[ENQUETE SUR LES MEDIAS CHRETIENS] Dans le cadre de notre série d'été, libertepolitique.com rencontre les acteurs de la presse chrétienne et tente avec eux de comprendre le rôle qu'ils jouent dans l'actualité et le débat politique. Comment ces médias voient-ils leur vocation à l'aube de l'année électorale de 2012 ? Cette semaine, Christophe Geffroy, directeur de la rédaction de La Nef répond à nos questions.
Comment définiriez-vous la ligne de votre journal ?
La Nef est un mensuel catholique qui s'inscrit très clairement dans le sillage du pape Benoît XVI – après celui du bienheureux Jean-Paul II –, notamment, il invite à recevoir le Magistère dans un esprit de continuité avec la Tradition – aussi bien en matière doctrinale que liturgique. Notre spécificité est néanmoins l'attention que nous portons à la réflexion, sur les sujets religieux d'abord, mais aussi sur tous ceux – éthiques, culturels, politiques... – qui concernent les chrétiens qui vivent dans ce monde. A l'heure de la télévision et d'internet, il existe toujours des chrétiens qui ne se contentent pas du zapping et qui cherchent à approfondir aussi bien leur foi leurs connaissances que leur compréhension du monde contemporain : pour cela, le support papier restera toujours incontournable.
Est-ce un lectorat particulier ?
Notre lectorat est principalement formé de catholiques pratiquants et militants forcément en phase avec la ligne que je viens de vous décrire rapidement.
Comment abordez-vous en règle générale les débats politiques et de société ? à quelle occasion et sous quel angle les traitez-vous ?
Notre règle est d'aborder les problèmes sous l'angle de la réflexion, celle-ci étant elle-même toujours guidée par l'enseignement de l'Eglise. Notre vocation n'est pas de prendre parti dans le combat électoral. Celui-ci a bien sûr toute sa légitimité, mais nous nous situons au niveau du débat d'idées en l'abordant ouvertement en catholiques militants fidèles au Magistère et notamment à la doctrine sociale de l'Eglise. Si l'on pense que les idées mènent le monde, les combats politiques se gagnent ou se perdent bien en amont de l'élection, dans le domaine culturel des idées. C'est là que nous essayons d'agir à notre modeste place et cela n'est pas compatible avec un soutien militant à tel ou tel parti politique.
Certes, un média comme La Nef se doit bien sûr aussi d'informer ses lecteurs, mais l'information rime chez nous avec formation : en matière de bioéthique, par exemple, nous suivons bien évidemment les débats parlementaires et nous en informons nos lecteurs, mais, ce faisant, notre chroniqueur Vie , Pierre-Olivier Arduin [collaborateur du site libertepolitique.com et directeur scientifique de l'Observatoire de l'applicatios des lois de Bioéthique ndlr], ne manque jamais d'argumenter pour expliquer pourquoi telle orientation est mauvaise ou telle autre meilleure. Et quand le sujet prend une certaine ampleur, nous le traitons dans un dossier : ainsi, nous en avons consacré dernièrement à la bioéthique, à la laïcité, aux marchés financiers contre l'entreprise à la suite de la crise de 2008, à l'eugénisme, à l'identité nationale, au conflit israélo-palestinien, etc.
Quelle est votre politique de publication par rapport aux élections de 2012 ?
L'élection présidentielle est un moment privilégié du débat politique ; hélas, il est peu souvent à la hauteur des enjeux et des problèmes réels de la société française. On se souvient néanmoins que l'élection de 2007 avait été l'occasion d'un véritable débat, dans le monde catholique, sur les points non négociables , (largement initié en France par l'association pour la Fondation de Service politique, cf le livre sur L'engagement des chrétiens en politique de Thierry Boutet, ndlr). Le pape Benoît XVI l'avait lui-même évoqué dans un discours, le 30 mars 2006, aux participants du congrès du Parti populaire européen : le respect de la vie, la défense de la famille, le droit des parents d'éduquer leurs enfants. En réalité, ces points non négociables , si l'on se réfère à la Note doctrinale de 2002 de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, alors présidée par le cardinal Ratzinger, note portant sur l'engagement des catholiques en politique, sont un peu plus nombreux. Elle évoque des exigences éthiques fondamentales, auxquelles on ne peut renoncer et elle en dénombre six : outre les trois points déjà évoqués, elle ajoute le respect de l'embryon humain, la protection des plus jeunes face aux formes modernes d'esclavage (drogue, prostitution) et la liberté religieuse ainsi que le développement dans le sens d'une économie qui soit au service de la personne et du bien commun, dans le respect de la justice sociale, du principe de solidarité humaine et de la subsidiarité . Ce dernier point, notamment, est important à rappeler en notre époque où une certaine idéologie libérale est devenue largement hégémonique au point de tenter même un petit nombre de catholiques.
Cette Note doctrinale a surtout marqué un tournant important pour les catholiques, car elle a contribué à leur ouvrir les yeux sur le fait que l'on ne pouvait donner son vote à un candidat à la légère, et elle lui fournit des éléments de réflexion et de choix incontournables. Le tournant, me semble-t-il, est qu'avec cette Note, l'Eglise explique aux fidèles qu'il y a des points auxquels un catholique ne peut renoncer quitte, s'il le juge en conscience, à s'abstenir ou voter blanc : cet aspect est vraiment d'actualité quand on observe que les deux principaux grands partis en France, UMP et PS, dérogent chacun à au moins quatre de ces six exigences éthiques fondamentales, auxquelles on ne peut renoncer !
Les thèmes de cette Note n'épuisent cependant pas tous les aspects en jeu. On peut s'interroger, par exemple, sur le fait de savoir s'il n'est pas d'abord nécessaire de se défaire des carcans bureaucratiques et antidémocratiques qui nous enserrent – à travers l'actuelle construction européenne notamment – pour se donner une liberté d'action et des moyens d'agir que l'on ne possède pas aujourd'hui ?
Notre rôle, à La Nef, n'est pas de donner des consignes de vote mais d'éclairer le jugement de nos lecteurs sur les points qui nous paraissent les plus essentiels. Ce faisant, nous n'avons aucune prétention à une parfaite objectivité qui n'existe pas en la matière, et nous savons que d'autres options sont sans doute légitimes d'un point de vue catholique, car on est ici dans le domaine de la prudence politique. Mais nous essayons vraiment d'appuyer notre analyse sur la doctrine sociale qui balise quand même quelque peu le terrain !
Finalement, cette question en appelle une autre : quelle est la place du chrétien en politique ?
Vaste question à laquelle il est difficile de répondre en quelques mots. La difficulté du chrétien, en politique comme ailleurs, est qu'il se situe toujours sur une ligne de crête entre un monde qu'il doit aimer et chercher à évangéliser, en s'y engageant donc très concrètement – et la politique qui est le lieu privilégié de cette action –, et une dimension surnaturelle qui l'aspire vers le ciel. Ces deux aspects ne s'opposent pas et l'on ne peut se réfugier exclusivement dans l'un ou l'autre, au risque de glisser soit vers une temporalisation de la religion (type théologie de la libération ), soit vers un spiritualisme qui méprise et donc ignore les contingences temporelles (comme s'il suffisait de prier sans chercher à agir dans la Cité). Il est donc dans l'essence même du chrétien d'être concerné par la chose politique et pour ceux qui en ont le goût et le talent de s'y engager. Pas forcément dans le combat électoral mené dans un parti, car l'action politique au sens large concerne aussi d'autres réalités, locales, associatives, médiatiques... qui ont une influence importante.
L'engagement dans un parti n'est pas très facile, car tous peuvent poser des problèmes à une conscience chrétienne. Pour y agir, il y faut une bonne formation et beaucoup de force de caractère pour ne pas se faire manger par le système. Je ne crois pas du tout à la solution d'un parti catholique . Outre que l'expérience historique de la démocratie chrétienne ne me semble pas encourageante, le principe même d'enrôler les catholiques sous une même bannière alors que l'action politique relève de la contingence et donc de choix relevant de la vertu de prudence – ce qui suppose que dans l'ordre pratique de l'action, plusieurs options peuvent légitimement être défendues tout en étant fidèles aux principes chrétiens –, ne me semble pas bon et guère viable, l'ensemble des chrétiens ne pouvant être représentés par un seul parti.
Comment le chrétien doit-il alors se situer par rapport à la cité ?
Ce qui me semble essentiel est qu'un chrétien doit l'être en toute circonstance et à tout instant de sa vie, donc en particulier dans toutes ses relations avec la Cité. La position d'un François Bayrou qui affirmait être chrétien à titre privé et ne plus tenir compte de sa foi en tant qu'homme public (cf. son livre Le droit au sens, Flammarion, 1996) est schizophrénique et absurde. Jean-Paul II a parfaitement épinglé cette attitude dans Evangelium vitae (n. 69).
Aujourd'hui, la perte du sens commun a atteint un tel degré – on le voit bien avec le succès d'une théorie comme le gender –, qu'il n'existe même plus de consensus sur ce qu'est un homme ! Le redressement ne pourra se limiter aux moyens politiques – même si ces derniers doivent bien sûr être poursuivis. La crise de civilisation que nous traversons est avant tout spirituelle et intellectuelle. C'est pourquoi la renaissance passera forcément par une conversion et par le redressement des idées : d'où l'importance de la nouvelle évangélisation du vieux continent et du combat inlassable pour faire comprendre et admettre la nécessité de reconnaître la loi naturelle, seul fondement objectif qui puisse être reconnu par tous et qui permette de limiter la démocratie, afin qu'une majorité de circonstance n'y ait pas tous les pouvoirs.
Propos recueillis par A.B.
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