À L'AUTOMNE 2001, Jiang Zemin, le troisième empereur rouge, après Mao et Deng, abordait la dernière année de son règne. Je me posais la question : " Laissera-t-il un empire plus prospère qu'à son avènement, plus paisible ? " La prospérité, pas de problème.

La paix ? Je songeais plus à la montée du chômage qu'à la criminalité galopante ou à l'instabilité de certaines régions autonomes et j'avouais mon incertitude. Se profilait la quatrième génération des communistes chinois, je recommandais de retenir le nom de Hu Jintao, un " jeune ", soixante ans en 2002, vice-président de la République et de la Commission militaire centrale et " dernière créature de Deng Xiaoping " – lui-même disparu en février 1997. Je poursuivais : " Il s'agit de confirmer une dynastie neuve qui, proclamée en 1949, après quarante ans de troubles et sous un jour différent, fait suite à celle des Qing, renversée en 1911. Ni élective ni héréditaire, elle est oligarchique. " On a beaucoup parlé à la fin de l'été 2002 de tractations secrètes entre les hiérarques des différentes tendances. La date du XVIe congrès du PCC a longtemps été incertaine. Dans la presse occidentale, certains ont annoncé que la machine mandarinale allait gripper. Il n'en a rien été. Jiang a passé la main, non sans conserver la présidence de la Commission centrale militaire, ainsi que Deng l'avait fait quand, il " prit ses distances ".

Hu, désigné comme secrétaire général du Parti en novembre 2002, a été élu en mars 2003 à la présidence de la République. La génération des septuagénaires a quitté le devant de la scène. En Occident, une telle passation de pouvoir passionnerait, des mois durant. Pas en Chine. Que change le gouvernement, si c'est sans heurt, les Chinois s'en moquent. Un étudiant pékinois actuellement à Montpellier me disait l'été 2003 : " La politique ? Ce n'est pas important. Ce qui compte, c'est le développement économique. Manger à sa faim, gagner de l'argent, c'est tout ce que nous voulons. " Cette indifférence est un héritage confucéen : " Qui n'occupe pas une fonction au gouvernement, ne porte pas de jugement sur son action. " Il y a aussi la méfiance ancestrale à l'endroit du pouvoir : " Voir le mandarin, c'est déjà un ennui à demi. " Je parlai du SRAS, dis que je redoutais les effets économiques, donc sociaux de l'épidémie, avec toujours le risque que la masse des mécontents se fasse force insurrectionnelle. Il rit. " Le SRAS, c'est fini ! " Je repense à un récent article du Figaro : " Malgré l'épidémie, la Chine persiste à promettre 8 % de croissance " avec cette nuance : " L'effet du SRAS sera plus important sur l'emploi et sur le moral des gens que sur le PIB . " Je le dis. Mon interlocuteur répond : " Ça a gêné un peu les gens, mais c'est fini " et il ajoute : " Vous êtes allé en Chine récemment ? " " Au printemps 2002, encore. " Il me demande de lui faire part de mes impressions.

 

Retrouver Pékin

 

Mon épouse et moi étions allés à Pékin au printemps 1999. En 2002, première constatation : la disparition de l'aérogare soviéto-maoïste dont les tons pisseux, sous des plafonds bas, ont fait place à des volumes clairs. Dans le hall, comme de coutume, une foule d'hommes propose des services. Notre guide est là, qui a vite fait de nous entraîner dehors. Direction Pékin, où nous arrivons en une demi-heure. Revoici cette Chine au quotidien que nous avions découverte trois ans plus tôt et qui peut séparer les Chinois de nous, si nous ne faisons pas un effort d'adaptation : entrer dans leurs boutiques, manger ce qu'ils mangent, prendre leurs autobus, marcher dans leurs rues, grâce à quoi nous avons découvert un peuple plein de vie et chaleureux. Un Français rencontré dans l'avion m'a raconté comme, même dans les années 1980, il était difficile d'aborder un Chinois : " Le Chinois de la rue esquivait vos questions, de peur d'être dénoncé comme un mauvais sujet. " Cette méfiance n'a plus cours. À Pékin en 1999, à Shanghai et ses environs en 2001, des passants nous lançaient : " Welcome to China ! " En 2002, dans une petite ville du Shanxi, nous avons été abordés, mon épouse et moi, par une femme qui nous a demandé si nous étions " english " ; nous avons répondu " faguoren " – Français. D'un signe de croix répété, elle nous a signifié qu'elle était chrétienne et nous a fait comprendre que si nous en avions besoin, elle pouvait trouver à nous loger. On est loin de la peur de l'étranger, loin aussi du militantisme antireligieux de la République populaire de Chine – même si le gouvernement à l'endroit de la religion persiste à souffler le chaud et le froid.

Nous nous demandions si Pékin se ressentirait déjà de l'organisation des Jeux Olympiques de 2008. Les premières informations que nous donna notre guide ne laissaient pas de nous inquiéter : Pékin achevait la construction de son cinquième périphérique ; la municipalité avait multiplié les parkings qui étaient toujours pleins ; 13 % des familles pékinoises avaient désormais une voiture et il y avait de plus en plus de travaux... Quand nous passâmes à Jiangguomen, où se trouve l'ancien observatoire jésuite au faîte de sa tour, celui-ci m'a semblé plus écrasé par son environnement moderne que trois ans plus tôt. Nous vîmes aussi, derrière des murs provisoirement encore debout ou des barrières de chantier, de vastes zones complètement arasées : demain s'y dresseraient des tours ; quelques mois plus tôt, c'étaient des hutong, îlots populaires devenus insalubres. Notre guide était intarissable : on va construire des stades, des gymnases, une cinquantaine d'installations pour l'entraînement ; on va restaurer ou moderniser les égouts ; on va planter d'arbres et de pelouses toutes les étendues découvertes non bâties ; on va aménager 145 kilomètres d'autoroutes urbaines, construire un sixième périphérique et délocaliser, à l'extérieur du périmètre urbain, deux cents entreprises polluantes. Tout cela s'intègre dans le plan de modernisation de Pékin qui représente pour la municipalité un investissement global de 280 milliards de yuan. Les travaux ont commencé à l'automne 2002.

Pékin que nous retrouvons a vite fait de nous apaiser : c'est bien la ville découverte et aimée trois ans plus tôt. Il y a peut-être plus de voitures, moins de vieux bus croulants, moins de bicyclettes. Toujours aucun camion. Il y a peut-être plus de publicité à l'occidentale sur les immeubles commerciaux, dans le métro ; plus de produits occidentaux dans les grands magasins et plus de Chinois dans ces magasins où lesdits produits sont très chers. La bouteille de Perrier, 55 yuans, 8 € ! La foule est la même dans les rues : cadres masculins et féminins tirés à quatre épingles, filles en jean et T-shirt, garçons plutôt nippés à la diable : pantalons et vestes sans forme. Les rares enfants sont mis comme des petits princes et les vieillards, hommes et femmes, vêtus à la Sun Yatsen. La vie est peut-être un peu plus chère qu'en 1999. Est-ce dû au fait que les Pékinois ont plus d'argent ? Leur revenu moyen annuel a augmenté de 13 % en 2001, et atteint 2319 $. Mais les disparités sont grandes : une enquête opérée sur 86 professions salariées montre que le tiers supérieur des salariés gagne jusqu'à sept fois plus que le tiers inférieur qui ne dépasse pas la moyenne des 1500 $ l'an. Les salaires les plus élevés se rencontrent dans le secteur financier : la moyenne y atteint de 4 à 5000 $ l'an . Au plan national, les 20 % les plus riches de la population détiendraient 51 % des richesses, quand les 20 % les plus pauvres n'en auraient que 4 %.

 

Au Shanxi

 

Les Chinois ont commencé à goûter aux vacances. Le SRAS en 2003, les a contrariés. Depuis 1999, en effet, si officiellement ils avaient droit à une semaine de congés, le gouvernement avait décrété une semaine de congés supplémentaires à l'occasion du 1er mai, comme du 1er octobre, les deux fêtes nationales : il fallait amener le peuple à dépenser une épargne qui frise toujours les 40% des salaires reçus . Le peuple chinois a donc commencé à connaître les grandes migrations saisonnières à l'intérieur et vers l'extérieur du pays. En 2001, l'industrie nationale du tourisme a transporté 200 millions de personnes et fait un chiffre de 76 milliards de yuans – 1 % du PNB . Nous avons volé de Paris à Pékin sur un avion chinois, avec interdiction de fumer, nourriture insipide, films américains sous-titrés en chinois, ou films chinois sous-titrés en anglais. De Pékin, nous avons roulé vers le Shanxi : 450 kilomètres en dix heures à bord d'un wagon " couchettes molles " – c'est-à-dire de 1e classe. Traction diesel et voitures anciennes rachetées aux Russes : leur largeur en témoigne, il a suffi de changer les boggies. Départ à l'heure, arrivée à l'heure, compartiments propres, sanitaires de caserne. Le sommeil ? Allez dormir dans un train qui s'arrête toutes les vingt minutes dans de longs grincements de freins ! Je rêve d'un TGV Pékin-Shanghai. À 300 à l'heure, quelque 5 heures... Le projet est à l'étude : Français et Japonais sont sur les rangs .

Quand le jour s'est levé, c'était le Shanxi et la campagne. Il y avait déjà du monde dehors. Que pouvaient se dire dans la lumière grise de l'aube ces deux paysans accroupis à quelques mètres de la voie ? Je me rappelais les terres du Zhejiang et du Jiangsu, aperçues l'année précédente. Pas plus de traces de tracteurs qu'entre Shanghai et Hangzhou, guère plus de bêtes de trait ; le même jardinage sur des milliers d'hectares d'une terre jaune sale : le lœss. Par endroits, des tombes, dont certaines très récentes. L'habitat ? Il y a comme dans la région du bas Yangzi, ces espèces d'HLM rurales qui ont poussé au milieu des terres à l'époque des communes populaires, après qu'on eut démantelé la plupart des villages. De ces villages, avec leurs maisons individuelles, leurs rues en terre battue, vaguement empierrées, parfois cimentées, il en existe encore : construites en terre ou en brique, leurs maisons ceintes souvent de murs de terre sont couvertes de tôles, de tuiles. Le plus intéressant sinon le plus répandu, dans cette région, c'est l'habitat troglodyte, creusé à même les coteaux de lœss et obturé par une façade maçonnée. Les paysans vivent là comme leurs ancêtres ou peu s'en faut, car l'électricité se répand avec la télévision et les premiers appareils électroménagers.

Au Shanxi, peu d'arbres, la déforestation est ancienne en Chine. Les bouquets isolés que l'on remarque ont vingt ans et comptent des essences à croissance rapide. Le souci du reboisement est très présent à l'esprit des dirigeants chinois : terres arables à sauver, évolution climatique à contrer. Autour de Pékin, le désert gagne. Le " vent jaune " venu de Mongolie soufflant en tempête y voile le ciel en quelques secondes d'une teinte jaunâtre, recouvre la terre d'une obscurité crasseuse et pollue tout. L'expansion des zones boisées est une des solutions à apporter au fléau. D'ici à 2010, 10 000 hectares doivent, chaque année, être reboisés autour de la capitale. En 2001, 174 districts du nord-ouest du pays se sont vu imposer de convertir 343 000 hectares de terres arables en zone boisée, et de reboiser 432 000 hectares de collines dénudées.

Les routes du Shanxi sont d'une qualité très inégale, même les routes à péage : les travaux sont nombreux, moins toutefois que trous et ravines. Les autoroutes actuelles laissent à désirer. Mais on en voit se dessiner de nouvelles, surélevées sur des dizaines et des dizaines de kilomètres, pour éviter autant que faire se peut la catastrophe récurrente des inondations. La circulation est principalement celle de camions et camionnettes, ce qui n'exclut ni voitures particulières ni attelages : mules et chevaux, ni bicyclettes. Au Shanxi, est-il d'usage de dire, la houille est à fleur de terre. La plupart des usines qu'on y voit, quand ce ne sont pas des briqueteries à l'énorme four circulaire chauffé au charbon, sont des cokeries destinées à alimenter une grande partie des aciéries de l'empire. Il faut voir les paysans venir y acheter la poussière de charbon qu'ils emportent dans une remorque accrochée à leur vélo, sur le plateau de leur triporteur, ou façonnent sur place, au moyen d'une presse à main, en petits cylindres percés de trous qui faciliteront le tirage. Il y a aussi quelques hauts-fourneaux, et il me semble que nous avons aperçu au loin les cheminées jumelles d'une centrale nucléaire.

Quand on traverse les villages chinois, la saleté dont les grandes villes sont exemptes dans leurs principales artères, on la retrouve sous toutes ses formes : débris de végétaux, vieux bouts de bois, ferraille, vieux papiers, vieux cartons, vieux pneus, vieux chiffons. Le Chinois ne perd rien, mais avant qu'il recycle, peu semble lui importer d'avoir à disputer son chemin aux immondices. Ce laisser-aller n'est pas une particularité rurale : en ville, jetez un coup d'œil dans l'entrée étroite des maisons qui s'ouvre sur la rue ; vous découvrez toujours un capharnaüm noyé de poussière ! Il y a, en Chine, de grands progrès à faire encore dans le domaine de l'hygiène ; je dis encore, car, petit à petit, les choses changent. En 2002, on crache moins à Pékin qu'à Paris. Il est vrai qu'à Paris on crache aujourd'hui bien plus qu'il y a vingt ans. Dans la Cité Interdite, l'interdiction s'intègre à l'invitation faite aux Chinois d'avoir la fierté de leur héritage ancestral : la " table rase " de la Révo'cult est loin.

 

Propagande et papier glacé

 

Le voyage en Chine n'est pas seulement l'occasion de se plonger physiquement dans le monde chinois ; il permet encore de rassembler rapidement des textes que la Chine publie en langue anglaise et qui ne passent guère les frontières. La plupart d'entre eux, insérés dans des revues élégantes sur papier glacé : Beijing Review, Beijing this Month, Buisiness Beijing, sont destinés aux visiteurs étrangers, principalement les professionnels de passage. À travers eux, on a sans doute une vision partielle et partiale de la Chine, mais celle-ci répond à l'image que le pays entend donner de lui à ses partenaires. Aux professionnels, elle permet d'éviter les questions qui fâchent. Ces questions sont toujours les mêmes : politique " une seule Chine ", affaire tibétaine, droits de l'homme et démocratie. Une brève, diffusée dans Beijing Review, le 2 mai 2002, s'en prend à " une résolution récente et totalement inacceptable du Parlement européen ", qui a voté " un texte intitulé Stratégie de l'Union européenne à l'endroit de la Chine ". Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères a noté que " la résolution tire des conclusions erronées au sujet, entre autres, des questions de Taiwan, du Tibet et des droits de l'Homme ". Il récuse ces ingérences et " invite énergiquement le Parlement européen à observer scrupuleusement le principe "une seule Chine" et à respecter la règle des relations bi-latérales, s'il ne veut pas porter atteinte aux liens existant entre la Chine et l'Union européenne. "

Chaque fois qu'un chef d'État étranger vient en Chine, qu'un dirigeant chinois est en visite à l'étranger, le compte rendu comporte une mention explicite de la reconnaissance, par l'hôte reçu ou par la puissance accueillante, de la légitimité de la politique " une seule Chine ". Taiwan un point chaud ? Vu de l'extérieur, sans doute. Trop de gens en Occident, principalement aux États-Unis, estiment nécessaire qu'existe cette Chine " démocratique " face à la Chine " communiste ", afin de conserver un pied (militaire) dans la région : cela nous vaut, de temps à autre, des rodomontades, des deux côtés du détroit, lesquelles sont amplifiées par la presse, toutes les presses : la chinoise continentale pour faire valoir la volonté unitaire de Pékin ; la presse de Taiwan qui rappelle la volonté autonomiste (sinon indépendantiste) de l'île jadis " nationaliste " ; la presse occidentale qui s'attarde volontiers sur ces événements, afin de faire valoir la supériorité des régimes démocratiques – comme si la Taiwan néoconfucéenne était gouvernée à la manière des États de l'Europe ! Ces poussées de fièvre n'empêchent pas les Chinois de Taiwan d'être les plus gros investisseurs " étrangers " en République populaire et d'y multiplier les entreprises. Taiwan y compte tant de points d'implantation économique que Pékin presse les autorités de Taibei de permettre aux sociétés financières et de transports du Continent de jouir dans l'île des mêmes facilités, " au nom des principes d'équité, d'égalité, de réciprocité et d'intérêts mutuels ". Un million de Taiwanais sont installés sur le Continent, où ils ont investi plis de 100 milliards de $. Leurs usines fabriquent des semi-conducteurs, des ordinateurs portables, des écrans de télévision. Non seulement les 140 kilomètres de mer qui séparent Taiwan de la Chine communiste ne signifient rien pour eux, mais encore sont-ils parfaitement satisfaits du régime de Pékin .

 

Droits de l'homme à la chinoise

 

L'habileté diplomatique, le jeu économique n'empêchent pas d'argumenter. Le Chinois sait défendre ses positions comme le meilleur rhéteur occidental. Vous avez dit " droits de l'Homme ", " démocratie " ? Balayez devant votre porte ! Cette dialectique ancienne déjà me semble s'affiner depuis le Forum du XXIe siècle, réuni à Pékin en septembre 1996, durant lequel des hommes politiques du monde entier ont fait une sorte de kotéou moral devant les représentants de l'Empire au cœur même de l'Empire, et applaudi à la déclaration de l'ancien ambassadeur de la Chine auprès des Nations Unies M. Fan qui disait : " Les Occidentaux insistent sur le droit de l'individu ; les Orientaux privilégient l'engagement de la personne dans sa famille, le village, la collectivité nationale. Une liberté individuelle absolue, illimitée, est incompatible avec l'ordre et la loi. Incompatible aussi avec une tradition qui impose aux gens la priorité de la stabilité sociale et de l'ordre public. " Selon Beijing Review, si les Occidentaux font des droits de l'homme et de la démocratie des valeurs absolues, les Chinois les intègrent dans la ligne empirique de leur culture. On jouit plus ou moins des droits de l'homme, en fonction de ce que l'on éprouve de satisfactions sous le régime dans lequel on vit, et la démocratie ne saurait se résoudre à la liberté anarchique de parole et au dépôt chronique d'un bulletin dans une urne ! Pour les Chinois, la polémique sur les droits de l'homme en Chine est " le fait de Washington qui veut se donner des airs de gendarme de la planète ". Les Américains qui connaissent la Chine en conviennent ; leurs gouvernants restent aveugles. Les Chinois donnent au moins trois raisons à cette cécité volontaire : " 1/ Le non-respect des droits de l'homme semble ne les intéresser qu'en Chine [...]. 2/ Ils nous livrent une "guerre froide" sous le thème fourre-tout des droits de l'homme. 3/ Ils ont une fâcheuse tendance à ne considérer que les ombres couvrant encore ici et là notre société qui leur demeure étrangère, sans considération pour les zones lumineuses qu'ils minimisent. " L'auteur plaide la diversité des sociétés humaines et dénonce la chimère d'un modèle universel qu'on ne saurait imposer à la Chine sans lui faire violence.

Deng Xiaoping était convaincu que sa politique était démocratique ; il expliquait : " Il n'y a pas de modèle socialiste ; en conséquence, le gouvernement et le parti communiste chinois se doivent d'être à l'écoute de la population. " On opposera la répression de Tiananamen. L'intelligence commande d'écouter l'interlocuteur. M. Zhu Muzhi, président du Comité pour l'étude des droits de l'homme montre comment, à la façon chinoise, l'accession au pouvoir du PCC a été démocratique. Il se tourne vers l'histoire : le XXe siècle s'y inscrit comme un de ces interminables changements de dynastie qui faisaient perdre le mandat du Ciel à l'ancienne pour l'accorder à la nouvelle – le peuple étant l'intermédiaire du Ciel, puisque, selon Confucius " le Ciel ne parle pas ".

 

L'essence de la démocratie, dit-il, est plus importante que sa forme. Un peuple se réclame de la démocratie, à seule fin de pouvoir se faire entendre et de réaliser ce qui est son intérêt. Il ne revendiquera la démocratie que si ses aspirations légitimes ne sont pas entendues. La démocratie n'a qu'une signification : répondre aux aspirations du peuple. [...] Bien avant 1949, écrit encore M. Zhu, la volonté démocratique du peuple était la rupture avec l'impérialisme, le féodalisme et la bureaucratie aux ordres du capitalisme. Les derniers empereurs ont essayé de faire quelque chose dans ce sens, avec le seul souci de demeurer en place. Ils ne répondaient pas aux aspirations démocratiques de notre peuple, ils ont été balayés par la révolution.

 

En bon Chinois qui sait que " l'histoire est le miroir de l'avenir ", il poursuit :

 

Le Guomindang qui gouverna, de 1912 à 1949 prétendait aussi être démocratique : de fait, il s'appuya sur la bureaucratie et s'abstint de combattre sérieusement l'impérialisme. De plus, il adopta une attitude ambiguë dans la lutte contre les Japonais. Après la défaite japonaise, le peuple n'aspirait qu'à une reconstruction pacifique du pays. Le Guomindang qui se disait démocratique n'entendit pas sa voix et déclencha la guerre contre le Parti communiste chinois, sous le prétexte qu'il refusait les pratiques démocratiques : assemblée nationale, élections présidentielles. Depuis son établissement, le Parti communiste chinois a toujours hissé très haut l'étendard de la démocratie ; c'est lui, depuis ses bases révolutionnaires, qui a mené un combat victorieux contre l'impérialisme, contre la bureaucratie, contre le Japon !

 

L'action démocratique, cela a été le comportement de l'Armée Populaire de Libération qui a su s'appuyer sur le peuple et s'est bientôt trouvée au milieu de la paysannerie " comme un poisson dans l'eau ". La proclamation de la République populaire est une réponse démocratique à la volonté populaire ! CQFD. Après ?

 

M. Zhu passe vite sur l'ère Mao. " L'histoire a prouvé que seul ce socialisme pouvait sauver la Chine et que l'établissement d'un socialisme à la chinoise étant conforme à la volonté et aux intérêts du peuple, il est bien d'essence démocratique. " L'ère Deng ?

 

L'architecte de la récente réforme chinoise et de notre ouverture au monde disait que sans démocratie, il n'y a pas de socialisme possible. Les difficultés sont nombreuses, peu prévisibles : seule la démocratie peut en triompher. En effet, comment choisir une voie sûre, si on n'écoute pas le peuple, si on ne fait pas fonds sur son intelligence, son énergie ? En faisant fonds sur le peuple, on peut se faire entendre de lui, c'est pourquoi la Chine peut surmonter tous les types de difficultés et atteindre à de formidables succès dans la construction du socialisme.

 

Liberté d'expression

 

M. Zhu achève sur la liberté d'expression : " Il n'y a pas de démocratie sans elle " ; et à nouveau s'en prend aux Occidentaux. " Pour eux, cette liberté permettrait à chacun de dire le fond de sa pensée. Or, la plupart du temps cette franchise n'existe pas, elle coûterait trop cher à qui en userait ! Par ailleurs, il est évident que, chez eux, les gens riches ont le moyen de faire taire les autres. " Le mandarin cite en exemple l'élection présidentielle française : " Le plus riche disposant des plus gros moyens de propagande a le plus de chances de l'emporter " ; puis il reprend sa leçon :

 

Le peuple a besoin de liberté d'expression pour défendre ses intérêts. Mais les opinions divergent, en sorte qu'il convient de se plier aux suggestions de la majorité... Or il existe une version biaisée de la liberté d'expression : voyez ce qui s'est passé durant la Révolution culturelle. Les gens pouvaient dire n'importe quoi sur n'importe qui, semant troubles et conflits à travers tout le pays. Nous nous méfions du phénomène : sous prétexte de cette liberté, des Occidentaux poussent leurs partisans dans les pays étrangers à s'opposer à leurs gouvernants, en sorte d'affaiblir ces gouvernants et ces pays, pour mieux les contrôler. Ils agissent sous le prétexte fallacieux de la " liberté d'expression ". Si les gouvernants des pays visés réagissent contre les partisans de l'Occident, les voici taxés d'atteinte à la démocratie. Faut-il donc laisser faire, jusqu'à ce qu'éclatent des troubles, qu'il y ait mort d'homme, jusqu'à ce que le pays perde sa souveraineté, au nom de la liberté d'expression ?

 

L'allusion est évidente à la " dissidence " qui, il faut bien le dire, ne représente qu'une part infime de l'opinion et conçoit surtout de la démocratie le formalisme occidental qu'elle idéalise.

Beijing Review est destinée à une clientèle plus motivée par les bénéfices commerciaux que par la vie politique chinoise ; elle leur offre des informations propres à les conforter dans le bien fondé de leur venue en Chine. " L'entrée de la Chine à l'OMC lui impose une tâche considérable. Celle-ci inclut un travail législatif qui rende la législation chinoise compatible avec les usages internationaux ; un ajustement constant de ses produits à la demande du marché mondial et un accroissement constant de leur qualité indispensable à une saine compétitivité. " Un tel souci ne va pas sans " apprentissage des moyens les plus modernes de management, en quoi les pays étrangers peuvent montrer à la Chine comment intégrer l'OMC ". Quand il y a à apprendre, la Chine se fait le disciple des gens du dehors. Est-ce que toutes les nations ne doivent pas se soucier de progresser dans le toujours délicat problème des relations entre partenaires issus de civilisations différentes ? Mais il existe des domaines où la Chine estime n'avoir de leçons à recevoir de personne.

 

Les chrétiens en Chine

 

Le domaine religieux en est un. En 2001, nous sommes allés librement à la messe de Pâques à Shanghai ; en 2002, une chrétienne est librement venue vers nous et s'est fait connaître comme chrétienne. À l'occasion de la Fête-Dieu 2002, une procession est autorisée sur la voie publique et rassemble 3000 personnes autour de l'évêque " officiel " du diocèse de Fuzhou. Depuis mars 2003, l'évêque " officiel " de Pékin est un des seize vice-présidents de l'Assemblée nationale. L'évolution est indiscutable dans les rapports entre la Chine " communiste " et la religion chrétienne. Ce qui n'empêche pas qu'il n'y ait de mois sans que l'autorité politique fasse sentir sa puissance à ceux des chrétiens – les " clandestins " – qui ne font pas partie d'églises reconnues par le pouvoir, telle l'église catholique patriotique : prêtres arrêtés ou assignés à résidence, sanctuaires " non autorisés " détruits, brimades diverses. En matière de religion aussi, force doit rester à la loi – celle-ci fût-elle la seule volonté du PCC. Mme Rice, conseillère du président américain, a confirmé que les autorités chinoises au plus haut niveau avaient mis sur pied en décembre 2001 un groupe de travail sur les questions religieuses, et que George Bush voyait dans cette initiative un signe encourageant. C'est la première fois que l'existence d'un groupe de travail de si haut niveau est officiellement rendue publique. Manœuvre à l'endroit de l'opinion internationale ? Il n'est pas interdit de le penser. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que, dans une perspective de solidarités sociales que la conjoncture économique mondiale et la récente entrée de la Chine à l'OMC rendent de plus en plus nécessaires, les autorités chinoises pensent pouvoir fonder des espoirs sur l'action des communautés religieuses : bouddhistes, catholiques " patriotiques " notamment – dès lors qu'elles en conservent le contrôle .

Les autorités chinoises connaissent assez bien les églises et autres groupes clandestins ; elles les regardent et les dépeignent avec une extrême sévérité. Le montre un document réputé secret, publié à Pékin, par l'organisation américaine The Committee for Investigation on Persecution of Religion in China. Ce document détaille délits et crimes imputables à ces groupements, et les mesures à prendre par les autorités locales " pour mener la répression contre les mouvements religieux non reconnus officiellement, tels Falungong ou les Églises chrétiennes clandestines ". Ces documents couvrent la période avril 1999-décembre 2001. Selon l'organisation américaine Freedom House, " ils fournissent la preuve que la Chine reste déterminée à éradiquer toute forme de pratique religieuse qu'elle ne peut contrôler et n'hésite pas, pour ce faire, à recourir à des moyens extrêmes ". À leur nombre, les condamnations les plus sévères et le dénigrement systématique des groupements et églises concernés. Que faut-il comprendre ? Que les autorités chinoises entendent accorder la liberté de culte dans le cadre des lois existantes, hors de toute influence étrangère . Or puisque les catholiques de l'Église patriotique sont de bons catholiques, prient pour le pape et pour leurs frères catholiques, elles ne voient pas pourquoi les clandestins ne rejoindraient pas leurs frères " bons patriotes ", c'est-à-dire " vrais Chinois " ! On en revient toujours aux Trois Autonomies, définies en 1950, prônant une " Église catholique en Chine [qui] observe une politique d'autonomie et d'indépendance par laquelle les catholiques chinois, clercs et laïcs, prennent en charge leurs propres affaires ", sans relations autres que " purement religieuses " avec le Vatican.

 

Chômage à la une

 

Ces passes d'armes intéressent très modérément les voyageurs de commerce et autres investisseurs : si elles agitent les tribuns de l'Occident ou y inquiètent les chrétiens, si elles agacent les dirigeants chinois, elles n'influent guère, quoi qu'on dise chez nous, sur les questions économiques. Des problèmes plus concrets préoccupent le peuple chinois et son gouvernement et, du même coup, offrent un réel intérêt pour leurs interlocuteurs étrangers. Parmi les titres des journaux chinois de langue anglaise, durant les six jours où nous étions à Pékin, en avril 2002, deux ont particulièrement retenu mon attention. Ils regardaient le problème majeur auquel la Chine n'évitera pas d'être confrontée : le chômage. Si un marché de l'emploi florissant détermine qualité sociale d'un régime et paix civile sur laquelle il peut compter, le problème de l'emploi prend des proportions de cauchemar dans un pays peuplé de 1,3 milliards d'hommes... Il serait faux, voire absurde, de soutenir que la Chine va bien, si les Chinois par millions, puis dizaines de millions et même centaines de millions sont privés de travail. On le sait, il y a 900 millions de ruraux en Chine, sur lesquels on compte environ 350 millions d'agriculteurs lesquels pour continuer à gagner leur vie, persistent à travailler comme il y a quelques siècles. Car si l'agriculture chinoise se modernisait et surtout se mécanisait, 40 millions d'hommes suffiraient à cultiver l'ensemble des terres. Que ferait-on des 300 millions restants ? Tel est le genre de questions monstrueuses que les dirigeants chinois d'aujourd'hui et de demain auront à résoudre. " Questions " au pluriel : car la population rurale n'est pas seule en cause. Les 240 millions d'emplois " urbains " ne sont pas tous assurés : il faut citer notamment la difficile reconversion des salariés des sociétés nationales dont les effectifs ont baissé de 30 % depuis 1998 – la part de ces entreprises archaïques dans la production du pays n'étant plus que de 37 %.

Le danger n'est pas pour dans dix ou vingt ans (les chiffres plus récents le confirment) . " Dans les quatre ans à venir, la Chine est susceptible de connaître la plus sérieuse crise de l'emploi qu'elle ait jamais affrontée, avec un nombre de chômeurs supérieur à 20 millions ", déclarait China Daily, le 29 avril 2002. Le vice-ministre du Travail Wang Dongjin expliquait :

 

Il nous faut faire face à une demande d'emploi toujours plus grande et pour tout dire excessive, à quoi s'ajoute un nombre croissant de travailleurs dont les qualifications sont obsolètes. Dans les cinq ans à venir, ce sont en moyenne 12 à 13 millions de Chinois qui arriveront sur le marché du travail chaque année, auxquels il convient d'ajouter quelque 5 millions de salariés débauchés par les entreprises nationales et les 6 millions de chômeurs déjà recensés fin 2001. Il faut voir en outre que 150 millions de ruraux, sans vrai travail, lorgnent vers les villes à la recherche d'un emploi (72 % des emplois créés au cours du premier trimestre 2002 l'ont été dans les 78 plus grandes villes de Chine). Or, même en conservant le taux de croissance actuel, soit de 7 à 8 %, on ne peut espérer créer plus de 8 millions d'emplois par an.

 

Et M. Wang d'avertir : " Faute d'enrayer la progression du chômage, c'est la stabilité sociale du pays tout entier qui se trouverait compromise. " Qui sont ses chômeurs ? Beaucoup viennent des entreprises d'État : textile, charbon, industries mécanisées dont les technologies ont changé. Ils sont d'âge moyen, ont un niveau scolaire très bas et une qualification réellement dépassée. Il y a des jeunes aussi, sans qualification. Un phénomène identique mais d'une ampleur plus grande est à redouter, avec les paysans privés d'emploi : si l'entrée de la Chine dans l'OMC est, à moyen et long termes, une source de créations d'emplois, elle va déterminer dans le domaine agricole une indispensable modernisation des moyens de production, avec pour conséquence une baisse de la demande de main-d'œuvre, que seule peut freiner, un temps au moins, la diversification des productions à fin d'exportation. Cette diversification a commencé. S'il y a quelques années déjà que la Chine est " le poulailler et le potager du Japon ", elle est désormais " un exportateur net de produits agricoles " : 13 milliards de $ à la vente contre 10,3 milliards à l'achat .

La hausse du chômage des jeunes est un autre sujet de préoccupation : il représentait 14 % du nombre total des demandeurs d'emploi en juin 2001, il atteignait à 19,3% fin mars 2002 ; je ne sache pas qu'en cet été 2003 la courbe soit infléchie. Le niveau général de scolarisation demeure faible : presque tous les enfants vont à l'école, mais ils n'y restent que peu d'années. La situation est-elle critique ? Elle est sérieuse. Le gouvernement en a conscience. Le Bureau d'information du Conseil d'État publiait récemment un livre blanc dressant la liste des " formidables efforts déployés par le pays pour garantir aux Chinois leur droit au travail et à la sécurité sociale durant l'édification de l'économie socialiste de marché depuis la fin des années 1970 ". Ces efforts ont été d'autant plus formidables, que " la pression de la formidable population du pays rendait la tâche presque insurmontable ". Quelques faits, quelques chiffres ? " Grâce aux efforts conjugués du gouvernement et des différents secteurs d'activités ", depuis 1978, il s'est créé 328 millions d'emplois, dont 144 en zone urbaine. Si, entre 1998 et 2001, 25 millions de salariés ont dû quitter les entreprises d'État, 17 millions ont retrouvé un emploi. De 1996 à 2000, plus d'1 million de handicapés ont reçu une formation professionnelle et trouvé du travail. Le travail des jeunes de moins de seize ans a été interdit, les contrevenants ont été poursuivis. L'État protège désormais les femmes au travail, qui bénéficient des mêmes droits et salaires que les hommes. La semaine de travail a été ramenée pour tous à 40 heures et les heures ouvrables quotidiennes, à 8.

Depuis 1978 et compte tenu de l'inflation, la moyenne des salaires a été multipliée par 5,5 ; en ville la rémunération moyenne d'un salarié est de 10 870 yuans – seize fois ce qu'elle était avant 1978. Une inspection du travail a été créée en 1993 ; elle compte aujourd'hui 3175 unités regroupant 40 000 inspecteurs. Plus de 3000 organismes arbitraux ont été créés depuis 1993, pour juger des conflits du travail ; ils ont eu à connaître de plus de 600 000 litiges qui ont été réglés à l'amiable à 90%. Le chômage ? Les allocations sont rares et maigres. En ville, depuis 1993, une allocation a été créée pour les plus démunis ; en 2001, elle concernait près de 12 millions de personnes et coûtait à l'État 2,3 milliards de yuans. Un système similaire a été inauguré pour les campagnes. Telle est la loi, mais elle n'empêche pas que plusieurs dizaines de millions de Chinois n'ont pour vivre qu'1 à 2 yuans par jour (0,25 €).

En matière de santé, même si au plan de la recherche la Chine est active et brillante (en hématologie notamment), le vaste cafouillage qu'a causé le SRAS montre comme la tâche est immense. Un système moderne est à mettre en place : on a commencé dans certaines grandes villes où un réseau d'assurance mutuelle est instauré peu à peu pour les employés municipaux ; il concernerait déjà plus de 70 millions de personnes. La nouvelle direction chinoise s'est donné comme priorité déclarée la réduction des inégalités entre riches et pauvres, entre villes et campagnes, entre l'est côtier et l'ouest continental. À ces fins multiples, un contrôle du marché s'impose, et un gouvernement qui jouisse d'une réelle autorité et de vraies compétences. Ce n'est pas nouveau : le Livre de Dong Wei sur le secours en cas de famine, présenté à la Cour des Grands Song, en 1200, s'il constate que l'intérêt privé fait la fortune publique, insiste sur le fait qu'il convient que la puissance publique, " par l'intermédiaire de fonctionnaires habiles et expérimentés, agisse sur l'intérêt privé, plutôt que de le laisser aller au gré de l'offre et de la demande ". Quels sont les objectifs concrets de ce contrôle politique judicieux ? En voici quelques-uns : " Créer un unique marché du travail englobant citadins et ruraux... Développer partout les compétences des travailleurs et assouplir les clauses des contrats de travail... Promouvoir une politique des revenus stimulante et mieux équilibrée... Activer la réforme du système de protection sociale où il existe, et le bâtir où il n'existe pas... Développer l'assurance vieillesse et l'assurance santé... Développer des politiques d'aide sociale, d'entraide mutuelle, pour garantir à tous les citadins un standard de vie décent... "

Programme immense. D'autant plus vaste que, si, comme on le lit par ailleurs, l'État chinois se voit obligé d'" établir un système de gestion efficace et équitable des fonds de protection sociale, sous le triple contrôle de l'État, des assurés sociaux et de l'administration interne du système ", c'est que les solidarités familiales ou claniques millénaires ne sont plus à même de répondre aux contraintes d'une société dont le développement économique semble être devenu la raison d'être ! Nous assistons à la lente gestation d'un gigantesque État moderne propre à encadrer et à guider une société qui, dans bien des secteurs, se modernise beaucoup plus vite que lui. Course de vitesse et course de fond ! Il reste des zones d'ombre en Chine et il n'est pas insolent de penser que le proche avenir peut apporter de gros orages ; il n'en est pas moins vrai que le pays qui s'ouvre " depuis le IIIe plénum du XIe Congrès du PCC de décembre 1978 ", a vu s'élargir les zones ensoleillées.

Dans la lumière du Languedoc, je répétai cette dernière formule à mon interlocuteur pékinois et ajoutai, pour sa plus grande satisfaction :

– Le voyageur étranger, quel que soit le motif de sa venue, ne peut que le constater.

 

 

 

 

 

Quelques mois ont passé depuis mon tête-à-tête chinois en Languedoc, et la Chine (le 22 janvier 2004) est entrée dans l'année du Singe, traditionnellement de bon augure. Rien, depuis fin août 2003, ne me semble être survenu qui rendît caduques les observations que j'ai faites en 2002 et 2003. La presse occidentale multiplie les bilans chiffrés : aucun n'apporte de surprises. Ils confirment les données de la croissance, nous enseignant au passage que les internautes chinois sont désormais 68 millions ; que si les investissements étrangers en Chine voient leur croissance ralentir (-1,2 %), ils auront été toutefois de 368 milliards de $US ; que le charbon représentera 50 % des sources d'énergie du pays jusqu'à 2050 encore. Ce qui ne signifie pas qu'il ne s'est rien passé d'important dans l'empire depuis septembre. La Chine lutte de façon toujours plus efficace contre les inondations, ici, autour du fleuve Bleu ; là contre la sécheresse, comme dans le Hubei. À côté de cet inévitable retour à la terre qui fait traditionnellement appel à une part importante de ses forces, la Chine est devenue, le 15 octobre, la troisième puissance spatiale de la planète ! Un Chinois da gong, le " grand vide ", un événement pour la Chine et les Chinois ! Il peut avoir un écho considérable dans trois domaines : 1/ à l'intérieur, exalter la fierté nationale et conforter le pouvoir en place ; 2/ dans la région Asie-Pacifique, montrer qui est le " grand dragon ", au milieu des " petits dragons " et autres " petits tigres " ; 3/ au plan international, fût-ce avec quarante ans de retard, prendre rang, dans un domaine supplémentaire à la hauteur des " grands ". Ces grands ne sont d'ailleurs plus que deux : les États-Unis d'Amérique au sommet de leur puissance sur le monde, la Chine, ainsi que le disait Alain Peyrefitte, " première puissance potentielle " du monde. Sans doute les " taikounautes " ont-ils bien des années de retard sur " astronautes " et " cosmonautes ", mais que sont quelques lustres au regard des siècles sur lesquels les dirigeants chinois n'hésitent pas à compter ?

J'observe aussi que, sous la plume de grands reporters, des articles interminables évoquent les menaces que le chômage des ruraux, la pauvreté des retraités, le dénuement de certaines régions font peser sur l'équilibre politique et social de l'empire. Par ailleurs, force est de constater que, malgré le SRAS qui a troublé un temps le mouvement économique et qui, peut-être, reparaîtrait dans le Guangdong, le PNB (+ 10 % en fin d'année 2003), ne paraît pas avoir été sujet à de vraies conséquences. Au 1er octobre 2003, le salarié chinois a eu droit à sa semaine de congé... Il en ira de même en cette seconde nouvelle lune d'hiver, 22 janvier. La Chine, malgré la trop lente évolution économique de populations entières qui sont comme des nuages d'orage qui s'accumulent, paraît à l'observateur traverser une époque faste et plus largement prospère que l'empire ait jamais connue. Elle est née d'une conception sociale de la démocratie, eût dit Jacques Guillermaz, et s'avère, eu égard au courage et aux talents des Chinois, à un nombre toujours plus grand d'entre eux. Qu'on se rappelle cette image heureuse du dynamisme chinois, relevée dans Le Figaro : " La Chine, déjà consacré comme "l'atelier du monde" pourrait bien en devenir la "locomotive" ... " Espoir pour elle et solutions à venir pour l'immense problème que pose à Pékin l'évolution économique et sociale si inégale de ses populations. Au début du XXe siècle, on évoquait " le péril jaune ", sous le jour de la capacité de travail du " jaune " – le seul qui eût quelque crédit : la menace est pour nos petits-enfants. Les événement du XXe siècle (en Chine et ailleurs) en ont disposé autrement. Le XXIe, sauf cataclysme interne ou bouleversements mondiaux, devrait voir éclore une Chine moderne dont bien malin qui pourrait en préciser les traits.

 

X. W.