CE MONDE MANQUE DE POETES. Soit il les ignore, soit il les tue par l'indifférence qu'il leur manifeste, par la volonté de réifier toute chose vivante, par le désir de ne pas voir perturber une logique d'enfermement.

Car le poète est d'abord prophète et chanteur, et son chant comme ses prophéties sont insupportables à ceux qui ne veulent entendre que l'insatiable rengaine de leur petit orgueil. Mais le verbe du poète, une fois lancé, traverse tous les murs. Il est le reflet du Verbe initial par qui toutes choses furent faites et vers qui toutes choses reviendront. Gilbert Keith Chesterton disait que le monde manquait de prêtres et de poètes car tous deux ont la vocation de pontonniers, littéralement de faiseurs de ponts, pontifex entre le monde des réalités spirituelles et éternelles et celui des réalités temporelles et matérielles.

 

Le chemin vers le commencement

 

Incombe-t-il à Dominique Daguet de reprendre ce flambeau de pontonnier, de cantonnier plutôt, tant son œuvre est irriguée par la trace, le chemin, le sillon imperceptible, la " piste de grâce / faite pour les chèvres ", " la rugueuse route incessamment gravie " chère à Péguy ? Très certainement car il marche parmi les porteurs de lumière dont l'être profond ne s'illumine qu'au contact de l'Autre. Malgré son propre aveu d'impuissance lorsqu'il s'exclame " Ah ! Que pesante est mon âme / quand elle voudrait n'être plus / que la légère haleine de Ton souffle ", Dominique Daguet montre une foi dévorante, débordante, qui transparaît et transpire dans une œuvre exigeante dont la profondeur théologique ne cède en rien à la beauté formelle. Voici un poète qui rend grâce des dons reçus au baptême qui le firent prêtre, prophète et roi, à l'image du seul Prêtre, Prophète et Roi dont la contemplation est son seul but. Comme le décrit le titre de son roman qui semble si autobiographique, il est " envahi " par Dieu, envahi par l'Être, le Vivant, inondé de l'Infini et n'a de cesse de nous montrer à travers son œuvre les sentiers de la grâce. Toute la sensibilité de Dominique Daguet s'exprime dans une continuelle recherche du Royaume, du sentier qui y mène, de la contemplation du Roi dont il attend le retour avec ferveur, et de cette participation promise à " l'ineffable chant à trois regards – le grand hymne de l'univers ". Ce Royaume n'est pour lui que l'unique demeure construite pour l'homme avant tous les siècles, voulue par un Dieu aimant ses enfants, lesquels ont oublié – ou perdu — le chemin y menant, malgré le désir prégnant qu'ils ont d'y parvenir. Ce chemin oublié " dans la dérive des jours " nous est ouvert par la grâce de l'Incarnation. Homme, " de ceci pourtant tu es assuré : / à ton salut d'homme perdu / l'unique passage offert ! / Et désirable, à en mourir ".

C'est un appel au pèlerinage terrestre que Daguet nous lance. Une mise en route " vers ta maison, / chez toi, rien d'autre que ton pays, / un pays que tu ne connais pas ", écrit-il dans son recueil de poésie Désir du Seul (Le Nouvel Athanor) où il rejoint la grande contemplation vers l'au-delà que le poète anglais Thomas Stearn Eliot déployait dans ses quatre magnifiques quatuors, en cheminement vers l'éternité : " In my end is my beginning " (en ma fin est mon commencement).

N'ayons crainte de convoquer les grands auteurs, d'établir des filiations littéraires. Les pas de Dominique Daguet s'inscrivent dans la grande tradition chrétienne et universelle de ceux qui ont cherché le visage du Vivant à travers l'écume du temps. C'est un cantique unique et inspiré qui monte vers Celui qui est seul digne de louanges, un même chant à plusieurs voix. Il est normal que les hommes inspirés par le même Esprit aient la même tonalité de parole à travers le flot des siècles qui les séparent, autant dire rien au regard de Celui qui est Père de toute éternité et qui ne cesse de souffler son influx vital à sa création. Comment en effet ne pas entendre en écho la voix de saint Jean de la Croix, lorsque Dominique Daguet parle de " ce chemin qui hante ton désir, / ce chemin d'une rencontre telle / qu'elle suffirait pour l'éternité ", chemin pourtant " obscur, étroit " mais néanmoins rempli d'une lumière ineffable qui nous renvoie à la noche oscura du réformateur du Carmel ?

Comment ne pas entendre également, nous l'avons vu, le rythme profond de T.S. Eliot ou la psalmodie inspirée de Patrice de la Tour du Pin , lorsque Dominique Daguet s'exclame : " Et l'esprit boit à la source : / une éternité, / tandis qu'ils s'effacent, / les mots, / inutiles désormais ! " Le cheminement nocturne est la condition du poète et de tout homme en quête de vérité, mais " l'obscurité du passage prouve-t-elle l'effacement de toute lumière ? ". Elle prouve simplement la difficulté de trouver le passage, la voie, le chemin par nos propres moyens. Nous reviennent sur nos lèvres les paroles déjà prononcées dans l'inquiétude d'une absence : " Vers qui irions-nous ? ", que le poète complète dans sa crainte et sa faiblesse de voir monter la nuit de l'âme : " Si tu pars, qui viendras ? Qui s'installera, s'imposera, et prendra ta place ? "

 

De l'amnésie à l'anamnèse

 

Sous la plume du poète, la faiblesse de l'homme est caractéristique, permanente, répétitive. L'amnésie guette, volontaire, occultant tragiquement la destinée de l'Homme dans le plan de Dieu. Amnésie orgueilleuse pour ceux qui s'écrient : " Vivre où Il n'est pas, / voilà la charte et le contrat ! / Qu'importe la nuit, / si Sa clarté ne nous aveugle plus ? ". Aveu des cloportes et lombrics que nous sommes tous un peu même si existent quelques rémissions lucides durant lesquelles " monte en toi la surprise de L'avoir oublié, vide de mots, de pensées, et te surprend de t'être préféré / l'étonnement ou le vertige absurde aveuglement ! ".

Dans le cheminement difficile que le poète engage, résonnent des appels à l'ascèse, à la purification, à l'aplanissement des montagnes chères au Baptiste. Le pèlerin de passage qu'est devenu cet Homme revenu dans le désir de restaurer son unité intérieure s'écarte des faux appels, " les divertissements du monde / ses parades, / ses agenouillements au pubis des idoles, / ses frénésies au chevet de la mort ". Il ne compte plus le temps qu'il a devant lui pour réaliser son chemin. Jeunesse et vieillesse se rejoignent pour l'éternité car, " O jeunesse tremblante et oubliée, / même les murs les plus sûrs / se changent en tumuli de poussière ".

Pour le poète, le chemin seul est important, quel que soit le rythme auquel on le parcourt, ce chemin qui sonne la fin de quinze milliards d'années d'exil depuis le jardin d'Eden avant " qu'un ventre de femme ne t'ouvre le chemin du retour " vers " l'aire ancienne de tes premiers jeux ".

Dans ce double appel incessant de Dieu vers l'Homme et de l'Homme vers Dieu , appel qui taraude le poète, c'est Dieu qui fait la démarche ultime dans cet abaissement, cette kénose entre les mains meurtrières et meurtries des hommes. Le poète, par son vers : " Faible entre les faibles, Ô ! celui qui fit les mondes " résume intensément le dessein de Celui qui nous appelle en premier. Folie divine dont le mystère ne se déchirera que dans la nuit pascale. Au Grand Matin, la frontière de la mort sera abolie, sortant le monde de son enfermement. L'œuvre de Dieu fait que chaque être humain " sera tiré de l'éphémère / désordre des angoisses, des misères, / et mis hors d'atteinte par la Résurrection ".

Daguet, dans une double anamnèse des hommes en recherche de Dieu et du Christ en recherche de l'Homme, prolonge encore ici la constante recherche que saint Jean de la Croix chanta dans son Cantique spirituel .

Le signe de l'icône-mère

 

Résurrection ! Le mot en lui-même fait tressaillir si tant est que nous puissions encore tressaillir à force de l'avoir entendu. Il est impossible de s'y habituer tant l'événement paraît hors de proportion avec le monde connu. Pourtant, c'est toujours et encore ce fait fondateur de la foi chrétienne qui est ardemment combattu, c'est ce fait qui est en filigrane de la plus étrange pièce archéologique du monde : le Linceul de Turin. Il était presque dans l'ordre des choses que le poète, dans sa vocation de faiseur de pont, investisse le mystère Pascal, l'investisse d'autant plus qu'un témoignage physique fait tremplin à son élan poétique. Car c'est bien en ce sens de l'élan vers le Tout Autre qu'il faut lire le magnifique ouvrage (à mes yeux le plus beau sur le sujet) que Dominique Daguet a écrit sur le Linceul du Ressuscité. La pièce de tissu indique qu'une clef ouvre la porte d'un royaume qui ne sera plus soumis aux aléas de l'histoire tourmentée des Hommes. C'est littéralement un signe, c'est-à-dire une clef d'entrée pour une réalité supérieure à ce qui est signifié.

Dominique Daguet insiste beaucoup sur cette notion de signe, filigrane de toute son œuvre, infiniment respectueuse de la liberté humaine. Un signe, ce n'est pas une preuve scientifique même si tous les points d'examens du Linceul repris dans le livre attestent, clament l'authenticité de cette " icône-mère ", selon le beau terme qu'il emploie. Si authentique qu'il est difficile, désormais, de vouloir la retrancher du corpus des évangiles, tant elle lui est complémentaire.

Bien entendu, Daguet va bien au-delà de la position officielle de l'Église, laquelle reste très prudente dans ses déclarations . Il est naturellement légitime de s'interroger au sujet du Linceul, d'avouer sa perplexité, ses doutes pour finir par exiger toujours de nouvelles preuves comme autrefois les Juifs demandaient au Christ toujours plus de " signes ". Le poète, lui, s'accroche à ce seul signe de Jonas et, qu'il me pardonne cette facilité, se signe devant lui. Tout signe, insiste-t-il, est annonce de quelque chose, permet d'identifier ce qui est encore non advenu ou non apparent. Le Linceul annonce la Résurrection, est l'indice que l'essence de la création n'est pas toute contenue dans la seule étude de sa réalité objective : il permet l'identification d'un mystère capital, celui d'un homme qui a connu des supplices terribles, qui a connu les affres d'une agonie où même le créateur des mondes a chancelé devant la mort pour mieux épouser notre condition humaine , celui d'un homme donc qui, en atteignant un état devant laquelle la science reste muette, est passé à travers une étoffe en y imprimant une image qui ne pourrait être révélée (au sens littéral photographique) que vingt siècles plus tard.

 

Un signe de réconciliation

 

Un signe donc pour un temps où les hommes accumulent expériences sur expériences, zappings spirituels sur apostasies morales pour tenter d'accéder, finalement, au seul désir qui comble le cœur, celui de l'infini. Mais un signe, même majeur, pour une époque qui ne veut reconnaître que les siens, à grand peine d'ailleurs, qu'est-ce donc, si ce n'est quelque chose qui trouble, qui gêne, qui dérange ? Ce bout de tissu légèrement marqué d'une roussissure qui forme l'empreinte d'un homme semble décidément de trop, remarque Dominique Daguet. Et de renchérir : " Pourquoi donc gêne-t-il à ce point ceux qui, après tout, n'en ont rien à faire, Jésus de Nazareth n'étant pour eux qu'un homme ordinaire même si extraordinaire qui ne saurait avoir la moindre influence sur leurs pensées, leurs actes et leurs choix essentiels ?

Gênerait-il parce qu'il orienterait l'esprit vers ce que le monde refuse en s'arc-boutant sur ses convictions idéologiques ? Parce qu'il accréditerait l'idée que la résurrection n'est plus une folie ? Qu'il soutiendrait cette notion scandaleuse que l'homme ne saurait se satisfaire d'être enfermé pour toujours dans l'espace, d'être contraint par un temps qui n'est qu'un écoulement de nature carcéral ? " Qu'il frapperait la raison, la provoquerait, la pousserait dans ses retranchements, mais l'accompagnerait aussi sur le chemin libérateur de la Vérité ? Sans doute cette étoffe, reconnaît le poète, porte la promesse d'une réconciliation que l'on n' attendait plus, la fin de l'opposition artificielle entre la Foi et la Raison, entre l'adhésion donnée à l'Éternel et à la découverte des phénomènes liés au temps et à l'espace. Pourtant, c'est bien une image qui parle pour notre temps, qui en est déjà saturé. C'est parce que cette relique a accédé, peu à peu, au statut d'objet scientifique, parce qu'elle a suscité d'inépuisables recherches mobilisant les chercheurs les plus experts dans les nouvelles technologies, que l'on peut en toute certitude s'agenouiller devant elle en pensant à Celui qui fut par et en elle enveloppé avant de s'en défaire, mystérieusement, afin de rejoindre Son Père [Notre Père] " qui est au Cieux ".

Cette remarque trouble l'esprit : car ce signe semble également, dès le début, n'avoir été envoyé principalement que pour notre époque audiovisualisée, qui regarde le labyrinthe de son nombril. Sans doute, déclare Dominique Daguet, une autre efficacité est-elle réservée au Linceul pour le temps où nous serions devenus incapables de témoigner de notre foi, où nous ne saurons plus transmettre le message de la Résurrection et de la Vie éternelle.

 

La première marche de la conversion

 

La Résurrection est le point d'achoppement, la pierre d'angle que nous rejetons encore et encore, même quand nous croyons, ou feignons de croire. La réincarnation ou l'évaporation dans les corps subtils sont tellement plus amusants en société. De la mort du Christ, qu'aurions-nous à faire s'il était resté pour toujours enfermé dans sa tombe , martèle le poète.

L'image du Linceul parle à l'évidence de résurrection : impossible de l'oublier, car elle ne semble pas avoir d'autres fonctions. Peut-être insiste-t-elle beaucoup plus, malgré les apparences, sur la résurrection que sur la passion elle-même ! Peut-être que ce signe qu'Il nous a laissé n'a pas d'autre rôle plus urgent que celui-là, focaliser notre attention sur la résurrection alors que tout aujourd'hui est fait pour nous détourner d'elle comme de l'idée de vie éternelle. Adhérer à la pensée que ce bout de tissu est un signe pousse à adhérer à la personne qui a tracé ce signe et à la réalité qu'il nous propose. Le Linceul fait poser le pied sur la première marche de la conversion au terme de laquelle nous accepterions de déposer un instant nos pauvres carapaces d'orgueil pour entrer dans cet infini qui déborde de toute part quand on commence à se mettre en route.

Dominique Daguet rapproche cette mise en route de celle de Nicodème quand il tourna le dos au Temple de Jérusalem pour prendre le sentier du Golgotha. En contemplant cette simple pièce de tissu, ce sont les bribes des fins dernières qui parviennent jusqu'à nous, de la fin des temps, de cette fin des temps que nous sommes incontestablement en train de parcourir d'un pas pesant. L'Apocalypse est en germe dans le tissu conservé en la cathédrale de Turin.

 

 

 

La chair, chemin du Ciel

 

Quelle belle méditation conduit Dominique Daguet dans ce premier chapitre sur la nuit de la Résurrection en prenant comme fil conducteur les saintes femmes qui cheminent dans l'obscurité du matin de Pâques, le Grand Matin, sortant de cette nuit où Dieu fit son œuvre, la nuit Génésique qui reprend tout pour rétablir l'homme dans la dignité de la lumière divine ! Il y a du Péguy chez Daguet par le retour cyclique de l'idée, de la litanie, à chaque fois ouvrant sur une variation infime mais essentielle. Que dire de ses phrases ou vers construits en mots tout simples qui ouvrent pourtant une respiration vers le grand large ? Elles sont à manduquer, à digérer, à parcourir car elles sont lentes, longues, denses comme le plomb dans leur économie de mots, mais finalement, dans leur incantation incisive, si lumineuses. Elles sont l'expression d'un homme pour qui la foi en Jésus Christ, Sauveur des Hommes, n'est pas une posture intellectuelle. La foi de Daguet est charnelle, incarnée comme fut incarné le Verbe créateur de toute chose et vers qui nous retournons à travers nos chemins ronciers. Nous cheminons avec Daguet dans le silence du matin de Pâques ? Avec lui, nous sommes en route vers le Sépulcre qui semble barrer notre destinée terrestre. Il nous remet dans les pas du Crucifié dont l'acte d'abandon absolu entre les mains de son père a ouvert la voie pour le retour dans le Royaume qui nous est destiné de toute éternité. Le Christ, et lui seul, a abaissé la garde de l'épée étincelante que l'ange brandissait pour barrer l'entrée du jardin d'Eden.

Christocentrique, la méditation poétique de Dominique Daguet nous amène toujours à regarder le Fils de l'Homme au-delà de la pièce archéologique du Linceul. C'est réellement la continuation des oraisons et adorations conduites à travers le cheminement des siècles par tous ceux qui se sont mis à la recherche de la Sainte-Face. Seulement, Daguet voit réellement cette Face, ce visage qui nous est littéralement " révélé " par le tissu du Linceul. Et quel visage dont on aurait pu attendre qu'il soit celui d'un mort figé dans la douleur des sévices subis ! Au contraire, la paix dégagée par ce visage aux yeux encore clos dans sa remontée des enfers est celui qui appartient à la deuxième personne de la Trinité, au moment de sa définitive Transfiguration . Dominique Daguet, dans sa méditation qui puise également ses racines dans les résultats scientifiques les plus récents émet dans une intuitive reprise du Credo, l'hypothèse selon laquelle l'impression de l'image serait celle du " flash ", éclair de plusieurs millions de degrés mais de quelques millionièmes de secondes, qui ne saurait brûler la toile. La proclamation " Lumière née de la Lumière " s'inscrirait ainsi dans une double véracité de foi et de science qui peut en troubler plus d'un !

Plus encore, la plume du poète nous entraîne dans l'intériorisation du chemin de croix parcouru par Jésus. Jamais l'Incarnation n'a paru aussi concrète, matérielle, physique que par les traces des blessures, les meurtrissures reçues. Jamais ce qui nous relie à Dieu n'aura été aussi charnel. À la contemplation des zébrures du fouet, on saisit l'absurdité qu'a eu parfois l'Église de jouer sa pudibonde et son effarouchée face au corps qu'une morale puritaine et bourgeoise a cherché à cacher. Toute tentative d'effacement du corps marque la volonté d'effacer le Christ, d'effacer l'Incarnation, de gommer l'Être, de laisser la place à une néantisation qui est le souhait profond de celui qui s'est opposé à Dieu. Nous touchons en compagnie de Dominique Daguet au cœur du Mystère de l'Incarnation quand la discrète trace inscrite sur le lin montre que le Mal dans tout son déchaînement n'a pu empêcher l'Amour de se manifester le plus fort, réduisant à néant ses prétentions de domination, d'écartèlement, de régression et d'amenuisement. La victime volontaire

 

nous invite à voir son Père nous appelant aussi bien du fond de Son éternité que du fond même de notre être ! Un être plus fondamentalement ancien et actuel que le cosmos même ! Il vient, est venu pour nous introduire en un passage dont nous ne savions plus rien, dont aucun homme, si brillant, si sage ait-il été, ne savait rien. Une porte si étroite que personne jamais, ne l'ayant vue, ne pouvait l'atteindre ni la franchir.

 

Dans sa profonde méditation sur le Linceul, le poète rejoint sa quête du Royaume à travers les sentes de l'existence, il appelle à prendre le chemin pour densifier notre être personnel, l'unifier et le préparer à la rencontre du Seul, de l'Autre, de l'Unique. Et Dominique Daguet de nous placer dans une attente émerveillée : " Le portrait parfois précédait le prince, afin de faire patienter ceux qui l'attendaient. "

 

Décidément, ce monde manque de poètes !

 

 

 

L. M.

 

 

 

 

 

A LIRE EGALEMENT :

DOMINIQUE D AGUET, Désir du Seul, poèmes, Le Nouvel Athanor, collection " les cahiers du sens ", 2000, 107 pages

 

 

+ encadré (infra)

 

 

 

 

 

 

 

 

Homme dépassé ou du passé,

Perdu dans l'hier des souvenirs ?

Une histoire morte ?

Certainement pas.

Toujours projeté en avant,

- vers ! et plus oultre !

au-delà, et plus loin,

en avant toute !

Barre sur le soleil levant,

— Surgissant au printemps de mon âme —,

par principe de survie !

Tendant mes bras,

Lançant des appels

Au devant de moi,

De face scrutant l'horizon,

Cherchant à percer

— une carapace de bête,

un entêtement de brute ! —

la nuit qui m'enserre,

m'enveloppe, m'enlace,

me retient malgré moi.

Attentif au son de l'invisible,

À sa couleur aussi,

L'invisible déjà pénétrant ma voix

L'invisible juste en avant comme au dedans de moi

Qui suis tout désir du Seul,

Ne suis que ce désir, sinon rien.

— Le Seul que je vais, à l'instant,

je le crois et pour toujours

rejoindre en son Royaume :

rien d'autre que

l'Infini.

 

 

 

DOMINIQUE DAGUET, Désir du Seul