, à la fois une identité narrative, historique, culturelle et une praxis pour aujourd’hui et pour demain» [ce sont les mots de fin de l’entretien].
Le tableau qui en ressort ne porte guère à l’optimisme. Ajoutons encore : « Un pays très politique, perclus de passions contraires » ; en réponse à une question sur le rapport à l’Etat : « Le traumatisme, c’est effectivement le rapport à l’Etat… nous sommes dans cet entre-deux permanent, c’est notre belle névrose » ; « ce doute existentiel, en nous… » ; « Le problème clef pour moi, c’est l’écrasement des hiérarchies induit par la société du commentaire permanent, le sentiment que tout se vaut… C’est ce poison qui nous menace ». Et même ses fameux intellectuels ne sont pas épargnés : « Beaucoup d’intellectuels n’ont pas su penser un avenir français durant ces décennies de crise ».
Et d’ailleurs, qu’est-ce que c’est qu’être Français pour M.Macron ? C’est quand même inquiétant et symptomatique d’avoir à chaque fois besoin de redéfinir ce qui devrait nous être consubstantiel, évident, allant de soi ! Dans l’entretien à BRUT, M.Macron avait dit : « On tourne autour d’une question : qu’est-ce que c’est qu’être Français aujourd’hui ? D’abord, c’est participer à un projet et à une citoyenneté ». Pour l’Express, ça change un peu : « Il me semble qu’être Français, c’est d’abord habiter une langue et une histoire, c’est-à-dire s’inscrire dans un destin collectif. C’est pour cette raison que nous renforcerons les cours de français [NDLR : au même titre que les cours d’arabe ?] et nos exigences en histoire ». Il y a ainsi pour M.Macron un socle commun, qu’il définit avec des valeurs, comme l’égalité entre les femmes et les hommes, la laïcité. Par contre, M.Macron rejette la notion d’assimilation qui figure pourtant dans le Code civil [Livre 1er ; Des personnes. Titre 1er bis : De la nationalité française. Chapitre III : De l’acquisition de la nationalité française. Article 21-24 : « Nul ne peut être naturalisé s’il ne justifie de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue, de l’histoire, de la culture et de la société françaises »] :
« Dans notre Code civil figure encore cette notion très problématique d’assimilation. Elle ne correspond plus à ce que nous voulons faire. Nous devons miser sur l’intégration, permettre à chacun de rejoindre le cœur de ce modèle républicain mais en reconnaissant sa part d’altérité… Chacun doit pouvoir vivre entre plusieurs horizons culturels ».
L’Etat de droit serait ainsi à géométrie variable ?
Et avec tout ça, on fait quoi ? Parce que M.Macron explique bien aussi que le discours ne suffit pas, il faut de l’action. Que propose-t-il ? Deux catégories de propositions.
1.Des banalités tellement générales qu’elles dissolvent la nation française dans un universalisme forcément bienveillant:
« Je serai toujours l’allié, le combattant déterminé du respect des libertés individuelles dans notre pays, du respect des migrants, de la défense du droit d’asile, de la lutte contre ses détournements, de la protection des libertés individuelles de nos concitoyens. Je serai toujours du côté de l’ordre républicain mais je serai aussi le combattant de notre liberté d’expression qui ne cèdera rien à un relativisme contemporain ».
Et en réponse à la question « Qu’est-ce qu’un président français ? », M.Macron déclare :
« C’est un président qui se bat pour les valeurs qui sont les nôtres dans un monde en bascule. Présider notre pays, c’est porter ici et à l’international l’universalisme français, l’attachement au multilatéralisme, le combat contre les injustices, contre le dérèglement climatique, pour l’éducation, pour la santé. C’est aussi le combat pour tous les combattants de la liberté dans tous les pays du monde. Être président, c’est pour notre pays deux choses. Essayer de contribuer à révéler une idée : les raisons profondes que nous avons de vivre ensemble et retrouver le fil d’un destin français sous le signe de l’optimisme ».
Nous voilà bien avancés : nous avons élu un Président qui considère que son rôle est d’essayer [il n’est pas forcé de réussir] de contribuer à révéler une idée ! Macron, révélateur d’idée. On comprend pourquoi il confond parlote et action].
2. Trois actions concrètes qui répondent toutes les trois à une dénonciation par M.Macron contenue en filigrane tout au long de l’entretien d’un prétendu effacement des diasporas, comprendre les immigrés (ou enfants d’immigrés) d’Afrique noire ou maghrébine. Nous [Comprendre : nous les Français, en quelque sorte] n’aurions pas assez de reconnaissance à leur égard !
Il faut agir d’urgence. M.Macron a donc défini les trois actions suivantes :
- « Il faut enseigner le Code noir » [celui rédigé sous l’autorité de Colbert] ;
- « Je suis pour que les enfants ultramarins apprennent toute l’histoire de l’esclavagisme que la France a fait vivre à leurs aïeux » [on va partir du principe que tous les habitants des DOM/TOM sont noirs…] ;
- il cite le « travail de la commission que nous avons confiée à l’historien Pascal Blanchard et dont l’objectif est d’élaborer un carnet de noms qui sera ensuite mis à la disposition des maires et des associations [NDLR : pour de nouvelles statues et de nouveaux noms de rue] ».
Vous aurez certainement remarqué que ces trois « actions », qui impressionnent immédiatement par leur envergure, sont aussi associées à la notion d’histoire. L’entretien fait admirablement ressortir cette dilection macronienne pour l’histoire (le vocable « histoire » au singulier ou au pluriel est cité quand même vingt-cinq fois pendant l’entretien, c’est une obsession), souvent associée à la notion de mémoire :
- « Force est de constater que notre histoire n’a pas embrassé toutes les histoires»
- « Tous ces plis de notre histoire collective se retrouvent dans des histoires individuelles qui par conséquent sont mal à l’aise avec l’histoire officielle».
- « Voilà pourquoi nous devons faire un travail historique et mémoriel»
- « Le combat qui est le mien ne consiste pas à essayer de réconcilier en ayant des mots émollients, les Français savent que ce ne sont pas seulement des mots qui les réconcilieront, mais l’action. Il nous faut en particulier réconcilier nos mémoires, retrouver une fierté apaisée dans notre histoire». D’où le bouclage sur les trois actions rappelées plus haut. Et une totale cohérence, pour le coup, avec ce que M.Macron déclarait sur BRUT. Il y aurait peut-être là matière à quelque analyse psychanalytique.
Bien sûr, à force de vouloir faire des phrases, on arrive à s’emmêler un peu et à se répéter. Deux exemples :
- « Les Français ont réaffirmé leur volonté de reprendre leur destin en main, de reprendre possession de leur existence, de leur Nation » ressemble beaucoup à ce qui suit peu après : « Nous sommes à présent pris par notre volonté farouche, absolue, de reprendre le contrôle de notre vie, de notre vie intime et de la France comme nation».
- Et aussi : « Pour répondre à la défiance, il faut pour ce qui concerne les responsables mêler l’action, la cohérence et l’explication. Concrètement, quand une crise survient, nous devons savoir y répondre et agir. Expliquer ensuite la cohérence de l’action que l’on mène» doublonne un peu avec : « Pour recréer de la confiance, je crois qu’il faut une action qui ait une efficacité, un effet des mots aux choses »
Bien sûr, il y a aussi le lot habituel de facilités ou contrevérités qui ne gênent nullement le Grand dégoiseur :
- « Pendant la crise sanitaire, ce que nous avons fait n’est pas une privation de libertés. Nous avons librement et collectivement consenti à réduire certaines de nos capacités à faire, à interagir pour protéger les autres» (M.Macron avait pourtant déclaré sur BRUT : «Très sincèrement, en France, est-ce que les libertés sont réduites ? … On a décidé de les réduire pour faire face à l’épidémie. Ca oui, malheureusement pour nous tous et je suis le premier à le regretter »)
- « Nous sommes confrontés à une violence de rue parfois inouïe. Ont resurgi un mouvement d’extrême droite et plus encore dans notre pays un mouvement d’extrême gauche » [Ah, si l’extrême-droite est coupable, au moins un tout petit peu…]
- « Dans notre texte constitutionnel, il est écrit, on l’oublie trop souvent, que la République est plurielle». Une rapide recherche dans les 89 articles de la Constitution échoue à trouver ce vocable. Bien au contraire, le début de son article 1 est : « La France est une République indivisible ».
Et puis surtout les incohérences essentielles. Nous en avons relevé trois.
- Dans l’entretien, M.Macron dénonce avec force le relativisme: « Le relativisme délitant tout, il nourrit la défiance et affaiblit à la fin la démocratie ». C’est beau. Mais alors, comment expliquer son : « Être français, c’est une citoyenneté définie par des valeurs liberté, égalité, fraternité, laïcité, qui reconnaissent l’individu rationnel libre comme étant au-dessus de tout », magnifique définition de l’individualisme qui fait de l’individu l’étalon de chaque chose ?
- De même, M.Macron déplore : « nous sommes devenus une société victimaire et émotionnelle». Mais alors, pourquoi cette complaisance constante envers les immigrés et enfants d’immigrés noirs et arabes : « Quand vous parlez l’arabe à la maison, que votre famille vient des rives du fleuve Congo, vous avez une singularité qui importe et il faut pouvoir la reconnaître ». « Il faut ». Eux auraient donc accès à un statut de victime d’un manque de reconnaissance par essence ? Pourquoi ? Parce que, comme il le dit aussi : « Être un homme blanc peut être vécu comme un privilège » ? Vraiment ?
- Enfin, comment M.Macron, quand il parle de héros contemporains, peut-il citer le professeur M.Paty, assassiné par un musulman littéraliste ? Où y a-t-il héroïsme ? Macron considère-t-il la France comme déjà tellement tétanisée par la présence nombreuse musulmane que s’appuyer sur des caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo pour illustrer un cours sur la laïcité est devenu un acte héroïque ?
Alors, au final, quel est l’intérêt pour le Président de la République de fournir un tel entretien ? En reprenant nos remarques sur l’entretien avec BRUT, pourquoi toujours rien ni sur le peuple (sauf de façon négative), ni sur la famille, ni sur l’immigration et ses volumes, ni sur l’éthique (et la procédure maintenue rapide d’examen du projet de loi de révision de la loi de bioéthique), ni sur la violence intrinsèque de l’islam ; ni encore sur l’état de la France que l’on peut anticiper au sortir des procédures maniaques et irraisonnées de confinement ; ni même sur les mots capables d’exalter la grandeur de la France ? M.Macron croit-il vraiment mobiliser les énergies françaises en expliquant que lui-même essaie de contribuer à révéler une idée, et qu’être français est une praxis ?
Remarquons que M.Philippe Bilger, capable de discernement intègre et dont nous citons parfois le blog, a lui été charmé (sans doute le mot qui convient) : dans un billet daté du 25 décembre, il décrit :
« l’intérêt exceptionnel de ce dialogue où Emmanuel Macron en pleine forme intellectuelle, alors qu’il vient d’être atteint par le coronavirus, se livre de manière beaucoup plus approfondie que dans certaines interventions antérieures … Cet entretien est d’abord un bel exercice intellectuel où EM est à son meilleur, parce qu’il analyse son propre passé présidentiel et ausculte le coeur de la France. … Avec ce dialogue, il a d’une certaine manière généralisé, en veillant à ce que ses considérations ne soient pas offensantes pour le commun des citoyens, une perception de bienveillance éclairée ».
« Intellectuel ». Finalement, M.Bilger l’a bien fait ressortir : le principal intérêt pour M.Macron semble être d’exposer et soigner son ego, une sorte d’exercice spirituel ; démontrer aux Français qu’ils bénéficient d’un président d’une grande envergure intellectuelle, peut-être un phare de la pensée que le monde nous envierait comme il nous a été dit qu’il nous enviait notre meilleur système de santé. Et dont on peut attendre une égale efficacité face aux périls.
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