PAR LE FRERE EMMANUEL PERRIER OP,
dominicain de la province de Toulouse.
CES DERNIERS TEMPS, j'ai croisé de nombreux catholiques atterrés par l'affaire Williamson, puis irrités par l'histoire de la fillette de Recife, enfin effondrés devant les propos du pape en Afrique sur le préservatif. Quand j'écris enfin , c'est une clause de style. Il n'y a aucune raison pour que ça s'arrête. La provocation marche tellement bien qu'il serait inconséquent pour les médias de ne pas remettre 2 € dans le juke-box la semaine prochaine.
Outre les prescripteurs de l'opinion, qui vivent en circuit fermé, il y a trois moteurs de cet énième accès d'anticatholicisme. Les deux premiers mènent le bal : un groupe restreint mais vociférant de fanatiques haineux d'un côté, l'immense foule des Français post-chrétiens en guerre avec leur passé de l'autre, qui ont besoin régulièrement qu'on leur ressorte une bonne excuse pour ne pas mettre les pieds à l'église.
Le troisième moteur, ce sont les cathos-gogos, happés par la vague, se laissant aller à hurler avec la meute, à relayer l'indignation publique, à en causer et bavasser avec le voisin, la famille et tous ceux passant à portée de voix. Le catho-gogo, ce n'est pas l'autre, ce n'est pas un petit groupe, le catho-gogo c'est l'immense majorité d'entre nous, nous qui avons, de près ou de loin, de plus ou moins bon gré, comme acteur ou comme souffleur, participé au gigantesque happening médiatique dont nous étions les hôtes flattés. Et avant l'arrivée de la nouvelle vague, le moment est propice à un sérieux examen de conscience, du genre de ceux qui conduisent au confessionnal. Car deux types de péchés ont été massivement commis depuis un mois et demi parmi les chrétiens français : l'un contre la vérité sur les personnes, l'autre concernant le devoir d'être moins bête.
Mais avant d'entrer dans le détail, deux objections : Mon indignation ces jours derniers était une saine (sainte ?) indignation contre des propos ou des actes intolérables, je ne suis donc pas concerné. Réponse : attendez peut-être de voir ce qui suit. Le rôle de Liberté politique n'est-il pas plutôt d'apporter des analyses et des propositions ? Réponse : c'est exactement de cela qu'il s'agit ici.
La médisance, le jugement téméraire, la calomnie, le mensonge
Symptômes : après les épisodes évoqués, apparition d'un découragement, d'une lassitude, de doutes sur la foi en Dieu ou dans la sainteté qu'Il accorde à l'Église ; mais aussi complaisance à revenir sans cesse sur ces questions, à lire tout ce qui s'écrit, à entendre tout ce qui se dit sur elles, irritabilité contre les proches, difficulté à trouver le silence nécessaire à la prière. Surtout, la conscience de n'avoir ni grandi, ni fait grandir.
Causes : je renvoie à l'exposé des offenses faites à la vérité et qui touchent le prochain, dans le Catéchisme de l'Église catholique (n. 2475 sq). La médisance, le jugement téméraire, la calomnie et le mensonge en sont les formes essentielles. On peut en être auteur ou, plus souvent, complice. Ainsi, se prononcer de manière définitive sur une affaire qui a lieu à l'autre bout du monde sur la seule foi d'une dépêche AFP est quasi-inévitablement un jugement téméraire. Il en va de même lorsque l'on commente la levée d'une excommunication sans savoir ce qu'est une excommunication (car ça n'est pas une exclusion de l'Église au sens des terrains de foot et des partis politiques). Il y a malveillance ou calomnie lorsque l'on ne se tait pas après avoir appris que l'interview du misérable Williamson datait de trois mois. On inclura aussi les paroles et les pensées de mépris et de haine à l'égard des chrétiens impliqués dans ces affaires, mais aussi à l'égard des instigateurs ou des complices de la frénésie médiatique. Ce qui constitue le péché – faut-il le préciser ? – c'est l'engagement de la volonté dans l'acte. Avoir des tentations auxquelles on résiste n'entraîne la commission d'aucun mal.
Circonstances aggravantes : lorsque l'offense touche le pape ou des évêques, elle blesse l'unité même de l'Église . Lorsque l'offense est commise par un journaliste chrétien ou quelqu'un en charge de la diffusion de l'information, la culpabilité est plus grande car elle émane d'un professionnel dont l'expérience morale devrait le prémunir de telles faiblesses.
Cas particulier : en cas d'addiction aux médias, de besoin irrépressible d'en parler ou d'y penser, il y a ce que l'on appelle un vice, une habitude ancrée contre laquelle la lutte est plus longue et plus exigeante.
Remèdes : retrouver le cours interrompu du carême et, par là, une liberté salutaire à l'égard de l'information. D'où la nécessité d'un solide jeûne médiatique. Au minimum, tourner la page, fermer la radio ou la télévision lorsque les sujets qui entraînent au péché apparaissent. Pour les professionnels placés au cœur de l'ouragan, le recul est grandement favorisé par la prière personnelle, la méditation de l'Évangile et l'attention aux proches afin d'éviter d'être aspirés dans le flux.
Réparation : le mal a fait son œuvre. L'esprit de division s'est maintenant largement répandu à l'égard du pape, des évêques, entre chrétiens. La réparation directe est quasi-impossible. Mais elle ne dispense pas d'une réparation indirecte, par un surcroît d'attention au prochain : l'esprit d'unité et de réconciliation doit venir raccommoder le tissu des relations froissées ou déchirées.
Le devoir d'intelligence
Il y a lieu de s'interroger sur l'origine d'une si faible résistance des catholiques aux provocations médiatiques. Sans aucun doute, une attention plus grande portée aux nouvelles plutôt qu'à la Bonne Nouvelle est en cause. Mais il y a plus. L'accusation portée contre le pape d'une complicité de négationnisme aurait dû déclencher un immense éclat de rire tant elle est ridicule et caricaturale des attaques à la mode contre l'Église. Elle a, au contraire, troublé.
Les légitimes questions à propos de ce que l'on rapportait de l'affaire de Recife ne rendaient pas plus légitime le double avortement que l'on nous présentait comme l'indiscutable solution du problème. Qui s'est soucié de ce qu'à l'horreur de multiples viols on ait ajouté sur les épaules d'une fillette le traumatisme d'un double avortement ? S'agissant de Recife comme peu après de l'Afrique, on s'est drapé de miséricorde contre le légalisme d'un évêque ou d'un pape pour mieux s'aligner sur la normativité morale et le culte des solutions hygiénistes de notre culture de mort. Où donc est la miséricorde ? Je ne vois là que transfert d'un légalisme à un autre sous couvert de bonnes intentions.
La vérité est que les chrétiens français payent aujourd'hui une tendance à planquer leurs cadavres dans les placards, à ne pas travailler sérieusement les sujets qui fâchent, à manquer de confiance dans l'intelligence au service de la foi.
L'accusation de complicité de négationnisme ne provoquerait pas un tel malaise si les catholiques avaient à l'esprit que ce n'est pas la foi chrétienne mais l'athéisme postchrétien qui est le trait commun à tous, TOUS les régimes ayant industrialisé le meurtre au siècle passé. Mais qui peut le dire publiquement et l'enseigner dans une République ayant banni toute référence à la foi ?
La levée des excommunications n'aurait pas semblé une trouble faveur si elle ne s'était inscrite dans une certaine vision de l'histoire de l'Église aussi répandue qu'indiscutée, et selon laquelle Vatican II représente une rupture et non une assomption à frais nouveaux de la grande Tradition. Le pape reconnaît les erreurs de Vatican II ont exulté certains fidèles de la Fraternité Saint-Pie-X ; Il faut dire au pape que nous n'accepterons aucune braderie du Concile ont rétorqué les grandes voix du catholicisme français. Comme tout cela paraîtrait futile si Vatican II n'apparaissait plus comme une fin pour les uns, un commencement pour les autres. Une herméneutique de la continuité comme l'appelle le pape, voilà ce qu'il aurait fallu développer avec ardeur en France depuis le concile.
Le refus de considérer l'avortement comme une solution pour la fillette de Recife aurait effleuré les consciences si ces dernières avaient reçu quelques notions de morale. Car l'Église réfléchit sur ces questions depuis longtemps maintenant, et a dégagé des principes rappelés par Tugdual Derville . Mais pour comprendre la différence morale abyssale entre un avortement, dans lequel la volonté est de tuer, et un acte médical ayant pour objet de garder en vie mais sans garantie de succès, il faut avoir formé sa conscience hors du légalisme, dans une atmosphère où la norme morale est entendue comme un guide pour la miséricorde et non comme son antagoniste.
Enfin, le rappel fait par le pape en Afrique n'aurait pas paru arriéré si les catholiques avaient eux-mêmes un peu réfléchi aux questions de régulation des naissances, au lieu d'opposer un non possumus en 1968, suivi de quarante ans de silence embarrassé. Car toutes les études épidémiologiques en Afrique le montrent : mis à part dans certains milieux bien délimités (ceux-là mêmes qui font du bruit en France), la meilleure arme contre la propagation du Sida est l'éducation à la vie morale.
Sur tous ces points, il est grand temps que les catholiques de France arment leur intelligence et prennent le temps de la réflexion. À défaut, ils risquent de passer encore de très mauvais carêmes sous les feux des médias.
FR. EM. P., OP
20 mars 2009
© Liberté politique n° 45, été 2009.
Texte original avec l'appareil de notes dans la version papier.
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