L'organisation d'une consultation électorale pour le peuple de gauche avec le concours des moyens de l'Etat est contraire à l'esprit de nos institutions et comporte le risque d'un fichage des électeurs et d'une atteinte à la liberté d'opinion. Hubert de Champris analyse certaines ambiguïtés de ce scrutin.
Résultats nationaux du premier tour des primaires citoyennes :
Avec 2 658 640 participants, ces primaires ont mobilisées plus de Français que ne le prévoyaient les estimations (1 952 471 votants attendus).
Alors que les sondages prédisaient une large avance au candidat François Hollande, ce dernier n'a récolté "que" 1 037 088 voix (soit 39% des votes) tandis que Martine Aubry, sa principale rivale, le talonne avec 805 451 voix (soit 30% des votes).
L'autre surprise de ce premier tour, c'est le score inattendu d'Arnaud Montebourg qui s'en sort avec 455 318 voix (soit 17% des votes).
Oublions le détestable et, de toute manière, impropre adjectif citoyen aujourd'hui utilisé à tort et à travers en lieu et place de civique et qui fleure bon son sans-culottisme comme dirait Joseph de Maistre. Qu'elles soient ‘‘citoyennes'' ou civiques, les élections organisées par le Parti Socialiste français en vue de la désignation de l'homme qui devra être investi par ledit parti comme celui le représentant officiellement aux élections présidentielles de 2012 apparaissent en l'espèce comme illicites à tous égards.
Nous avons rétabli une monarchie, non point une monarchie héréditaire, mais une monarchie élective soutenait le Général de Gaulle [1]. Et, s'il peut exister une lecture purement parlementaire de la Constitution de la Vème République, cette dernière concède seulement que les partis politiques participent à la vie politique sans qu'ils puissent prétendre la déterminer, fussent par le biais des sénateurs et des députés, lesquels ne sont pas les représentants ou les délégués des partis, chaque parlementaire, individuellement, étant le représentant de la nation toute entière, nouveau corps mystique se substituant à celui qu'on appelait auparavant le roi.
Tel est la lettre et l'esprit des institutions, peu important en l'occurrence le jugement de valeur que l'on porte sur la doctrine jacobine de la Nation souveraine. Pour des motifs pratiques, les députés sont élus par circonscriptions, et le scrutin uninominal à deux tours, à l'encontre du scrutin à la proportionnelle, a aussi pour objet de limiter en théorie l'emprise, voire le monopole des partis dans la présentation des candidats.
Ce qui est vrai des élections parlementaires (surtout à l'Assemblée nationale) l'est plus encore de l'élection à la présidence de la République : elle est la rencontre d'une personne et d'un peuple. L'investiture d'un candidat par un parti répond dans la pratique à des raisons ...pratiques. En l'échange de l'engagement par ledit candidat qu'il incarnera, défendra, illustrera la ligne doctrinale érigée au préalable par ledit parti, ce dernier s'engage à le soutenir de toute sa logistique et de l'armée de ses militants. En matière d'élections politiques, l'argent étant malheureusement une fois de plus le nerf de la guerre, on a là un contrat entre une entreprise à but non lucratif (le parti politique estampillé tel) et un homme qui, sans cela, aura été bien en peine de se faire connaître et de bénéficier des suffrages de ses concitoyens. L'idéal eut été qu'il put se passer de la médiation de l'investiture par un parti, que la rencontre d'un homme et d'un peuple s'opérasse, si l'on ose l'image, sans l'entregent de l'agence matrimoniale.
L'idée que les adhérents d'un parti sélectionnent par un scrutin interne au parti l'individu qu'il soutiendra à une élection présidentielle et qui sera censé en retour soutenir, défendre la doctrine dudit parti est déjà, en elle-même, contre-nature. Contre la nature de la Vème République. En tous cas, si tant que l'on doive se résoudre à pareille désignation, la procédure qui permettra d'y parvenir est une affaire interne au parti, et qui doit le demeurer. Qu'il plaise, en vue de cette sélection, aux dirigeants dudit parti d'ouvrir le scrutin au-delà du périmètre des militants encartés, selon des critères édictés à discrétion, n'est d'ailleurs pas prohibé. Le résultat de ces élections peut aussi ne pas lier l'instance dirigeante du parti, conserver un caractère consultatif.
Bref, il est acquis que, tant le choix du mode de désignation du candidat que l'organisation de la procédure permettant d'y parvenir, si elle est le fait d'un parti, n'est pas du ressort d'étrangers au parti. La manière avec laquelle tartempion ou tartempionne aura été désigné doit demeurer, du moins de droit, indifférente, à toute personne, à toute instance extérieure au parti. Elle n'a pas à en connaître (et, en outre, il n'est pas certain qu'une contestation afférente aux conditions de cette sélection soit recevable par une juridiction de l'ordre judiciaire, ni, même, administratif). En somme, l'estampillage d'un individu par un parti politique comme étant son candidat, déjà fort contestable en soi, n'a, au regard non seulement du droit constitutionnel mais, aussi, de l'esprit des institutions (sans parler du respect de ce qu'est une démocratie digne de ce nom), pas plus d'importance qu'un pseudo-référendum publicitaire organisé par une marque de lessive dans le but de consulter les ménagères de France dans le choix d'un futur emballage !
Au regard de ces paramètres présidant à l'organisation d'une élection présidentielle, le concours complaisant d'un Etat qui offre non seulement ses infrastructures (locaux tenant lieu de bureaux de vote, etc.), mais, pire, qui livre à un parti ses listes électorales officielles établies en vue de la participation des citoyens français aux seules élections aux organes décisionnaires répertoriés (à savoir, principalement, l'Assemblée nationale, les conseils régionaux, généraux et municipaux, le Président de la République) constitue une forfaiture si considérable qu'hormis l'essayiste Philippe de Saint Robert ou la dirigeante du parti démocrate-chrétien, elle ne semble pas choquer grand-monde. Le PS pouvait bien ouvrir au tout-venant sa consultation (laquelle pouvait en outre demeurer consultative), l'Etat n'avait ni le droit, ni le devoir de lui prêter son concours. Peu importe à cet égard que les listes émargées soient ensuite brûlées. Le seul fait de ne pas se déplacer pour prendre part à la désignation de l'individu qui sera investi par le parti socialiste laisse la possibilité d'érection d'une liste a contrario des non-votants, liste qui pourra être considérée comme d'autant plus parlante que les votants, s'ils n'adhérent pas formellement au PS, attestent cependant sur l'honneur qu'ils adhèrent aux valeurs de la gauche. Outre qu'il y aurait beaucoup à redire sur ces prétendues valeurs, leur sens, leur étendue, leur relativité ou leur caractère absolu et universel, on ne prend pas grand risque en prévoyant que ce système momentanément très en vogue connaîtra le destin de toutes les modes. Mais, il ne disparaîtra pas sans s'être auparavant retourné contre lui-même et ses promoteurs. Parmi ceux-ci, déjà certains n'ont plus que leurs larmes pour pleurer, à l'image de Marie-Ségolène et de sa démocratie-nurserie. Le pire est en l'espèce la parfaite sincérité de la femme politique... fra-ter-ni-té...(pour reprendre le mot de Raymond Aron au sujet de Giscard, l'enfer serait-il rempli d'idéalistes qui ne savaient pas que l'Histoire est tragique ?) On ne souhaitera bien évidemment pas ce sort à celle qu'un photographe avait surpris il y a un an dévotement recueillie dans la pénombre d'une chapelle italienne. Mais qu'elle y retourne. Oraison est parfois raison.
[1] cf. Fondation Charles de Gaulle, Charles de Gaulle et la Nation, François-Xavier de Guibert, 2002.
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