LE COACHING s'est imposé comme un concept incontournable dans l'univers des conseils d'entreprises et autres consultants en management. Sa cible privilégiée : les hauts dirigeants, avec pour objectif de les aider à assumer au mieux leurs fonctions de stratégie et d'animation des équipes, tout en travaillant à leur épanouissement personnel.

Il est difficile de mesurer l'étendue du recours au coaching, mais il suscite un réel engouement. Comment juger ce type de pratique ? Une véritable innovation ou bien un simple replâtrage d'idées anciennes ? La multiplication des offres rend le repérage difficile. S'agit-il d'une forme de propagande véhiculant les valeurs dominantes, ou d'une pratique ancrée dans la sagesse humaine, qui retrouve droit de cité dans le monde du travail ? Si le coaching peine à se définir et à clarifier ses pratiques, il ne sera plus audible pour personne. Et le coaching passera, comme toutes les modes. Quels défis doit-il alors relever pour répondre, à sa manière, aux enjeux du management d'aujourd'hui ?

 

I- TENTATIVE DE DEFINITION

 

Mot anglais (traduction française : " répétiteur ", " entraîneur ", " moniteur "), le coach désigne la personne qui aide l'étudiant à réussir un examen. La référence usuelle se trouve dans le milieu sportif où le coach a pour mission d'aider le sportif à progresser dans sa discipline. La référence symbolique courante est celle de l'entraîneur sportif ; si l'exploit et la gloire ne sont pas présents à l'esprit de tous les leaders, l'analogie avec les sportifs de haut niveau est éclairante. D'une part, le coaching repose sur l'affinité singulière entre l'entraîneur et son champion pour entretenir l'énergie de l'athlète et favoriser le dépassement de soi dans l'action. D'autre part, le coaching réunit le corps et l'esprit : le but est d'unifier la personne pour améliorer ses performances.

 

Une médiation singulière

 

Le coaching construit une relation qui demande de la confiance de part et d'autre. Le coach permet à son " coaché " de donner le meilleur de lui-même. La Société française de coaching, qui regroupe des praticiens, définit le coaching comme " l'accompagnement d'une personne à partir de ses besoins professionnels pour le développement de son potentiel, ses talents propres et de son savoir-faire ". Pour Vincent Lenhardt , c'est un " processus d'accompagnement et de facilitation qui vise à permettre à un responsable de trouver lui-même la solution à une problématique professionnelle opérationnelle ou managériale, tout en travaillant sur son épanouissement personnel ". Entre assistance et soutien psychologique, son but est d'impulser une performance professionnelle, voire un " accomplissement de soi ", niveau ultime de la fameuse pyramide de Maslow .

Cet accompagnement installe ainsi le coaching dans la position singulière de la médiation, de l'" entre " : il se situe entre la personne et l'action, entre l'intention de la personne et sa mise en œuvre, entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle, entre le psychologue et l'entraîneur sportif. Ce genre hybride fait du coaching un concept qui recouvre de multiples pratiques, méthodologies et écoles de pensées. Il est difficile de décrire ce mode de relation, d'autant que celle-ci se tient dans un lieu clos, et que la confidentialité est une règle fondamentale. Le coaching sera donc abordé ici selon trois investigations : la littérature des psychologues et consultants sur le développement personnel et l'efficacité professionnelle, les praticiens eux-mêmes issus de la psychologie ou du conseil, les personnes ayant bénéficié de ce type d'accompagnement et qui ont une approche plus subjective que méthodologique.

 

Une réponse à quelles demandes ?

 

Dans quelles situations le coaching peut-il être nécessaire ? C'est probablement un lieu commun d'affirmer que les entreprises ont plus que jamais besoin d'adaptabilité, de combativité et de réactivité, qu'elles ne peuvent plus se permettre de raisonner " hors-client ". Il est aussi courant d'évoquer la nécessité de l'amélioration continue des produits et des services. Ce contexte doit pousser l'entreprise à considérer chacun de ses membres comme capable de relever ce défi et à " investir " sur le progrès constant de ses compétences.

La démarche du coaching s'engage de plusieurs manières. Elle peut être une initiative individuelle, c'est l'accompagnement d'un dirigeant dans une prise de nouvelles responsabilités ou dans l'exercice de ses fonctions (améliorer ses performances et ses pratiques de management, mieux gérer ses priorités, avoir une vision plus claire de situations complexes). Elle peut aussi être demandée par un dirigeant ou un DRH, dans le cadre de la diffusion d'une formation (par exemple la mise en place de nouvelles méthodes d'évaluation des cadres comme le 360°). Tous les cadres sont alors concernés. Le coaching peut aussi être demandé pour des cadres en difficulté ponctuelle (gérer son stress en situation difficile, acquérir une meilleure confiance en soi, résoudre une situation problématique en termes de communication...). C'est alors un contrat entre le hiérarchique, le cadre et le coach, la démarche appartenant toujours à la personne coachée. Enfin la démarche peut être proposée systématiquement à tous les managers à un certain niveau de responsabilité. Mais dans tous les cas, seuls les dirigeants et cadres supérieurs sont concernés.

 

Comment caractériser la relation entre coach et coaché ? Au-delà de la confiance, elle suppose une coopération : la personne accompagnée doit formuler une demande précise. C'est une question de loyauté et d'efficacité. Si le coaché ne connaît pas son besoin, il ne saura pas le satisfaire ou y parviendra en beaucoup plus de temps qu'il ne faudrait, même si " au début d'une séance de coaching, le client ne parvient que rarement à décrire à son coach les raisons de sa démarche ". C'est une des difficultés du coaching. L'analyse de la demande permet de déterminer le véritable problème du client et de préparer l'établissement du contrat de coaching sur des fondements solides : appréhender correctement le réel, identifier le problème posé par cette réalité, recenser les options pour résoudre ce problème, choisir de voir enfin celle que l'on peut mettre en œuvre avec des interrogations du type : Puis-je décrire ce que j'ai envie de changer dans ma fonction actuelle ? Quelles sont les contraintes qui s'imposent à moi (marché, structure actionnariale, contexte hiérarchique) sur lesquelles je n'ai pas prise ? Comment ai-je envie de prendre position face à ces contraintes ? Quel est le résultat concret que j'escompte à travers ce coaching ? Quel engagement d'action personnelle suis-je prêt à prendre pour l'atteindre ? Ces questions sont une entrée en matière nécessaire pour aider le cadre à clarifier ses motivations. Les coachs peuvent alors partir d'une situation concrète et d'objectifs réalistes à court terme, réellement partagés. Le contrat initial se construit alors au long de l'entretien, ce qui fait du coaching, à la différence de la formation où le cahier des charges est plus normalisé, une relation difficilement modélisable.

Avec certains cadres sensibles aux relations structurées, le coach veille à donner des instructions précises d'expérimentation d'une séance sur l'autre, qu'il s'agisse de réflexions ou d'actions concrètes. Le processus se poursuit au cours de séances traitant à chaque fois de nouvelles problématiques et situations à éclaircir, en alternant écoute et questionnement.

Dès lors, on peut être tenté d'assimiler le coaching à une thérapie déguisée ou une nouvelle forme de conseil ou de formation. Qu'en est-il en réalité ?

 

La place du coaching dans l'univers du conseil et de l'accompagnement

 

Le coaching peut-il être assimilé au conseil en management ? Le conseil en entreprise est davantage l'apanage des experts qui travaillent sur le contenu d'une problématique. Chaque cabinet forme ses consultants à ses méthodes de travail mais celles-ci respectent toutes trois grandes phases : le diagnostic, la réflexion (l'analyse des solutions et de leurs enjeux) et la mise en œuvre par le suivi des recommandations. Le conseil est donc par essence une démarche volontariste qui travaille davantage sur le contenu, à la différence du coaching qui travaille davantage sur le processus de décision (à l'aide d'écoute et de questionnement).

 

Le recours au coaching sera-t-il perçu comme un nouveau mode de formation ? Le coaching, affirment les praticiens, n'est pas non plus un catalogue de techniques et de recettes pour apprendre à mieux déléguer, à mieux fixer des objectifs ou à mieux communiquer. Son action est plus profonde, même si elle agit fortement sur ce type d'apprentissage. Elle se situe souvent au niveau du changement des perceptions et des processus mentaux d'un manager ou d'un leader afin de modifier son expérience des situations, et donc son mode de construction du réel et ses comportements. De ce fait, elle permet beaucoup mieux d'optimiser son aptitude aux changements, sa performance individuelle et celle de son organisation. Comme nous l'avons dit, elle s'intéresse plus au processus qu'au contenu. Si le coach veut contribuer à la transformation de son client, en l'aidant à développer sa confiance, son autonomie et son pouvoir intérieur, il doit surtout lâcher prise sur son expertise de contenu et accepter de ne pas avoir de projet pour lui.

 

Utiliser les services d'un coach n'est-il pas interprété comme un recours à la thérapie? Le coaching serait-il une nouvelle forme de psychothérapie ? La psychothérapie est une méthode de traitement des désordres psychiques et corporels utilisant des moyens psychologiques envers une personne " malade " . Comme dans le coaching, l'outil principal du psychothérapeute est la parole. De même, la relation individuelle et les qualités d'écoute sont communes aux deux pratiques. Cependant le coach d'entreprise n'est pas là pour soigner des traumatismes psychologiques ou des dépressions, même si son action peut indirectement avoir des effets thérapeutiques remarquables. Alors que la psychothérapie s'adresse à toutes les composantes de la personne en cherchant dans son passé, l'enfance en particulier, ce qui a forgé son histoire, le coaching a pour objet d'aider la personne à se focaliser, dans son champ professionnel, sur les solutions plutôt que sur les problèmes, et l'aider à clarifier, voire à transformer si nécessaire, ses processus mentaux et émotionnels afin qu'il soit en mesure de faire de vrais choix et de prendre, d'assumer et de mettre en œuvre des décisions d'entreprise pertinentes. Par ailleurs le nombre de séances de coaching est moins important (entre quatre et dix) que celui d'une psychothérapie (vingt à cinquante) ou d'une psychanalyse qui peut s'étendre sur plusieurs années.

Sans être du conseil, une thérapie, encore moins une formation, le coaching se situe à la frontière des trois. D'où une question : d'où viennent les coachs ?

 

Origines et identités des coachs

 

Caractériser un profil " générique " du coach est difficile, car les formations et expériences sont diverses. Néanmoins, le coach a en général de bonnes connaissances en psychologie et en sociologie des organisations. Tel ou tel coach enrichira cette culture commune de ses références historiques, philosophiques, littéraires ou scientifiques. Nous pouvons retenir deux grandes familles de coachs : ceux qui ont une origine " psy " et ceux qui sont issus du conseil.

Les premiers types de coachs viennent des milieux de la psychologie, qu'ils soient psychothérapeutes ou psychanalystes, mais avec une expérience dans le conseil en entreprise. Disposant d'un bagage technique et langagier adapté aux conduites humaines, ils tentent d'avoir une approche globale de la personne et s'intéressent aux interactions entre vie professionnelle et vie personnelle. Leur mission consiste alors à aider le coaché à optimiser son potentiel, en levant certains barrages psychologiques, en renforçant la confiance en soi, en dénouant d'éventuelles difficultés relationnelles. Cependant les disciplines qui vont permettre le diagnostic psychologique ne sont pas équivalentes, à la fois par la philosophie qui les sous-tend, nous le verrons plus loin, et par la pertinence des techniques d'intervention employées :

 

- Le psychanalyste part du principe que le coaché trouvera lui-même la clef de ce qu'il cherche. La technique majeure d'intervention est le questionnement, parfois l'interprétation.

- Le coach qui se réfère à l'Analyse transactionnelle part du principe que le coaché est capable de changer ses représentations sur lui-même, le monde et les autres qui l'empêchent de développer son potentiel. Les techniques majeures d'intervention sont l'établissement de contrats relationnels ainsi que l'utilisation de " permissions " jointes à des " protections ".

- Le coach qui se réfère à la Programmation neurolinguistique (PNL) part du principe que le coaché peut " reprogrammer " son cerveau pour parvenir à l'état d'excellence qu'il souhaite. Les techniques majeures d'intervention sont la visualisation de l'état désiré et le questionnement sur le " comment y parvenir ? ".

- Le coach utilisant la conception systémique du management ne voit pas la personne du coaché comme une entité en soi, mais comme la composante d'un système relationnel plus vaste dans lequel il est imbriqué. La technique majeure d'intervention est l'intervention directive, parfois paradoxale. Cette conception ne considère que les problématiques individuelles.

 

Les profils " entreprise " sont des coachs qui dirigent leur regard et leur travail sur l'individu uniquement dans son cadre professionnel. Anciens consultants en management, DRH ou dirigeants, ils se sont souvent formés au coaching grâce aux techniques de développement personnel. Ils ont plus de disposition à " résoudre les problèmes " ou à conduire des changements d'organisation. Sans qu'ils sacrifient les sujets au profit des objets, leur but est de transmettre un certain nombre de méthodes et d'outils pour que le coaché soit très vite autonome. Cela passe par l'analyse des freins et la recherche de leviers pour entrer dans l'action. Ils maîtrisent aussi des méthodologies de diagnostic et stratégie d'intervention au niveau d'un groupe : la structuration du temps relationnel d'Eric Berne, la gestion des frontières d'Alain Cardon, l'économie des signes de reconnaissance de Woolams.

Néanmoins, tous sont sollicités par les mêmes exigences de savoir être : capacité d'écoute, ouverture d'esprit et d'intuition. Ils possèdent également une éthique d'intervention : respect de l'autre, de la confidentialité, capacité à faire réfléchir au sens de l'action. Reste que le coaching est d'abord une relation de confiance qui est un sentiment et qui n'exige pas d'explication puisque ressentie et voulue. Elle peut cependant parfois masquer les réelles capacités du coach. Certains types de coach sont alors à éviter : l'expert qui a réponse à tout, le confident qui ne sait qu'écouter sans rien proposer, la girouette sans grille de lecture ni boussole.

 

Les sources théoriques du coaching

 

Pour mieux comprendre les méthodes et comportements énoncés, il est plus juste de rappeler leurs fondements théoriques et philosophiques. Nous en citerons deux majeurs :

 

1/ Les approches comportementales. Leur but est de transposer les méthodes de l'apprentissage au domaine de la psychothérapie et plus précisément au développement de la personne dans le milieu professionnel. Détecter, modifier et améliorer certains comportements coûteux, inefficaces, inappropriés au contexte propre de l'entreprise. Ces démarches ont un caractère scientifique, elles s'appuient moins sur l'histoire de la personne ou sur les structures de sa personnalité que sur ce qui est observable et éprouvé par les autres (les comportements). Les manifestations verbales et physiques sont ainsi la matière sur laquelle le coach peut travailler. Il s'agit par exemple d'" améliorer un point faible et maintenir un point fort ". Les méthodes utilisées abordent donc essentiellement la question du " comment ? " (efficacité rapide), et non la question du " pourquoi " (finalité de l'action).

 

2/ Les démarches cognitives. Elles se constituent en réaction à l'égard des approches comportementales nées dans les années cinquante aux États-Unis. Tout en promouvant aussi une méthodologie expérimentale, ces démarches se centrent sur le domaine plus symbolique, c'est-à-dire sur la manière dont la personne " produit " ses représentations, ses pensées et ses croyances. Le but est de forger des liens entre les comportements humains et les processus, l'acquisition et l'organisation des connaissances qui permettent l'action, la décision, la compréhension . C'est une véritable théorie de la connaissance qui étudie le langage, le raisonnement, la mémoire et toutes les réalités qui s'y rapportent, en vue d'un développement de la personne plus adéquat aux objectifs fixés dans le cadre du coaching.

Ces théories trouvent leurs racines dans la philosophie stoïcienne , qui considère que le monde est une construction de l'esprit dans lequel les sentiments de bonheur comme de malheur se construisent. C'est une démarche " constructiviste " très présente aujourd'hui : la perception du monde et des évènements est réalisée à travers des schémas cognitifs, c'est-à-dire des croyances, des valeurs et des comportements, acquis tout au long de la vie de la personne. Le coaching s'inspire fortement de ces sciences cognitives dans la mesure où il s'attache, par l'écoute et le questionnement, à renouveler des comportements, des prises de conscience pour un meilleur développement personnel (confiance et affirmation de soi, résolution de problèmes...). Le coach détecte des dysfonctionnements de comportement, comme les exagérations, les généralisations où les transferts psychologiques, pour évoluer vers une compréhension plus satisfaisante de la situation rencontrée.

Arrivé à ce stade de notre analyse, nous pourrions nous convaincre du succès d'une telle démarche. Séduisant par son originalité et ses méthodes, le coaching ne peut évidement pas être considéré comme une nouvelle " recette miracle " pour la réussite des cadres en entreprise. Après l'engouement indéniable, de nombreuses critiques n'ont pas tardé à venir. Pour répondre à ces menaces, la pratique s'est structurée, voire institutionnalisée. Est-ce suffisant pour perdurer ?

 

 

 

II- L'AVENIR DU COACHING

 

Évaluer le coaching n'est pas simple, car cette pratique est éminemment dépendante des coachs et de leurs écoles de pensée. Néanmoins, au-delà de ses fonctions de développement personnel, d'amélioration des performances et de soutien dans les situations conflictuelles, le coaching prétend répondre à la crise des valeurs et des référents tant culturels que moraux qui affectent le monde du travail. D'ailleurs, l'engouement pour le concept de culture d'entreprise, le développement des chartes éthiques et le management par les valeurs témoigne de la tentative de redécouvrir un sens commun. Le coaching est-il alors à la hauteur de son ambition ? Pour durer, le coaching doit relever plusieurs défis.

 

Mieux définir son identité

 

À l'égard de l'entreprise. La première limite du coaching vient de la compréhension qu'une entreprise peut en avoir. Nous avons vu qu'il était difficile pour le coaching de définir et de formuler sa prestation dans la mesure où le coach est partie prenante de l'offre qu'il propose. La réussite du coaching semble peu modélisable et par suite peu reproductible, car trop dépendante du talent du coach et de la relation de confiance instaurée.

En second lieu, le développement de cette démarche est soumis au risque d'être considéré comme une forme de sous-traitance managériale . Certains dirigeants pourraient se plaindre d'une influence trop importante des intervenants extérieurs, nuisant parfois à la cohérence interne de la politique de l'entreprise. Ainsi le coaching doit trouver sa juste place et jouer un véritable rôle de service à l'égard des modes de management partagés par l'ensemble de l'entreprise, en préservant le principe d'autorité de tout responsable.

 

Face à la dérive sectaire. Cette position " forte " du coach amène certaines organisations à se méfier de cette pratique, craignant que le coach se transforme en " gourou ". Cette crainte correspond à un risque réel, surtout dans la période actuelle où le coaching a tendance à se développer de façon sauvage. Tout comme les domaines de la formation et de l'éducation, le coaching n'échappe à l'infiltration des sectes qui trouvent en lui le moyen d'atteindre les couches aisées de la population . Le danger est d'autant plus grand qu'aucun cadre ne réglemente jusqu'à présent la pratique du coaching. Quant aux coachs eux-mêmes, ils reçoivent leur formation de base d'autres coachs. L'Institut Coach'Up, qui forme 150 à 200 coachs par an, dont 65 % pour une clientèle privée, menace de poursuites pénales, dans sa charte, tout membre appartenant à une secte. Un début, certes. Tous les coachs auront-ils cette éthique ?

La solution réside-t-elle dans la création d'un ordre professionnel, à l'image de celui des médecins ou des avocats ? La réponse n'est pas simple. Cette idée est loin de faire l'unanimité dans la profession, qui juge s'être suffisamment organisée autour de deux structures : la Société française de coaching, qui compte près de 600 membres, et l'Institut français de coaching. Les coachs agissent donc en ordre dispersé. Leur seul gage de sérieux ? Des codes et chartes aux termes souvent flous. La Société française de coaching interdit ainsi à ses coachs d'" exercer tout abus de confiance ", et rend obligatoire, pour les membres, un " lieu de supervision " avec un de leurs pairs. Ce dernier permet tout autant de faire un point sur leur démarche, et d'éviter, dans la mesure du possible, toute dérive, et projection à l'égard des personnes accompagnées.

 

Se réapproprier des démarches d'accompagnement éprouvées au cours de l'histoire

 

La forme d'accompagnement qu'est le coaching tire son origine de la noble démarche de l'homme vers une plus grande connaissance de lui-même. Socrate en est considéré comme le père fondateur. La maïeutique est la méthode par laquelle il entend accoucher les esprits de leurs pensées. Elle est une référence indéniable pour toute démarche d'apprentissage de la connaissance de soi. Socrate insiste sur la perspicacité et la justesse de jugement qui fondent ce qu'on appelle les vertus (comme le courage, la tempérance, la justice et la prudence). Sa méthode débute par un moment d'étonnement et de mise en confiance qui correspond pour le coach à l'écoute active, puis un questionnement permet de dévoiler les richesses de l'autre ; ensuite, une phase de contradiction dialectique pousse à aller au-delà de l'apparence à l'aide de reformulations successives ; enfin, la séparation est nécessaire pour un approfondissement et une promesse d'une nouvelle rencontre. La force du coaching sera de retrouver la pertinence et la profondeur de cette démarche socratique : un questionnement sur la vérité des êtres dans la tradition de la sagesse (sophia) antique, c'est-à-dire l'amour du vrai et du bien.

Dans ce sens, le thème du souci de soi, thème qui a pris une importance majeure à partir de la Renaissance, peut être utile au coaching. Il est repris, pour n'en donner qu'un exemple, par Heidegger comme réalité constitutive du " moi ". Pour lui, c'est une tautologie, il n'est de souci que de soi. Ces traditions font du coaching un moyen privilégié de permettre une meilleure connaissance de soi par le biais de ce que l'on appelle aujourd'hui, développement et réalisation personnelle. Le facteur de cette entreprise est l'individualisation de processus de gestion et de formation, que l'on parle de compétences ou de carrière. Paul Ricœur ira plus loin en considérant toute action dans un ensemble organisé répondant à un triple souci : le souci de soi ; le souci de l'autre ; le souci de l'institution . Le coaching devra s'appuyer sur cette exigence qui est précisément de mettre ce triptyque comme chemin de liberté et développement.

On peut également rapprocher le coaching d'une autre approche, qui est celle de saint Augustin. Ce Docteur de l'Église construit sa pensée sous forme de dialogue philosophique entre maître et disciple, où l'oral prend le pas sur l'écrit. La posture du maître est magnifique, car il est lui-même disciple d'une transcendance qui le dépasse. Tout comme la parole qui est essentielle dans sa démarche, (elle rappelle celle de l'Évangile qui est d'abord un témoignage oral), l'expérience intérieure, ce " sens intérieur ", est fondamentale dans le cheminement vers la Sagesse . De même le coaching met en avant le rôle de la parole tout comme l'expérience unique et personnelle de la personne accompagnée. Saint Augustin permet de montrer qu'au-delà de l'intelligence, existent une vérité et une transcendance. L'enjeu est de rechercher les vraies causes. Pour cela, il insiste sur la volonté comme prémisse de la vraie sagesse qui " pacifie ses désirs par la volonté de l'Esprit ". Ainsi saint Augustin ouvre une perspective au coaching, celle d'allier la parole, la volonté et la sagesse, comme éléments nécessaires à son succès.

Le mérite de ces conceptions (les analogies avec le coaching sont fortes) est qu'elles peuvent inspirer de manière opératoire le coaching afin de rechercher, grâce à un dialogue fécond, d'une part, une meilleure connaissance de soi et, d'autre part, une éthique soucieuse du vrai et du bien, dépassant, sans les nier, les lois de la psychologie. Dès lors, tel est l'enjeu à analyser.

 

Retrouver une éthique porteuse de sens

 

Dépasser le rationalisme de l'entreprise...La logique mécaniste des organisations bureaucratiques et tayloriennes — structures rigides et hiérarchisées, procédures innombrables — laisse peu de place à l'initiative personnelle, la créativité, le charisme et la richesse des personnalités. Les dirigeants occidentaux, formés à l'école de la distinction entre la vie professionnelle et la vie privée, et plus profondément à celle du spirituel et du matériel " nourrissent peu d'intérêt à la dimension immatérielle de leur tâche " : la foi et la spiritualité sont pour eux bien souvent anecdotiques ou dépassées. Pourtant, ils ne peuvent faire l'économie de cette dimension essentielle de l'homme en prise avec le sens de ses actes et de sa vie. Les enjeux éthiques sont ici essentiels : les décisions que je prends sont-elles en accord avec mes convictions profondes ? Quels renoncements dois-je accepter pour mieux prendre mes responsabilités avec courage et lucidité ? Telles sont quelques interrogations abordées en coaching. Rappelons qu'il n'est pas question, pour le coach, de moraliser les cadres selon une éthique managériale politique correcte, ni être un maître à penser du management. Cependant les questions de fond sont nécessairement abordées ; le sens déborde le champ économique, même si son point d'aboutissement y revient en grande partie. Le coach a ici une place privilégiée : il aura un regard impliqué dans les situations concrètes de la vie en entreprise et une lecture claire et sans jugement sur les situations posées et qui aide la personne à se réunifier.

 

... et celui véhiculé par le conseil. Le conseil a une approche rationnelle qui accélère les processus et qui bien souvent rassure le dirigeant. Les modèles de diagnostic stratégique enseignés dans les MBA des Business school et mis en œuvre par les cabinets de conseil en stratégie, tels que " la matrice BCG " ou " l'analyse des forces de Porter " véhiculent certes une forme de pensée astucieuse et efficace, mais privilégient le futur au présent et au passé, le cognitif à l'affectif, le quantitatif au qualitatif, les stéréotypes tels que " positiver les conflits " à la finesse des personnalités en présence, bref, la raison au cœur.

Le coaching serait alors une chance pour reconquérir cette dimension fondamentale de l'amour , au sens de respect et de reconnaissance de l'autre en tant que personne. Philippe Vaur, dans un entretien accordé à Liberté politique (cf. infra), le met remarquablement en avant en cherchant à réconcilier l'homme avec lui-même et avec les autres. Et cette prise en compte fait grandir l'homme et le rend alors plus efficace car plus libre et déterminé.

Mais il ne suffit pas au coaching de dépasser ce rationalisme " extérieur ", il s'agit également de le faire pour ses propres pratiques.

 

Dépasser et compléter ses propres méthodes. Dictées par l'exigence d'efficacité, les méthodes d'accompagnement qui ont trait à la psychologie émergent inéluctablement dans l'univers du conseil et du coaching (tendant parfois au psychologisme ), aux dépens d'approches anthropologiques. Pourtant qualifiées d'humanistes, ces méthodes ne mettent pas suffisamment l'homme dans toutes ses dimensions au cœur du coaching, car elles réduisent trop souvent ce dernier à son aspect psychique et mesurable. Les démarches comportementales et cognitives, ainsi que les études sur la communication de l'École de Palo Alto , se développent largement et supplantent les approches étrangères à la vision classique du management telles que la psychanalyse. Ce phénomène rationalise et concentre donc les approches de coaching à quelques courants, indiqués plus haut : l'Analyse transactionnelle, la PNL et les démarches béhaviouristes (qui introduisent le réflexe conditionné comme point de départ du comportement).

Le primat de ce type de développement personnel néglige alors la richesse des autres approches plus philosophiques, littéraires et culturelles, voire intuitives. Plus précisément, ces méthodes ont pour fond une conception normative des comportements et une vision du monde singulière : l'homme est conditionné dans sa morale, sa logique et ses pensées ; il est perçu de manière mécaniste et tend à un comportement individualiste sans transcendance ni métaphysique . Or ces méthodes ne dispensent pas de réfléchir de manière plus anthropologique sur le management. Elles ouvrent certes au champ de la liberté individuelle, mais ne précisent pas la finalité des actes eux-mêmes. Il ne s'agit pas ici de chercher le " pourquoi " des choses. La technique en elle-même n'a jamais clarifié le sens et l'intention de l'action (les causes), mais elle optimise plutôt les conséquences (les effets). Or l'éthique réside d'abord dans l'intention tournée vers la finalité des actes.

On peut regretter le manque de formation en philosophie éthique et politique de nombreux coachs qui serait ici bien utile pour répondre à ces types de questionnement majeurs, sans tomber dans les lieux communs ou les mœurs partagées par le plus grand nombre. Or l'éthique prend bien souvent la forme de dilemmes qu'il faut éclaircir. Le défi pour le coaching est donc de s'appuyer sur ces vertus de courage et de prudence pour aborder ce problème aigu du sens des décisions et des actions . En définitive, le coaching est une méthode pour permettre de choisir en conscience et ainsi de donner du sens aux actions. Le choix engage la responsabilité morale pour laquelle une mise à distance des impératifs manifestes de l'action est essentielle ; la personne accompagnée, face à un arbitrage confus peut y voir une occasion d'explorer ses propres doutes et certitudes, et distinguer ce qui renvoie à son histoire personnelle de la réalité sur laquelle elle a une influence manifeste.

Il est donc nécessaire au coaching d'avoir une approche globale des problématiques qui concernent l'homme en entreprise, a fortiori les dirigeants, et pas seulement d'appliquer une liste de méthodes à caractère psychologique ou sociologique, aussi performantes soient-elles. Il nous semble, pour résumer, que le défi à relever est de développer chez la personne accompagnée quatre talents :

 

§ Le talent " intrapsychique " : la capacité de penser son propre pouvoir et de percevoir les dangers de ses propres passions, ici l'alliance du corps, de l'imagination et de l'esprit est l'enjeu majeur. Le coach s'adresse à la personne tout entière.

§ Le talent " cognitif ": la capacité d'interpréter le monde pour comprendre quels buts l'organisation doit viser. Le coach interroge plus qu'il n'explique. Aussi, il doit conseiller sans offrir de solutions, faire appel au bon sens, aux préceptes de base de la sagesse universelle et initier dans l'action de nouvelles visions et de nouveaux comportements, en ouvrant le champ des possibles, au moyen d'un regard distancié et à partir de la construction d'une base de confiance personnelle et interpersonnelle solide.

§ Le talent " social et politique " : la capacité de comprendre le fonctionnement du système social qu'est l'organisation et la capacité d'influer sur son évolution par des décisions concernant les structures et les règles, ainsi que les spécificités des individus et des groupes amenés à détenir l'autorité formelle. Le coach fait ainsi passer de la vision à la réalité de l'action. Il aide la personne à aller au-delà des barrières internes qu'il s'est données, afin de mettre en œuvre une vision qu'il pensait au départ impossible à concrétiser.

§ Le talent " éthique ", sans doute le plus fondamental : la capacité de comprendre que le pouvoir organisationnel confère une responsabilité envers autrui, dans la mesure où il entraîne ceux qui le suivent dans son interprétation du monde et son action sur l'entreprise. Le coach est soucieux d'interroger sur la finalité des décisions et actions.

 

Relever ces défis sera pour le coaching gage de survie et, pour certains, de succès. Au-delà des critiques justifiées, le mérite de cette démarche, si elle est encadrée par une déontologie sérieuse, est sans aucun doute de retrouver une authenticité de la relation. Le coach apporte un regard différent sur la pratique de la personne ; réfléchi et pragmatique, il permet à la personne de choisir en pleine conscience. Par un travail intime de réenchantement et de dévoilement, le coach permet au cadre de " redonner du sens à ses actes en étant acteur du drame de l'entreprise ", sans toutefois se substituer à lui. Réenchantement, car le coaching peut permettre une redécouverte de la place du cœur dans les relations humaines et dévoilement, au sens du mot grec " vérité " (alétheia), car il donne la possibilité de rechercher de manière commune la Sagesse. C'est une entreprise certes exigeante, mais tellement urgente aujourd'hui.

 

FR. P.