Par PIERRE-OLIVIER ARDUIN,
auteur de La Bioéthique et l'Embryon (Ed. de l'Emmanuel, 2007).
Appelée à réviser son dispositif en matière de recherche sur l'embryon humain, la France est à la croisée des chemins : faut-il autoriser la recherche sous conditions comme le propose le Conseil d'État ou maintenir le statu quo législatif actuel ? L'auteur passe en revue les aspects scientifiques, éthiques et législatifs de la question avant de dégager une troisième solution réaliste et cohérente, réconciliant la science et la morale. Ce travail a été exposé devant Jean Leonetti, rapporteur de la mission parlementaire de révision de la loi de 2004 et président des états généraux de la bioéthique, le 28 mars 2009, en tant qu'invité d'honneur de Mgr Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon.
EN 1998, le savant américain James Thomson isole dans son laboratoire de l'université du Wisconsin les premières lignées de cellules souches embryonnaires humaines. L'étude qu'il publie suscite un enthousiasme retentissant dans la communauté scientifique internationale, accompagné d'une déferlante médiatique .
I- LA REVOLUTION DANS LA RECHERCHE SUR LES CELLULES SOUCHES
Thomson vient en effet de montrer qu'aux cinquième et sixième jours de son développement, l'embryon humain, appelé à ce stade blastocyste, comprend des cellules que l'on peut extraire et amener à se différencier en tous les tissus composant un organisme adulte. Il les qualifie de cellules souches embryonnaires pluripotentes pour désigner leur remarquable plasticité. Le concept de médecine régénératrice était né : il serait désormais possible de réparer in situ nos organes en greffant à la demande ces cellules du miracle . Entre immortalité en culture du fait de leur grande capacité de prolifération et immortalité de l'homme, le pas était allégrement franchi. Prolonger la vie. Rendre, à quelque degré, la jeunesse. Retarder le vieillissement. Guérir des maladies réputées incurables ... , Francis Bacon était bien le prophète de la nouvelle épopée biotechnicienne. Les responsables politiques des pays développés étaient mis en demeure de légiférer rapidement afin de réquisitionner les embryons humains pour la recherche.
Or ceux-ci étaient abondamment disponibles. Le recours quasi systématique à la création d'embryons surnuméraires pour gonfler les résultats médiocres de l'assistance médicale à la procréation (AMP) avait généré des stocks considérables d'embryons humains congelés depuis le début des années quatre vingt-dix. L'AMP induisant un rapport de domination entre sujets producteurs d'une part – parents donneurs de gamètes, biologistes réalisant leur projet parental – et objet produit d'autre part, les esprits étaient mûrs pour faire de l'embryon un vulgaire matériau de recherche. Tant et si bien que les processus de fécondation in vitro sont devenus le premier fournisseur de matière première embryonnaire pour les chercheurs à l'affût.
La dérogation meurtrière de la loi française
Si la première loi de bioéthique du 29 juillet 1994 disposait que toute expérimentation sur l'embryon est interdite , le Parlement ayant jugé cette prohibition assez grave pour inscrire dans le Code pénal des sanctions sévères en cas de violation, sept ans d'emprisonnement et 700 000 francs d'amende, la loi du 6 août 2004 cèdera aux revendications des scientifiques, revêtant l'embryon humain des habits de cobaye de laboratoire. Pour concilier les parlementaires catholiques , le législateur instaurera un régime dérogatoire sur le modèle de la loi relative à l'IVG.
En effet, le dispositif réaffirme le principe d'interdiction de mener des expérimentations sur l'embryon tout en les dépénalisant à condition que ces recherches soient susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs et qu'elles ne puissent pas être poursuivies par une méthode alternative d'efficacité comparable . Et ce, pendant un moratoire de cinq ans et sur des embryons surnuméraires conçus in vitro qui ne font plus l'objet d'un projet parental selon l'expression consacrée. Le décret réglementant cette recherche étant paru le 6 février 2006, celle-ci sera donc de nouveau strictement prohibée le 5 février 2011 à minuit.
Seconde innovation technocratique de la loi nécessaire pour contrôler le dispositif et rassurer les plus dubitatifs, la mise en place d'un établissement administratif public chargé de délivrer les autorisations de protocoles de recherches sur l'embryon : l'Agence de biomédecine.
La double rupture conceptuelle du décret du 6 février 2006
Concernant le décret du 6 février 2006 proprement dit, nous avons fait remarquer à Jean Leonetti qu'il ne reprenait pas exactement les termes de la législation en opérant deux ruptures conceptuelles.
Théoriquement, la période de cinq années est requise pour qu'un couple puisse confirmer l'abandon de tout projet parental sur ses embryons surnuméraires congelés. Celui-ci est alors informé des possibilités qui lui sont offertes : arrêt simple de la conservation, accueil des embryons par un autre couple ou autorisation d'un protocole de recherche. Le consentement est écrit et doit être renouvelé à l'issue d'un délai de réflexion de trois mois. Or le texte réglementaire du 6 février 2006 reconnaît que lorsqu'un couple met en œuvre une AMP, il peut lui être proposé de consentir dans le même temps par écrit à ce que les embryons qui ne seraient pas susceptibles d'être transférés ou conservés fassent l'objet d'une recherche (art. R. 2151-4) . Autrement dit, l'équipe médicale peut demander à l'avance et a priori aux parents leur consentement à rejeter certains de leurs embryons jugés de faible qualité biologique avant même l'implantation des embryons conformes. Nous ne sommes donc plus très éloignés de l'intention de créer des embryons in vitro à des fins de recherche, strictement condamnée par le droit français . Ou à tout le moins, on ne peut nier que la frontière est extrêmement ténue entre les deux cas de figure puisque les biologistes de la reproduction savent que chaque cycle de FIV conduira à la conception d'un pourcentage incompressible d'embryons qui seront mal classés sur le plan morphologique, inéluctablement écartés et donc en puissance d'être donnés à la recherche dans de brefs délais. Ce point nous semble hautement contestable car il opère dès le début de la procédure de fécondation in vitro une discrimination entre les embryons qui resteront en quelque sorte couverts par le projet procréatif et ceux qui seront écartés au profit de la science.
La seconde rupture vient se greffer sur la pratique du diagnostic pré-implantatoire. Le décret autorise le couple à donner son accord afin que les embryons porteurs de l'anomalie génétique recherchée, lesquels par définition ne font l'objet d'aucun projet parental, soient donnés aux équipes scientifiques qui en font la demande. Statistiquement, les praticiens sont certains dans le cadre du DPI d'obtenir des embryons atteints de la pathologie en cause : le décret du 6 février 2006 autorise donc de manière détournée la création d'embryons malades in vitro à des fins de recherche, considérés par les chercheurs comme des outils précieux de modélisation cellulaire des maladies génétiques. L'Agence de biomédecine autorisait ainsi le 19 juin 2006 l'équipe des professeurs Marc Peschanski et Stéphane Viville (Laboratoire I-Stem, Inserm U421, Évry) à dériver des lignées de cellules souches embryonnaires humaines porteuses d'une mutation à l'origine de maladies monogéniques. Nous verrons plus tard pourquoi il était important de rappeler ce fait.
Les scientifiques cherchant constamment à améliorer les processus biotechnologiques, on peut penser que ces deux concessions réglementaires pourront d'ici peu se marier avec la mise en place à moyen terme d'un DPI de routine systématiquement associé à une FIV. Les biologistes effectueront un criblage génétique automatisé de plusieurs maladies, repérées à l'aide de puces, les parents s'engageant à livrer les embryons non conformes aux équipes de recherches. Pour l'instant, seules des limitations techniques empêchent de généraliser le DPI. Pour le professeur Jacques Testard, cette dérive est inéluctable, le DPI étant appelé à devenir l'instrument technique idéal d'un eugénisme consenti, moderne, non violent et démocratique .
L'imposture des cellules élixir de jouvence
Revenons à la recherche sur l'embryon proprement dite. Il est primordial de s'atteler à créer les conditions d'un climat d'honnêteté scientifique sans lequel toute réflexion bioéthique serait par avance biaisée. C'est d'ailleurs une recommandation avisée du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) dans son rapport préparatoire : Les états généraux doivent impérativement être l'occasion de donner à tous une information, plurielle et critique, sur les questions scientifiques qui sont au cœur de la révision de la loi de bioéthique. Le CCNE reconnaissait dès 1995 que la fiabilité et la loyauté de ces informations scientifiques deviennent de réels enjeux sociaux . Qu'en est-il du respect effectif des deux conditions dérogatoires justifiant l'atteinte à la vie de l'embryon humain, à savoir les perspectives de progrès thérapeutiques majeurs et l'absence d'alternative d'efficacité comparable ?
En dix ans de recherche, aucun essai clinique n'a pu être réalisé chez l'homme, aucune publication scientifique n'a pu fournir le plus petit élément prouvant une possible application thérapeutique chez un malade. A contrario, pour la seule année 2008, l'Institut national de la santé américain (US National Institute of Health) a comptabilisé 1987 essais cliniques à partir de cellules souches adultes et 106 à partir de cellules de sang de cordon.
La FDA, l'Agence sanitaire américaine, a cependant autorisé – après de longs mois de tergiversations, on nous l'annonce pour cet été – la tenue du premier essai de phase I mené à partir de cellules souches embryonnaires humaines sur une dizaine de personnes frappées de lésions importantes de la moelle épinière . Ce choix a quelque peu surpris la communauté scientifique puisque l'on s'attendait à ce que le feu vert américain concerne des pathologies plus courantes comme le diabète ou l'infarctus du myocarde. L'explication est simple : déontologiquement, il fallait des malades dans des situations cliniques très graves qui consentent à un essai risqué qui est avant tout un test d'innocuité.
Pourquoi ? Tout simplement parce que les cellules souches embryonnaires ont fait la preuve incontestable d'une instabilité chromosomique foncière à l'origine du développement de tumeurs. Le neurobiologiste Alain Privat a récemment rappelé devant la mission parlementaire que ce risque mutagène était à présent très bien documenté et excessivement fréquent . La conclusion de l'un des derniers rapports parlementaires sur la question est catégorique : Le risque de cancérogenèse après administration de cellules souches embryonnaires ES pourrait être proportionnel à leur capacité de prolifération [...]. Le taux de cancers développés après injection de cellules ES est très élevé .
D'autre part, il a été récemment montré qu'elles étaient très mal tolérées sur le plan immunitaire. Des chercheurs de l'université de Stanford ont pu le vérifier en étudiant en temps réel le devenir biologique de cellules embryonnaires transplantées chez la souris . Leur durée de vie moyenne n'excède pas la dizaine de jours chez un hôte immunocompétent. En d'autres termes, un organisme normal les repère très facilement comme des corps étrangers pour les éliminer grâce à ses cellules immunitaires dites tueuses . Une contre-performance supplémentaire à rajouter à une liste déjà longue.
Dernier point de plus en plus fréquemment soulevé : le mépris de la déontologie la plus élémentaire qui contraint tout scientifique à travailler au préalable chez l'animal. Pour le professeur Jacques Testard, cela constitue une entorse gravissime à la déclaration d'Helsinki qui exige de longues études chez l'animal avant toute expérimentation chez l'être humain. Dans une tribune au titre éloquent, Cannibales et marchands à la recherche de l'embryon (Libération, 27 avril 2009), il s'étonne de la volonté de s'emparer de l'embryon humain afin de développer une stratégie thérapeutique qui n'a pas encore fait ses preuves chez l'animal comme si l'humain pouvait être un matériau expérimental banal . Alain Privat vient de lui donner magistralement raison en affirmant que les cellules embryonnaires de primates suffisent amplement à poursuivre une recherche cognitive fondamentale de très haut niveau sans qu'il ne soit nul besoin de requérir à des zygotes humains. Il s'agit donc de la première objection sérieuse à opposer à l'Agence de biomédecine qui plaide pour la poursuite des travaux sur les cellules embryonnaires humaines dans le but d'identifier les mécanismes moléculaires de différenciation et de pluripotence . À quoi il faut répondre que l'embryon animal permet de s'en passer tout à fait.
La révolution scientifique des cellules iPS
L'absurdité scientifique de la recherche sur l'embryon est d'autant plus impardonnable que les chercheurs ont accumulé des découvertes spectaculaires dans le champ des cellules souches adultes. En mettant au point à la fin de l'année 2007 la technique de reprogrammation cellulaire, les Japonais Yamanaka et Takahashi ont révolutionné ce champ de la biomédecine . La recette consiste à introduire des facteurs de dédifférenciation dans le génome de simples cellules de peau qui rajeunissent alors de façon exceptionnelle. Prénommées cellules souches pluripotentes induites ou iPS, ces entités cellulaires donnent lieu à une avalanche de publications. Le bouleversement est tel dans la communauté scientifique que Ian Wilmut, père scientifique du premier mammifère cloné, la fameuse brebis Dolly, a renoncé à la technique du clonage embryonnaire humain dans une conférence de presse qui a fait le tour du monde.
Depuis, la technique ne cesse d'être perfectionnée. Ironie du sort, James Thomson lui-même est devenu l'une des figures de proue de cette méthode, ayant réussi il y a quelques jours à se passer de vecteur viral pour intégrer le cocktail de facteurs – dont plus aucun n'est oncogène, c'est-à-dire pouvant entraîner des cancers – induisant la reprogrammation des cellules réceptrices . Le professeur Alain Privat en a conclu devant les députés que les cellules iPS rendaient totalement obsolètes les études sur les cellules embryonnaires humaines. Si l'on veut prendre le train en marche de la révolution des iPS, ce sont toutes nos politiques de recherche qu'il faut repenser de fond en comble, a-t-il martelé. On note d'ailleurs que les équipes britanniques retournent leurs vestes les unes après les autres, délaissant la recherche embryonnaire pourtant autorisée larga manu outre-Manche pour se consacrer aux cellules iPS. Il faut signaler que les chercheurs anglais ne sont parvenus à aucun résultat tangible en presque dix ans d'autorisation, le gouvernement ayant dépensé des millions de livres sterling en vain.
Les mauvais arguments de l'Agence de biomédecine
Concernant ces cellules reprogrammées, nous voudrions ici faire plusieurs remarques. Tout d'abord, leurs propriétés exceptionnelles en terme de pluripotence n'écartent pas totalement le danger de prolifération cancéreuse. De nombreux travaux sont encore nécessaires avant de passer à la phase clinique proprement dite même si les progrès ont été considérables en quelques mois.
Toutefois, en ce qui a trait à la recherche fondamentale, elles ont totalement relégué à l'arrière-plan les cellules issues de la destruction d'embryons humains. Deux études remarquables nous le montrent. La première provient de l'équipe dirigée par le docteur Kevin Eggan de l'Institut des cellules souches d'Harvard . Ces scientifiques sont parvenus à cultiver des cellules iPS à partir de cellules de peau prélevées chez des malades frappés par une affection neurologique, la sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou maladie de Charcot. Cependant, ils ne se sont pas arrêtés à ce stade : ils ont réussi à les transformer en neurones atteints du même dysfonctionnement que celui généré par la SLA. L'intérêt pour la recherche médicale est considérable puisque est offerte aux chercheurs la possibilité de travailler très précisément sur des outils cellulaires reproduisant parfaitement les mécanismes de la maladie. La seconde équipe , issue également de l'université d'Harvard, a procédé selon le même schéma et a abouti à un résultat aussi probant, mais en recueillant les cellules cutanées dans un large panel de malades souffrant de diverses pathologies telles le diabète de type I, la trisomie 21, la chorée de Huntington, la maladie des bébés bulles , la maladie de Parkinson,...
George Daley qui a supervisé les travaux s'est félicité des larges perspectives ouvertes dans la compréhension des mécanismes pathologiques et dans la recherche de nouvelles voies thérapeutiques . Il ajoute : Afin d'accélérer la recherche médicale, nous souhaitons désormais produire des lignées cellulaires pour un très grand nombre de maladies, à la fois pour notre équipe, nos collaborateurs, mais aussi pour l'ensemble de la communauté scientifique. Notre travail n'est que le début d'une entreprise qui permettra d'étudier des milliers de maladies dans des boîtes de Petri. Ces études réduisent à néant la demande de l'Agence de biomédecine à ce que soit poursuivie en France la recherche sur les embryons rejetés par le DPI dont nous avons parlé en évoquant le décret du 6 février 2006 : La possibilité de dériver des CSEh dont le génome porte des mutations caractéristiques de maladies humaines monogéniques est un champ d'explorations important, qui devrait permettre de décrypter les anomalies moléculaires en cause dans des pathologies humaines pour lesquelles nous n'avons aucun modèle expérimental et possiblement aider à l'identification de molécules thérapeutiques. L'argument ne tient plus une seconde devant les résultats de Stanford. Le professeur Peschanski n'a à ce titre plus aucune justification scientifique à mettre sur la table pour continuer à travailler sur des embryons malades issus des pratiques de DPI.
Enfin, il y a un autre faux argument auquel il faut tordre le cou une fois pour toutes. L'Agence de biomédecine défend l'idée selon laquelle le professeur Yamanaka n'aurait jamais mis au point son procédé sans des travaux réalisés sur les cellules souches embryonnaires, dont on dit qu'ils lui auraient permis d'identifier les mécanismes de différentiation et de pluripotence cellulaires. L'Agence insiste donc sur le prérequis des études sur l'embryon et la nécessité de poursuivre les deux voies en parallèle. On oublie ou on feint d'ignorer que Yamanaka a pour l'essentiel découvert les processus de dédifférenciation grâce à des études entreprises sur les cellules souches embryonnaires... animales. Nous sommes d'autant plus sûrs de ce que nous avançons que nous avons assisté au Vatican à l'exposé du professeur Yamanaka lui-même, invité par l'Académie pontificale pour la Vie pour sa découverte de la méthode de la reprogrammation chez la souris comme l'intitulé de sa publication l'atteste . Ce qui confirme qu'il n'est nul besoin de passer par l'embryon humain pour comprendre les mécanismes du vivant. Au passage, et nous l'avons fait remarquer au rapporteur de la mission parlementaire, on appréciera l'expertise acquise par l'Église dans ce domaine pointu de la biomédecine, le Saint-Siège devançant de plus d'un an la médiatisation des connaissances en la matière.
Les cellules souches adultes volent de succès en succès
À côté de cette catégorie des cellules iPS unique en son genre en terme de potentiel de pluripotence, les scientifiques ont exploré avec succès d'autres sources de cellules souches adultes. Comme le note la récente Instruction Dignitas personae, bien que ces cellules ne semblent pas avoir la même capacité de renouvellement et la même plasticité que les cellules embryonnaires, des études et des expérimentations de grande valeur scientifique tendent à leur accorder des résultats cliniques plus positifs [...] ; à cet égard ont été activées de nombreuses voies de recherche qui ouvrent des horizons nouveaux et prometteurs .
Le sang de cordon est particulièrement emblématique des progrès enregistrés en ce domaine. On sait parfaitement aujourd'hui que les cellules souches hématopoïétiques qu'il contient permettent de traiter plus de 80 pathologies, la grande majorité étant liée à des atteintes du système immunitaire ou sanguin. À la suite de l'excellent rapport de Marie-Thérèse Hermange, sénateur de Paris et membre du Comité de pilotage des états généraux de la bioéthique, on peut se féliciter que les responsables politiques, toutes tendances confondues, semblent enfin déterminés à offrir à la France le réseau de banques de sang de cordon dont elle a besoin, pour ses propres ressortissants d'abord, mais également dans un esprit de solidarité avec les pays émergents .
Toutefois, le sang de cordon recèle une autre vertu assez méconnue, pourtant démontrée en 2005 par le professeur McGuckin et le docteur Forraz, grands spécialistes de la question. À l'aide d'une technologie issue de la NASA faisant appel à des bioréacteurs fonctionnant en microgravité, ils ont pu isoler une catégorie bien particulière de cellules souches ombilicales dont la plasticité est comparable à celle des cellules embryonnaires, de nombreuses expériences témoignant de leur capacité in vitro à régénérer des tissus osseux, cartilagineux, vasculaires, musculaires, nerveux, hépatiques et cardiaques . Ces cellules souches ayant un profil biochimique similaire aux cellules souches embryonnaires, elles ont été tout naturellement appelées Cord Blood-derived Embryonic-like Stem cells (CBES) pour qualifier leurs propriétés de différenciation . Dans la foulée de cette découverte, cette équipe est parvenue à reconstruire des tissus hépatiques en trois dimensions. Cette expérience est évidemment fondamentale pour le développement des thérapies cellulaires dans les maladies du foie mais également dans le champ très vaste des études de toxicité et de tolérance des médicaments sur la fonction hépatique . C'est ici le dernier argument de l'Agence de biomédecine qui s'écroule, à savoir le pseudo intérêt des cellules embryonnaires pour l'industrie pharmaceutique.
La publication en 2007 de l'obtention de cellules pancréatiques sécrétrices d'insuline parachève définitivement la consécration de ces entités cellulaires dont l'existence n'était pas même soupçonnée il y a trois ans .
On se reportera avec profit au dossier de presse du consortium international Novus Sanguis créé conjointement l'année dernière par Colin McGuckin et Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme-Lejeune. Accidents vasculaires cérébraux, diabète juvénile, pathologies du foie et du rein, infarctus du myocarde, maladies de la cornée,... autant de pathologies qui font l'objet de projets de recherche alliant études fondamentale et clinique .
Recevant en audience les chercheurs invités par l'Académie pontificale pour la Vie, dont les professeurs Shinya Yamanaka et Colin McGuckin, Benoît XVI en tirait une leçon exemplaire :
Le fait que, au cours de ce congrès, vous ayez exprimé l'engagement et l'espérance de poursuivre de nouveaux résultats thérapeutiques en utilisant les cellules souches du corps adulte sans avoir recours à la suppression d'êtres humains venant d'être conçus, et le fait que les résultats récompensent vos travaux, constituent une confirmation de la validité de l'invitation constante de l'Église au respect total de l'être humain dès sa conception.
Tout se passe en effet comme si la science, en se privant d'un authentique éclairage moral, conduisait les chercheurs dans des ornières. A contrario, la prise en compte du respect de l'être humain dans sa phase embryonnaire permet tout à la fois de réconcilier la science et l'éthique et d'espérer que ces nouvelles voies riches de promesses s'avèrent fécondes.
II- LA DIGNITE AVANT L'UTILITE
S'il était nécessaire dans cette première partie d'être rigoureux sur les faits scientifiques, la formulation même de la loi nous y forçant, il ne faudrait cependant pas faire reposer notre raisonnement sur eux seuls. Comme le remarque fort justement le philosophe Luc Ferry, les questions éthiques n'ont en leur fond aucun lien avec les connaissances scientifiques . Le fait de savoir ce qui est (les contre-performances des cellules souches embryonnaires) ne détermine en rien ce qui doit être (le respect dû à l'embryon), même si cela le corrobore dans notre cas.
Primauté de l'éthique
Quels que soient les résultats escomptés de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, les atteintes qu'elle porte à la dignité humaine suffisent à la condamner fermement. La protection de la vie humaine ne peut être mise en balance avec des arguments qui relèvent en définitive d'un utilitarisme scientifique.
L'éthique a préséance sur les données expérimentales comme le reconnaît la loi du 6 août 2004 en rappelant solennellement le principe d'interdiction de la recherche sur l'embryon humain. Sur quoi est fondé l'interdit légal ? Il ne peut l'être que sur la reconnaissance implicite de la dignité de l'embryon humain. En effet, cette recherche ne porte atteinte à aucun droit, ni à aucune exigence, autres que ceux qui concernent l'embryon lui-même. Si le législateur n'a pas souhaité définir un statut juridique de l'embryon humain, il n'a pu complètement occulter son statut éthique dont la portée s'est en quelque sorte imposée à lui.
Le CCNE le dit très bien dans son rapport préparatoire aux états généraux de la bioéthique : Quelles que soient les convictions des uns et des autres quant au statut ontologique de l'embryon humain, il est difficile de nier précisément son caractère humain, à défaut de quoi la science s'intéresserait différemment à lui . Et le Comité de rappeler un de ses anciens avis dans lequel il ne cachait pas la possibilité d'argumenter rationnellement sur son statut moral et la protection qui en découle : Le Comité maintient que c'est dès la fécondation que le principe du respect de l'être humain en devenir doit être posé [...]. Le Comité estime que le fondement et la mesure du respect dû à l'embryon peuvent être argumentés en raison [...]. L'embryon humain dès la fécondation appartient à l'ordre de l'être et non de l'avoir, de la personne et non de la chose ou de l'animal .
L'argumentation rationnelle du magistère catholique
Or, comme nous l'avons expliqué à Jean Leonetti, le magistère de l'Église catholique ne procède pas autrement pour expliciter la règle de l'inviolabilité de l'embryon : il propose un parcours de réflexion élaboré à la lumière de la raison, de la recta ratio. L'Église n'adopte pas ici un point de vue religieux ou confessionnel, elle se réfère à une anthropologie et à une éthique fondées en raison. C'est un système de réflexion que l'on peut qualifier de personnaliste, lequel s'oppose frontalement aux doctrines utilitariste ou relativiste contemporaines. En soi, ce système n'exige pas de ceux qui le défendent la profession de la foi chrétienne même si la doctrine catholique le confirme et le promeut. La Note doctrinale sur l'engagement des catholiques dans la vie politique publiée en 2002 l'explique admirablement :
Le fait que certaines de [ces exigences éthiques fondamentales] soient aussi enseignées par l'Église ne réduit en rien la légitimité civile ni la laïcité [...]. En effet, la laïcité désigne en premier lieu l'attitude de qui respecte les vérités procédant de la connaissance naturelle sur l'homme qui vit en société, même si ces vérités sont aussi enseignées par une religion particulière, car la vérité est une.
Un des points édifiants du magistère sur les questions bioéthiques proprement dites en général, et le statut de l'embryon singulièrement, est qu'il n'hésite pas à intégrer dans son raisonnement une argumentation de type scientifique . L'instruction Donum vitæ, rédigée en 1987 par celui qui n'était encore que le cardinal Joseph Ratzinger, est à ce titre précieuse :
[La doctrine du respect de la vie de l'embryon] est du reste confirmée, s'il en était besoin, par les récentes acquisitions de la biologie humaine, qui reconnaît que dans le zygote dérivant de la fécondation s'est déjà constituée l'identité biologique d'un nouvel individu humain [...]. Les conclusions scientifiques sur l'embryon humain fournissent une indication précieuse pour discerner rationnellement une présence personnelle dès cette première apparition de la vie humaine.
La récente Instruction Dignitas personæ, rendue publique le 12 décembre dernier, rappelle ainsi que Donum vitæ a démontré la continuité du développement de l'être humain sur la base de solides connaissances scientifiques (n. 5).
L'embryon est scientifiquement un être humain
En effet, les scientifiques reconnaissent que dès la fusion des gamètes paternel et maternel apparaît un nouveau système d'une complexité prodigieuse appelé zygote. Le nouveau génome ainsi constitué est le centre d'information et de coordination du déploiement de toutes les activités qui caractérisent ce jeune être humain. De fait, l'enfant embryonnaire est tout de suite différencié et autonome, totalement distinct de ses propres parents et de tout autre embryon, parfaitement identifiable : il s'agit biologiquement d'un être dont le patrimoine génétique nous apprend qu'il n'est ni un végétal ni un animal mais bien un individu de l'espèce humaine. Le professeur de génétique Angelo Serra en conclut qu' un simple regard sur les étapes de ce développement nous permet d'établir que le zygote est, très précisément et sans aucun doute possible, le point de l'espace et du temps où un être humain commence son propre cycle vital [...]. Le nouveau-conçu possède sa propre réalité biologique bien déterminée : c'est un individu totalement humain en développement, qui d'une manière autonome, moment après moment, construit sa propre forme, exécutant, par une activité intrinsèque, un plan projeté et programmé dans son propre génome .
À l'issue des travaux de la XIIe Assemblée plénière de l'Académie pontificale pour la Vie en février 2006, une note de synthèse passionnante traitant du statut éthique de l'embryon humain dans sa phase pré-implantatoire a été publiée. Celle-ci se situe tout à fait dans le cadre intellectuel du magistère actuel : nous pouvons goûter cet état d'esprit de profonde ouverture aux enseignements récents de la biologie embryonnaire. On y trouve une lecture attentive et émerveillée des étapes moléculaires des processus de fécondation et de développement de l'embryon humain. On y découvre aussi tout un aspect saisissant concernant la communication très subtile entre la mère et l'enfant embryonnaire avant même que ce dernier ne se soit niché dans l'utérus. C'est ainsi que les deux tiers du corps du document sont consacrés à présenter des faits scientifiques très précis préparant les considérations finales sur les plans bioéthique et juridique.
Le flagrant déni de dignité du Conseil d'État
Ce discours cohérent et argumenté, le Conseil d'État n'a pas daigné l'examiner dans l'étude qu'il a publiée le 6 mai dernier : De la fécondation d'un embryon humain à la naissance d'un enfant [...], le champ de notre ignorance demeure infiniment plus grand que celui de nos connaissances. Dire qui est l'embryon ou ce qu'il est relève de l'impossibilité [...] . S'abritant derrière ce qui ressemble à de la paresse intellectuelle, la plus haute juridiction administrative renvoie l'embryon dans un no man's land éthique même s'il se défend de le considérer comme une chose. Paradoxalement, l'Église, en ce début de XXIe siècle, est acculée à défendre les prérogatives de la raison scientifique elle-même. Dans une culture désenchantée qui refuse jusqu'à certaines données de la science, c'est elle qui proclame toute la grandeur et la valeur de la raison et de l'intelligence humaines.
En ce sens, si la logique scientifique considère la vie humaine comme un processus continu depuis la conception, le raisonnement éthique qui en découle peut légitimement revendiquer une protection de ce processus au nom du principe de dignité. Dignitas personæ, en approfondissant les soubassements du concept de dignité qui lui donne son nom, parvient au terme d'un raisonnement extrêmement serré à des considérations qui devraient constituer un formidable point de rencontre avec le monde politique, juridique, médical d'aujourd'hui :
La réalité de l'être humain, avant et après sa naissance ne permet d'affirmer ni un changement de nature, ni une gradation de la valeur morale [...]. L'embryon humain a donc, dès le commencement, la dignité propre à la personne (n. 5).
Las ! Le Conseil d'État, pris en flagrant déni de dignité, fait sienne l'appréciation du Conseil constitutionnel de 1994 : Au regard de l'état des connaissances et des techniques [...], le principe du respect de tout être humain dès le comment de sa vie [art 16 Code civil] n'est pas applicable aux embryons fécondés in vitro . Dans cette étude dont presque tout le monde s'accorde à relever les incohérences, où tout et son contraire peuvent s'y juxtaposer, parfois dans la même phrase, le Conseil d'État ressort des placards la vieille notion de personne potentielle, pour l'appliquer à l'embryon, avant de trancher que la recherche sur l'embryon humain ne contrevient pas au principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine .
Comment un être humain ne serait-il pas une personne ?
Comment un individu humain ne serait-il pas une personne humaine ? avait déjà demandé le cardinal Ratzinger dans Donum vitæ. Autrement dit, les deux concepts d'individu et de personne sont tellement imbriqués l'un dans l'autre que la présomption est en faveur de la réponse affirmative, la charge de la preuve revenant à qui voudrait répondre négativement. Qu'est-ce qu'un être humain qui ne serait pas une personne et auquel ne serait pas accordée la dignité ?
Quand bien même l'on douterait devant un embryon humain de se trouver devant une personne, accepter de le détruire reviendrait à prendre le risque de commettre un homicide. Le Conseil d'État ne pouvait-il pas au moins rappeler un principe moral fameux, ancêtre de notre moderne principe de précaution selon lequel il n'est jamais permis d'agir avec une conscience douteuse quand l'enjeu est la vie d'un être humain ? À aucun moment, les Sages ne sont en mesure de nous expliquer comment penser rationnellement le passage de quelque chose à quelqu'un. C'est parce que l'embryon est immédiatement quelqu'un que ne peuvent être remis en cause les principes de dignité humaine et d'inviolabilité de sa vie, lesquels doivent par conséquent lui être reconnus, en conformité avec l'article 16 du Code civil. Par le simple fait qu'il existe, chaque être humain doit être pleinement respecté , proclame Dignitas personæ. Qui oserait aller contre cette affirmation, à moins de verser dans l'arbitraire ?
L'utilité collective de l'embryon justifie son sacrifice
Comment alors rendre compte de l'aveuglement de nos élites à l'endroit de l'embryon ? La culture biotechnologique, qui s'empare toujours plus de la société et l'empoisonne, ne cédera pas face à la vérité : chargée de préjugés et appesantie par des conflits d'intérêts, elle continuera à tromper et abuser. Elle ne s'inclinera pas devant cette vérité évidente . Influencé par cette mentalité technoscientifique utilitariste, le Conseil d'État détourne le principe de dignité au profit de celui d'utilité. Motifs majeurs tenant à la protection de la santé de la population , intérêt pour la santé publique , intérêt collectif , autant de faits justificatifs qui commandent que l'embryon soit sacrifié au nom de son utilité sociale. La haute juridiction veut faire croire qu'elle aboutit à une synthèse équilibrée entre les deux principes – dignité vs utilité collective – alors qu'elle inverse leur hiérarchie qui a jusqu'ici prévalu, au moins symboliquement. Après une période d'acclimatation des esprits à la transgression par la loi bioéthique actuelle, le Conseil d'État a beau jeu de préconiser la suppression du dispositif dérogatoire pour instaurer un régime permanent d'autorisation consacrant ainsi l'instrumentalisation irrémédiable de la vie humaine conçue.
III- QUELLE OPTION LEGISLATIVE ?
Le moment étant venu de remanier la loi, quelles sont les options susceptibles d'être adoptées par le législateur ?
Garder le statu quo actuel
L'une des premières idées qui semblait gagner du terrain avant la parution de l'étude du Conseil d'État était de garder peu ou prou le dispositif dérogatoire actuel, maintenant l'interdit légal de la recherche sur l'embryon comme principe supérieur assorti de conditions suspensives. Lors d'un premier débat organisé le 28 février dernier par le diocèse de Fréjus-Toulon avec le député Jean-Sébastien Vialatte, ce dernier s'était ainsi rallié à cette position, se désolidarisant des recommandations en faveur d'un régime d'autorisation pérenne prôné par le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques dont il était pourtant l'un des deux auteurs . Il assumait ce revirement en faisant valoir la portée symbolique de l'article 16 du Code civil stipulant que la loi [...] garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie .
Tout en concédant que cette solution de compromis était préférable à une libéralisation de la recherche sur l'embryon, nous l'avons cependant critiquée lors de la rencontre suivante avec Jean Leonetti spécialement dédiée à cette thématique. L'incohérence de cette option tient fondamentalement au fait que les conditions dérogatoires, interprétées de manière lâche par l'Agence de biomédecine, ont vidé de sa substance le principe d'interdiction lui-même. Vestige du respect de la dignité humaine, il permettait au précédent législateur d'avoir bonne conscience à peu de frais. Mais en pratique, comme le reconnaît le chroniqueur Jean-Yves Nau, la recherche sur l'embryon était déjà de facto acceptée .
À l'encontre du credo postmoderne, le législateur doit reconnaître qu'il existe des principes qui sont réduits en cendres si on leur tolère des exceptions. Admettrait-on à titre dérogatoire et de manière très encadrée des exceptions à la prohibition de la peine de mort ? de la torture ? Interdire la recherche sur l'embryon et aménager des exceptions, c'est en définitive ruiner le principe. Comme dans la problématique de l'euthanasie – et Jean Léonetti en sait quelque chose lui qui est un des responsables politiques les plus avertis en matière de fin de vie –, l'exception à la règle du respect de la vie est de facto incontrôlable et finit par faire sombrer le principe corps et âme.
La fuite en avant du Conseil d'État
Cette morale du compromis, qui est la marque de fabrique de la bioéthique à la française, est le fruit d'un rapport de 1999 publié déjà par le Conseil d'État. Qui fut donc le principal inspirateur de la législation en vigueur comme on tend à l'oublier un peu rapidement de nos jours. Pourtant, la loi actuelle – interdiction de principe assortie d'une dérogation temporaire – n'a plus sa faveur. D'abord, soulignent les Sages, d'un point de vue strictement quantitatif, la quasi-totalité des projets de recherche présentés ont été autorisés . Avec une naïveté déconcertante, ils en déduisent que considéré en lui-même, le pourcentage élevé de décisions positives d'autorisations semble indiquer que les critères figurant dans la loi française ne sont pas un obstacle aux recherches sur les cellules embryonnaires . Juridiquement, on rappellera qu'un régime d'exception est théoriquement soumis à une interprétation stricte. Comment expliquer alors que 95 % des projets aient été retenus ? En raison de l'approche pragmatique de l'Agence de biomédecine quant à l'interprétation des critères , répond le Conseil d'État. On comprend mieux pourquoi Marc Peschanski confessait benoîtement lors de son audience au Parlement que l'Agence avait joué le rôle d' écran protecteur des scientifiques vis-à-vis des opposants à la recherche sur l'embryon grâce à une interprétation large de la loi .
Conclusion du Conseil d'État : Afficher le principe d'une interdiction là où les projets sont autorisés en quasi-totalité reviendrait à créer un paradoxe peu souhaitable ! Ainsi, même s'il reconnaît l'avantage de maintenir l'affichage d'un interdit symbolique fort , la haute juridiction conseille de le faire passer à la trappe.
En outre, comme s'il convenait que la législation qu'il a pourtant contribué à mettre en œuvre relevait plus de la casuistique que du bon sens, le Conseil d'État rappelle que le système choisi par le législateur français est sans équivalent à l'étranger . En effet, soit les pays autorisent franchement la recherche sur l'embryon, soit ils la prohibent, parfois en accompagnant cette interdiction de la possibilité d'importer des lignées de cellules embryonnaires. Le Conseil d'État ne souhaite plus demeurer dans ce clair-obscur et tranche donc en faveur d'un régime permanent d'autorisation. D'abord pour une meilleure lisibilité de la politique de recherche française accusée sur la scène internationale d'être incompréhensible pour les firmes qui veulent investir sur notre territoire. Ensuite pour être attractif et éviter la fuite des cerveaux : on ne peut en effet exclure, s'inquiète le Conseil d'État, que des chercheurs français, notamment en début de carrière, aient préféré mener des recherches dans des pays étrangers dont la législation est plus souple .
À ceux qui seraient prêts à lever le moratoire – suppression de la période probatoire de cinq ans – tout en préservant le principe d'interdiction de la recherche sur l'embryon par souci de stabilité et de cohérence juridique , le Conseil d'État répond que le législateur ne pourrait raisonnablement poser une interdiction et édicter dans le même temps, à titre permanent, une dérogation dont l'effet serait en pratique de vider de son sens cette interdiction . Bref, la haute chambre administrative reprend à son compte l'argumentation de tous ceux qui, attachés au respect de la dignité de l'embryon, critiquaient les faux-semblants et l'hypocrisie de la loi du 6 août 2004, non pas pour reconnaître la part de responsabilité qu'il a eue dans la rédaction, mais pour choisir la fuite en avant.
Bien sûr, les Sages précisent que ce régime sera enserré dans des conditions strictes . Principalement deux. En premier lieu celle bien connue qui obligera les chercheurs à travailler sur des projets susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs . Pour désamorcer à l'avance toute critique, le Conseil d'État souligne dans son rapport ce petit mot, susceptibles, pour nous expliquer qu'il ne contraint pas à définir à l'avance les résultats thérapeutiques espérés . Si l'expérimentation sur l'embryon ne doit pas servir l'industrie cosmétique ou militaire — on respire ! — la formulation employée n'exclut aucunement, nous dit le Conseil d'État, la recherche à visée essentiellement cognitive . Avec pareil raisonnement, les scientifiques peuvent se frotter les mains. Toute recherche fondamentale est donc a priori thérapeutique. Encore un bel exemple de l'adage fameux, Cæsar dominus est supra grammaticam, le pouvoir de César s'étend même sur la grammaire.
Deuxièmement, il demande à ce qu'il y ait impossibilité, en l'état des connaissances scientifiques, de mener une recherche identique à l'aide d'autres cellules que des cellules souches embryonnaires humaines . Mais quelle traduction fera l'Agence de biomédecine de cette condition quand on sait qu'elle ne s'est jamais souciée de savoir si les demandes d'autorisations qu'elle a eues à examiner pouvaient être poursuivies par une méthode alternative d'efficacité comparable comme la loi en cours l'y oblige pourtant ? Aujourd'hui, toutes les études sur l'embryon qui ont été validées par l'Agence peuvent être pourtant avantageusement remplacées par d'autres procédures qui ne posent aucun dilemme éthique comme nous avons tenté de le montrer dans notre premier volet. Si les mots ont un sens, aucun projet ne sera éligible. Sinon, le Conseil d'orientation de l'Agence trouvera toujours un tour de passe-passe pour autolégitimer ses décisions.
Le péril d'un nouveau pouvoir scientifique
Le Conseil d'État conseille donc au législateur de fixer un cadre permanent qui serait mis en œuvre par l'Agence de biomédecine chargée d'en rendre compte annuellement . Au final, la haute juridiction administrative entérine une conception ultra-libérale de la science au mépris de l'éthique. Comme de nombreux observateurs l'avaient dénoncé en leur temps, le principe de l'interdit légal était voué à disparaître tôt ou tard une fois que toutes les instances se seraient habituées à une recherche sur l'embryon largement plébiscitée sur le terrain. Supprimer le rappel de l'interdit, mettre en place un dispositif permanent, le tout contrôlé par une Agence de biomédecine indépendante revient à remettre les décisions dans les mains de ceux qui ont le plus intérêt à transgresser. La liberté de recherche ne serait donc plus directement normée par le principe cardinal de dignité mais pourrait s'affirmer comme une liberté publique autonome. Nous aboutirions à un renversement jamais vu dans la hiérarchie de nos principes civils : la liberté de la science servant des intérêts secondaires et collectifs supplanterait la protection de la vie humaine. Dans un modèle utilitariste et ultralibéral déconnecté de toute exigence éthique, une instance comme l'Agence de biomédecine est évidemment la structure rêvée pour jouer à peu de frais le rôle de faire-valoir.
De manière tout à fait étonnante, la proposition du Conseil d'État, à quelques détails près, rejoint la nouvelle politique américaine en matière de recherche sur les cellules souches embryonnaires. Barack Obama en a autorisé le financement fédéral par le décret du 9 mars 2009, levant ainsi les restrictions importantes apportées par l'ancien locataire de la Maison blanche. L'Institut national de la santé (NIH) vient de faire savoir que le cadre légal de l'attribution des subventions publiques concernerait la recherche sur les embryons surnuméraires issus de fécondations in vitro après consentement éclairé des parents. Pour justifier ce changement, le président Obama a déclaré que l'action du gouvernement sera guidée par la science, et pas l'inverse . La France est-elle prête à faire sienne cette maxime ? Nous verrons en effet dans notre troisième partie que ce n'est guère l'éthique qui a conduit le Conseil d'État dans sa réflexion.
L'unique choix en vérité : surseoir à la recherche sur l'embryon...
L'influence de la haute juridiction administrative dans le champ bioéthique est telle qu'elle fait dire à Jean-Yves Nau que nous ne sommes peut-être pas dans un espace véritablement démocratique : Avant même que le gouvernement de François Fillon parvienne à mettre véritablement en chantier les ambitieux états généraux de la bioéthique, tout semble déjà écrit [...], les jeux semblent bel et bien faits . Un autre choix est pourtant possible.
Les arguments scientifiques et éthiques plaident massivement, avons-nous dit à M. Leonetti, en faveur d'une troisième solution, entre maintien du statu quo et fuite en avant : revenir à la loi du 29 juillet 1994 interdisant toute expérimentation sur l'embryon. Un choix qui a été envisagé par le professeur Arnold Munnich, conseiller personnel du chef de l'État en matière de bioéthique, devant l'Opecst : Il est possible de revenir en arrière, sachant qu'il y a des précédents comme les OGM, et que cela est techniquement possible . D'éminents juristes comme Bertrand Mathieu ou Catherine Labrusse-Riou ont jugé cette solution cohérente et parfaitement défendable . Par ailleurs, en nous citant toujours les États qui ont libéré la recherche sur l'embryon, USA et Grande-Bretagne en tête, on oublie un peu vite que de nombreux pays européens, et pas les moindres, ont opté pour un système d'interdiction : la Pologne, la Slovaquie, la Lituanie, la Norvège, l'Allemagne et l'Italie.
...et stopper la cryoconservation des embryons
Enfin, l'inscription dans la loi du critère de protection de l'embryon in vitro exigerait du législateur qu'il se penche sur une autre dérive technocratique qui sort peu à peu de l'ombre : la congélation en surnombre des embryons . Les dernières statistiques dont nous disposons révèlent l'incurie des autorités sanitaires à en réguler le flux : on dénombrait 176 523 embryons congelés au 31 décembre 2006, soit 34 512 supplémentaires depuis la fin 2005 où l'on en recensait 141 460, c'est-à-dire une augmentation de 25 % en un an . L'énormité de ce chiffre aurait dû déclencher d'abondants commentaires tant il révèle un emballement inacceptable d'un processus dont tout porte à croire qu'il n'est plus régulé. Peut-on admettre que notre pays stocke dans de telles proportions des embryons humains ? Pourquoi la France ne s'aligne-t-elle pas sur des États comme l'Italie, l'Allemagne ou l'Autriche qui interdisent sur leur territoire la cryoconservation embryonnaire ? Dans un opuscule roboratif, la philosophe Sylviane Agacinski évoque cette capture du vivant par le laboratoire, où toute vie s'arrête, saisie par le froid des congélateurs [...]. Le gel est aux vivants ce que l'argent est à tous les biens de la terre : un moyen de les rendre virtuels, abstraits, échangeables, monnayables .
La mission parlementaire de révision de la loi bioéthique ne peut se permettre de négliger cette option législative – interdire la recherche et la congélation embryonnaires –, largement mise en avant dans les contributions citoyennes publiées sur le site officiel des états généraux de la bioéthique, et se doit plus largement de réfléchir à la possibilité de revenir en arrière ou d'alterner les solutions selon la proposition forte du professeur Emmanuel Picavet. Si l'on se contente d'adaptations au vu du succès scientifique ou technique, ou encore, au gré du consensus sociologique apparent, on donne inévitablement un privilège décisif à l'orientation initialement retenue.
L'Église experte en humanité
En offrant un discours solide et structuré sur le statut de l'embryon humain, en visant sans concessions les pratiques attentatoires à sa dignité – destruction par la recherche scientifique, congélation par l'AMP –, l'Église, experte en humanité, s'avère être une autorité morale incontournable dans les débats en cours, lourds d'enjeux et de périls. Aussi sommes-nous, en tant que catholiques, plus que jamais encouragés à un effort de refondation morale de la bioéthique comme nous y invitent inlassablement le Saint-Père et nos pasteurs à sa suite .
P.-OL. A.
© Liberté politique n° 46, automne 2009. Pour le texte original avec l'appareil de notes, se reporter à la version papier.
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