Politologue, maître de conférences à l’Institut catholique d’études supérieures (ICES-La Roche-sur-Yon), Guillaume Bernard est coauteur d’un Dictionnaire de la politique et de l’administration (PUF, 2011) et d’un essai sur les Forces politiques françaises (PUF, 2007). Il analyse pour Liberte politique les résultats du premier tour des élections municipales.
Liberté politique — L’UMP a remporté le premier tour, mais le vainqueur des municipales n’est-il pas l'abstention ?
Guillaume Bernard — Aux municipales, l’abstention avait légèrement dépassé 20 % en 1977 et 1983 ; la barre des 30 % a été franchie en 1995. Lors des dernières élections municipales de 2008, elle avait encore progressé : au second tour elle avait atteint les 35 %. Cette fois-ci, dès le premier tour, elle a passé la barre de 38 %.
Certes, il y a déjà eu des scores plus élevés : 50 % aux régionales de 2010, 45 % aux législatives de 2012. Mais il est certain que cette progression est, en soi, inquiétante parce qu’elle signifie que les électeurs se détournent des institutions politiques. Elle l’est d’autant plus que le maire était, jusqu’à présent, la personnalité politique qui échappait le plus à défiance.
Comment expliquez-vous cette abstention?
À l’évidence, plusieurs facteurs convergent et expliquent la montée de l’abstention : découragement face à la situation globale du pays (l’impuissance des politiques) ; perte de confiance dans les politiques qui semblent ne pas comprendre la dureté de la réalité quotidienne des Français (distorsion entre le peuple et les élites) ; multiplication des « affaires » qui choquent l’opinion publique et sentiment que la classe politique est (intellectuellement et / ou moralement) corrompue (rejet de la politique « politicienne »).
Les Français qui se considèrent socialement abandonnés se détournent des institutions politiques.
Le score du Front national a lui aussi retenu l’attention. Peut-il encore progresser au second tour ?
L’électorat du FN est composite et, jusqu’à présent, plutôt volatil. Cela explique, en partie, les résultats en dent de scie que ce parti a connus depuis une trentaine d’années. Pour le FN, il y a des électeurs venus de la droite : la porosité entre les électorats de l’UMP et du FN est assez grande. Il y a en a d’autres, moins nombreux mais le phénomène est désormais palpable, venus de la gauche, ceux-ci étant souvent passés, semble-t-il, par une période d’abstention avant de basculer.
Il est possible que les scores de ce parti puissent se tasser au second tour parce que des électeurs – ayant utilisé le bulletin FN comme sanction pour la classe politique – retournent à leur positionnement habituel. Cependant, le vote FN est de moins en moins uniquement protestataire et se révèle de plus en plus d’adhésion. En outre, il est également possible que les résultats du FN progressent encore entre les deux tours parce que son électorat de prédilection – les classes populaires – est celui qui s’abstient le plus : encouragé par les bons résultats du premier tour, il peut décider de se rendre aux urnes au second.
Marine le Pen parle de fin de la bipolarisation de la vie politique. Partagez-vous son analyse ?
Elle n’est pas la seule à le dire ; parmi les politiques, le socialiste Jean-Marie Le Guen, par exemple, le considère aussi. Parmi les journalistes, Eric Zemmour défend également cette analyse. Pour ma part, je la crois effectivement vraie tant d’un point de vue doctrinal qu’électoral.
Du premier point de vue, il y a un certain nombre de sujets (immigration et multiculturalisme, construction européenne et libre-échange, mœurs et bioéthique) pour lesquels la ligne de fracture passe plus au sein de la droite (de manière sinueuse) qu’entre celle-ci et la gauche. Le FN n’a pas le monopole des positions de droite, mais l’actuel système partisan enserre certaines personnes et organisations dans des alliances qui ne correspondent pas à leur positionnement doctrinal.
Du point de vue électoral, après les législatives de 2012 (2 élus au scrutin majoritaire) et les élections partielles de 2013 (cantonale de Brignoles en particulier), les municipales de 2014 semblent démontrer que la droite nationale peut gagner dès le premier tour et donc obtenir une majorité absolue des suffrages (Hénin-Beaumont, Orange).
De plus, étant arrivées en tête dans plusieurs villes (Avignon, Béziers, Perpignan, etc.), des listes FN ou soutenues par lui sont susceptibles de gagner au second tour (ne serait-ce qu’avec une majorité relative). Enfin, le FN se révèle capable de se maintenir dans un très grand nombre de communes.
Tous ces éléments illustrent la recomposition du système partisan : de bipolaire il est en train de devenir tripolaire (gauche, droite, FN). Il semblerait que si l’ensemble des personnes qui ont déjà voté, une fois, pour le FN, celui-ci pourrait atteindre le tiers des suffrages.
Propos recueillis par Laurent Ottavi.
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Belle analyse que je partage, surtout, pour ce qui est de la bipolarisation politique. Jusqu'où restera -t-elle constante?