" L'EGLISEÉGLISE DOIT ACCORDER aux non-catholiques la liberté d'action et de pensée qu'elle réclame pour elle-même. " Cette affirmation innovante, certes préfigurée de longue date lors de pontificats antérieurs, constituait déjà l'un des apports essentiels du " jeune " Wojtyla, quand il n'était encore que prélat polonais, peu connu, siégeant au concile Vatican deuxII (1962-1965).
Ainsi, sur la base de cette citation, prenait fin une conjoncture paradoxale, vieille d'au moins deux siècles, au cours de laquelle le clergé " papiste " avait dénié, dans le principe, à ses concurrents, venus d'autres groupes, le droit à une certaine liberté, tout en bénéficiant (pour son libre franc-parler) des avancées du libéralisme moderne et tolérant qui par ailleurs était maintes fois, mais pas toujours, antichrétien, reconnaissons-le.
Plus " complexe " est le texte que publia Jean-PaulJean Paul, devenu pape (1978) en son encyclique Laborem exercens : il y préconise un nouvel ordre économique, basé sur les droits des travailleurs, et sur l'éminente dignité du labeur ; un nouvel ordre qui ne serait ni capitaliste, ni marxiste ! On est là un peu dans l'utopie, puisque cette troisième entité, ce " ni-ni ", n'a jamais pu prouver son existence réelle ; la moins mauvaise solution restant celle, due à la République fédérale allemande des années 1950, de l'économie sociale du marché.
Le premier voyage à Paris de Jean-PaulJean Paul II avait été de ce point de vue, un sérieux rappel à la fâcheuse " réalité " du politiquement correct : Sa Sainteté avait été accueillie en Seine-Saint-Denis par un clergé local, peut-être sélectionné, qui inclinait nettement vers une gauche dure. Cependant qu'une illustre revue jésuite, de même tendance, " remontait les bretelles " du Pontife avec une rudesse peu commune. Tout cela bien oublié aujourd'hui, surtout par les plus jeunes, mais qu'il convient quand même de rappeler. La Mule du pape, chère à Alphonse Daudet, avait du reste bonne mémoire : quelques années après cet incident " ignacien ", le Souverain Pontife pontife " adoptait d'énergiques mesures pour restaurer la morale, le moral et l'effectualité (sic) de la compagnie de Jésus " (d'après J. D. Kelly). Les Bons Pères en prenaient pour leur grade : un prêté pour un rendu ?
Œcuménique
Cet épisode parisien rappelle incidemment que nous sommes en présence, fait bien connu, d'un pape voyageur, migrateur même : on a totalement oublié, sur le continent, qu'il fut le premier " évêque de Rome " depuis belle lurette, à mettre les pieds en Angleterre (1982). Comme le temps passe ! Le cardinal Newman, au fil de son Autobiographie, signalait qu'en son enfance, au début du XIXXIXe siècle, au sein d'une église anglicane pourtant modérée par ailleurs, le chef du catholicisme mondial était tenu outre-Manche pour l'Antéchrist. Or à l'enterrement de Wojtyla, se trouvaient sur place trois représentants considérables du monde english-speaking, trois Wasps (White Anglo-saxons protestants) de gros calibre, dévotieusement agenouillés devant le catafalque : soit Bush père, Clinton et Bush fils. N'est-ce pas l'indice, depuis le meurtre d'Ann Boleyn (1536), lequel servit de prétexte au schisme anglican, n'est-ce pas l'indice, au bout de presque cinq siècles, d'un rapprochement décisif, en 2005, entre la Romanité péninsulaire et l'Anglicité transatlantique, américaine en l'occurrence ? Il faudrait, bien sûr, que l'œoecuménisme, au sens plein du terme, suive à son tour ce genre de mouvement réconciliateur, mais l'œcuménisme procède toujours avec une sage (?) lenteur.
On en est conscient depuis belle lurette. On l'a vu, une fois de plus, lors du voyage de Jean-PaulJean Paul II en Turquie (1979). Le Patriarche patriarche orthodoxe et le Pape pape assistèrent l'un et l'autre à leurs liturgies respectives, mais ils ne partagèrent point la communion. On connaît des couples qui font chambre à part et qui néanmoins s'entendent fort bien. Les deux hommes, à l'évidence, avaient fait table à part, au repas eucharistique, et peut-être était-ce davantage par la faute du prélat de Constantinople...
Radical
Quoiqu'il en soit, on ne peut exprimer qu'admiration totale pour la façon dont " JP2 " allié " objectif " de Reagan et de Gorbatchev, a su porter le coup de grâce au communisme. Du moins en ce qui concerne le bolchevisme appliqué aux peuples de race blanche (Russes, etc.). Pour le reste, s'agissant de la Chine, du Vietnam, et même et surtout de la Corée du Nord, le plus gros du travail reste à faire. JP2 a également souligné, dès 1965, l'importance de la hiérarchie, dans le cadre et dans les structures de l'organisation ecclésiale. Insistances fort ancienne de la part de l'EgliseÉglise : elles furent présentes dès le premier millénaire dans l'œuvre de ces grands penseurs chrétiens que furent le pseudo Denys l'Aréopagite, et Maxime le confesseurConfesseur.
Face au marxisme, la position Wojtylienne wojtylienne dès 1974 était radicale, trop radicale peut-être : " Le marxisme ne laisse à l'EgliseÉglise qu'une seule liberté, celle de ne pas exister ". Certes, mais cette doctrine contient aussi quelques éléments d'analyse, sociologique et autre, qu'on peut tenter de repêcher à l'occasion.
Pas d'accord
Les critiques à l'égard de Jean-PaulJean Paul ? Elles sont minimes, mais parfois de plus vaste portée. On nous permettra d'en formuler une ou deux. D'abord, le Pontifepontife, de temps à autre, s'est laissé mener en bateau par quelques-uns de ses compatriotes, petits messieurs assez dérisoires. Glissons... L'infaillibilité pontificale n'était pas en cause et c'est l'essentiel.
Plus sérieux sont les reproches qu'on peut faire à Jean-PaulJean Paul au sujet du célibat des prêtres. Le clergé français d'ici deux ou trois décennies se composera pour une grande part, de jeunes et fringants nonagénaires. Dans ces conditions, pourquoi pas des hommes mariés, nettement plus jeunes, pour combler un tel vide démographique ? Le fait est qu'au premier millénaire, encore lui, beaucoup de prêtres étaient nantis d'épouses, comme le sont aujourd'hui encore les pasteurs, popes et rabbins. Peut-on compter à ce propos sur Benoît XVI (?) pour changer les choses ? Quant à la prêtrise des femmes... J'ai souvenir de Jean-PaulJean Paul II, en ma présence, parlant à des philosophes polonais et s'exprimant ainsi contre la féminisation du clergé : " Tous les apôtres étaient des hommes. " A À quoi l'un de ces penseurs des rives de Vistule n'eut qu'à lui répondre : " Mais Saint Saint-Père, tous les apôtres aussi étaient des Juifs et depuis ... les choses ont changé. " Sa Sainteté, interloquée, fit dériver la conversation vers d'autres sujets...
E. L. L.