Mgr Robert Barron, évêque auxiliaire de Los Angeles et personnalité connue des médias catholiques, a récemment suggéré au National Catholic Register que les évêques «introduisent une sorte de mandatum pour ceux qui prétendent enseigner la foi catholique en ligne, par lequel un évêque pourrait confirmer si le contenu des enseignements est ou non en pleine communion avec ce que dit l'Église. »
Les critiques ont fusé, arguant du fait que cela reviendrait à censurer toute critique émanant de laïcs à destination des évêques. Mais ces réactions dénaturent et ignorent la valeur de la suggestion de l’évêque. Un système comme celui proposé par Mgr Barron pourrait rendre le monde en ligne beaucoup plus utile aux catholiques, laïcs comme clercs.
Autrefois, l’enseignement de la foi se faisait de façon locale. Les professeurs enseignaient dans les classes, les prêtres dans les églises. L’information et les ouvrages avaient besoin de circuler physiquement, c’est-à-dire lentement, et à un certain coût.
Le droit canonique s'est adapté à cet état de fait. Selon le Code de 1983, les professeurs doivent recevoir un mandat de l'ordinaire local (canon 812). De nombreux diocèses exigent que les orateurs qui prennent la parole lors d'événements ou de conférences catholiques soient explicitement approuvés. Les prêtres passent par des années d'éducation théologique et sont liés par des niveaux d'obéissance à leurs évêques (canon 1032). Enfin, les évêques donnent des imprimaturs aux livres et autres écrits (canon 827). Ces imprimaturs indiquent aux fidèles si un livre est exempt d'hétérodoxie. Bien que ces outils ne soient pas toujours parfaitement utilisés, ils aident à maintenir une certaine clarté dans l'enseignement.
Mais aujourd'hui, beaucoup de choses ont changé. La distribution de l'information est instantanée. Ce que les gens publient sur Internet se propage instantanément dans le monde entier. Les catholiques peuvent écrire ce qu'ils veulent au sujet de la foi, sans vérifier si une autorité légitime approuve le contenu ou les moyens de l'enseignement. Beaucoup découvrent maintenant le contenu de la foi via des sites Web, des blogs ou Twitter. Les catholiques qui consultent en ligne des actualités et des commentaires trouvent diverses sources censées adopter une perspective catholique. Sur les réseaux sociaux, ce n'est pas une mince tâche que de passer en revue les centaines de comptes estampillés catholiques qui, après inspection, témoignent d’une profonde méfiance voire d’une haine à l’égard de la hiérarchie et de l'Église. Ces écrivains, blogueurs et personnalités médiatiques catholiques peuvent souvent induire les fidèles en erreur avec leurs réponses aux questions sur la foi et la morale (sans parler de leurs analyses de la politique ecclésiastique).
La mise à disposition gratuite pour tous de contenus en ligne oblige également les écrivains et personnalités catholiques en concurrence à manœuvrer pour attirer l'attention. Souvent, seules les voix les plus controversées trouvent du public. Compte tenu du nombre croissant de catholiques qui cherchent des informations en ligne, cela conduit souvent à la confusion des idées, à la colère, à l'aliénation et parfois même au schisme.
Il est donc logique que les évêques, qui possèdent l'autorité d'enseignement et de gouvernement du fait de leur consécration, souhaitent réglementer le contenu en ligne. Le principe de ce règlement est déjà inscrit dans la loi (canon 823). Mgr Barron ne propose pas une censure ecclésiastique globale d'Internet. Il cherche un moyen d'aider les fidèles en inculquant aux médias catholiques un sens de leur obligation d'autorité magistérielle.
S'appuyant sur l'idée de Mgr Barron, les évêques devraient envisager de mettre en œuvre un système d'approbation ecclésiastique simple, volontaire et à faible enjeu pour les catholiques qui publient en ligne. Tout comme le système des imprimaturs, un système de vérification ecclésiastique donnerait des «marques jaunes» aux écrivains catholiques et aux personnalités des médias qui acceptent de se conformer à un ensemble de normes de base. Les participants au discours en ligne pourraient simplement contacter les ordinaires locaux pour demander cette vérification, comme ils le font déjà lorsqu'ils recherchent des imprimaturs ou des mandata.
L'absence de marque jaune n'empêcherait pas quelqu'un de publier. Mais cela permettrait d’indiquer au lecteur catholique lambda que telles personnalités ou tels médias catholiques n’ont pas accepté de répondre aux attentes de l’Église. Bien sûr, certains évêques peuvent être en désaccord avec les vérifications données par d'autres évêques. Mais les évêques sont capables de régler de tels conflits entre eux - tout comme maintenant, chaque évêque est libre d'exprimer ses préoccupations à son troupeau.
Il est peu probable que la proposition pose des problèmes d'un point de vue canonique, du moins si elle est correctement mise en œuvre. Il suffirait que la loi évolue conformément au précédent constitué par les imprimaturs et autres vérifications (voir canon 823). Un argument commun contre la proposition de Mgr Barron est que le canon 212 crée une sorte de droit à la liberté d'expression, car il affirme que les fidèles « ont le droit et même parfois le devoir de manifester leur opinion aux Pasteurs sacrés » concernant les questions ecclésiastiques. Puisque le canon exige que les fidèles soient «attentifs à l'avantage commun et à la dignité des personnes», il ne donne à personne le droit de blasphémer, calomnier ou inciter à l'animosité ou à l'insubordination (cf. canons 1369, 1373). Mais même si l'on interprète le canon 212 de manière extrêmement libérale, comme créant une liberté d'expression au sein même de l'Église, un système de marque jaune ne restreindrait pas ce droit. Il reconnaîtrait simplement ceux qui ont accepté d’orienter leur discours public selon les normes de l'Église.
Un système de marque jaune serait également une étape vers la restauration de proche du fameux Code Hays, qui régissait la production cinématographique aux États-Unis en collaboration avec la National Legion of Decency avant l'introduction du système moderne de classification des films en 1968. Les sociétés de médias sociaux auraient également un intérêt à un tel système. Beaucoup de gens évitent Twitter et Facebook en raison de leur discours toxique. Un système plus large de marques, impliquant les principales parties prenantes de la société, pourrait faciliter une discussion plus policée.
La suggestion de Mgr Barron est modeste, mais elle pourrait servir à moderniser le processus par lequel les évêques sanctionnent depuis longtemps les auteurs et les œuvres. Une méthode accessible et universelle, afin d’indiquer clairement qui respecte les attentes de l'Église en matière de discours, ne pourrait qu’être bénéfique pour notre Église de plus en plus polarisée.
Gladden Pappin (Professeur assistant à l’Université de Dallas et rédacteur en chef adjoint de la revue American Affairs.)
Gregory Caridi (Avocat civil et canoniste, chancelier du diocèse de Dallas, Texas)
NDT : Le terme de "marque jaune" utilisé dans l'article se présente comme une reprise de la "marque bleue" apposée par Twitter sur les comptes officiels des personnalités politiques ou médiatiques, pour authentifier les contenus publiés sur ces comptes comme étant conformes à la volonté desdites personnalités politiques ou médiatiques.
Traduction par nos soins d’un article paru sur First Things.
L'article original peut être trouvé à l'adresse suivante : https://www.firstthings.com/web-exclusives/2020/02/the-case-for-yellow-checks