C'EST A DESSEIN que je fais écho à l'interpellation par laquelle Jean Paul II a ouvert son pontificat : sa portée devait en effet déboucher un jour ou l'autre sur le plan politique, ce que fait la " Note doctrinale " publiée par la Congrégation pour la Doctrine de la foi.
Pourquoi aujourd'hui ? Sans doute parce qu'après le fiasco de la référence à Dieu dans la charte européenne des droits fondamentaux, la réouverture de la question au moment où se négocie le projet de constitution européenne met à nouveau les laïcs chrétiens en face de leurs responsabilités : chrétiens, veulent-ils l'être réellement et complètement, ou n'est-ce qu'une étiquette à usage privé ?
Parmi les laïcs chrétiens, ceux d'Europe en semblent les premiers destinataires : bien sûr à cause de l'actualité ; mais aussi parce que c'est chez eux (chez nous !) que le vieillissement se fait le plus cruellement sentir, pas seulement sur un plan démographique... Rappel à l'ordre donc ? Non, mais appel à retrouver la jeunesse de la foi, à étendre le dynamisme de la nouvelle évangélisation non seulement aux domaines spirituel et religieux, ce qui va de soi, mais aussi au domaine temporel.
Le devoir pressant et général d'investir la vie publique
À la différence des interventions du Saint-Siège dans les affaires politiques du XIXe ou du XXe siècles, la Note ne m'est pas apparue comme une mise en garde, un interdit ou le prononcé d'une sanction : par le biais d'une série de rappels et de mises au point de nature doctrinale certes, elle sonne plutôt comme une invitation pressante à " occuper le terrain ", et ce d'une façon conforme à la plénitude normale des développements de la foi. Les fidèles laïcs ont pour tâche " d'animer chrétiennement l'ordre temporel ", cela est connu ; mais plus encore, cela n'est pas facultatif ! Voilà le point de départ. En d'autres termes, la foi n'est pas destinée à demeurer une affaire privée que les chrétiens cultiveraient comme un jardin secret. Cette qualité les revêt tout entier de sorte qu'ils " ne peuvent absolument pas renoncer à la participation à la vie politique " . Non qu'ils l'aient totalement délaissée, comme en témoignent ceux qui, connus comme tels pour leur engagement, y consacrent le plus clair de leur temps et de leur énergie. Mais il faut franchir un pas supplémentaire, tant par le nombre que par la qualité : ce qui rend l'intervention urgente, c'est l'ébranlement des consciences auquel conduisent les progrès de la science, la dérive des comportements sociaux, l'atteinte profonde à la personne qui résulte des législations récentes autorisant l'avortement, l'euthanasie et les manipulations génétiques, toutes problématiques complexes dont le cardinal Ratzinger, auteur de la note, reconnaît qu'elles sont " sans communes mesures avec les thématiques des siècles passés ". Puisque sont en jeu la vie et l'homme, il n'est plus permis de s'en désintéresser ou d'en déléguer le soin à d'autres : " Les catholiques ont le droit et le devoir d'intervenir dans ce déferlement, pour rappeler au sens le plus profond de la vie et à la responsabilité qui incombe à tous en cette matière " (Note, n. 4).
Ce devoir impérieux s'impose sans échappatoire possible. Pour ne pas laisser les fidèles désemparés, la Note comporte toute une série de lignes directrices et de références qui, sans être totalement nouvelles, sont ici rassemblées pour la première fois de façon très explicite comme autant de traductions opérationnelles de l'enseignement social traditionnel de l'Église et de ce " bien commun " qui en est l'axe. On ne peut plus lui reprocher, à supposer que ce reproche fût fondé, de recourir par ce terme à un concept abstrait : chacun peut en peser maintenant le poids concret et exigeant.
À la généralité du devoir correspond l'étendue du champ d'action. La Note rappelle que toute politique se fonde sur une culture, au sens le plus large, qui la nourrit et l'éclaire, sans laquelle le changement, s'il est réduit à celui de la loi ou à la réforme administrative, est voué à l'échec. Nous en avons trop souvent fait l'expérience au cours de la seconde moitié du XXe siècle en pensant qu'il suffisait d'élever des barrières de papier pour endiguer le flot, alors qu'elles ont toujours cédé lorsque le cœur et l'intelligence étaient atteints. Les fondements de la dignité absolue de l'homme n'étant plus perçus, la nécessité du respect intégral de la vie n'étant plus comprise, les interdits, d'aménagements en exceptions, finissent inexorablement par sauter. La leçon en est tirée :
Il ne faut pas penser, ce serait réducteur, que l'engagement des catholiques puisse se limiter à une simple transformation des structures. En effet, si à la base il n'y a pas une culture capable de recevoir, de justifier et de transformer en projets les exigences qui dérivent de la foi et de la morale, les transformations reposeront toujours sur des fondements fragiles (n. 7).
Il nous faut donc réinvestir la totalité du champ social, ou de la vie " séculière " pour reprendre le terme utilisé par la Note, c'est-à-dire non seulement le domaine politique proprement dit, mais aussi la vie de famille et de travail, les rapports sociaux, les activités intellectuelles et culturelles, pour les placer sous la lumière de la morale naturelle afin qu'ils puissent bénéficier ensuite de celle de l'Évangile. L'appel s'inscrit donc dans une vision englobante de la vie publique qui dépasse le strict cadre des institutions politiques ou gouvernementales mais qui inclut tous les domaines de la vie en société : voilà pourquoi tous les chrétiens, à un titre ou un autre, sont concernés.
La Note énumère les domaines dans lesquels l'urgence est la plus grande. Y figure en première place le respect de la vie humaine, évidemment ; mais aussi, et presque sur un pied d'égalité car la société ne cloisonne pas de façon étanche, l'ordre public, la paix, la liberté, le respect de l'environnement, la justice, la solidarité (n. 1). Et pour que les choses soient claires, les questions cruciales qui en relèvent sont détaillées un peu plus loin, comme autant d'" exigences éthiques fondamentales, auxquelles on ne peut renoncer " : elles concernent aussi bien l'avortement et l'euthanasie, que la protection et la promotion de la famille fondée sur le mariage monogame et stable entre personnes de sexe différent, la liberté d'éducation des enfants, la protection sociale des mineurs, la libération des victimes des formes nouvelles d'esclavage, la liberté religieuse, une économie mise au service de la personne, la justice sociale et la solidarité humaine (n. 4). Ces énumérations expriment et illustrent la base minimale du " bien commun " auquel l'Église a toujours fait référence dans son enseignement.
À l'opposé d'une certaine conception en vogue aujourd'hui qui le réduirait, parallèlement au domaine des affaires publiques, à une peau de chagrin par réaction à l'envahissement subi sous l'influence du socialisme, l'enseignement de l'Église confère de droit au bien commun, certes dans le respect de la subsidiarité d'ailleurs rappelée à cette occasion, une ampleur majeure à l'échelle de la société qui justifie sa propre insistance à le promouvoir.
Le droit des chrétiens à fonder leur action politique sur la foi
Pour agir ainsi, faut-il avancer masqué ? A priori, pareille supposition contredit de plein fouet toute la tradition et tous les enseignements des Pères : la lampe doit être posée sur le lampadaire et non mise sous le boisseau. Faut-il à l'inverse heurter nos contemporains au risque d'être incompris et donc inefficace ? Pas davantage. Cependant, sur la question de la laïcité, particulièrement en France mais aussi d'une façon générale en Europe, il fallait " remettre les pendules à l'heure " : tout le paragraphe 6 de la Note lui est consacré, illustrant l'importance qui s'y attache. Il est d'ailleurs significatif que le Saint-Siège saisisse cette occasion pour synthétiser la question d'une façon inédite, au moins dans la forme. La laïcité a un sens précis : " Les actes spécifiquement religieux (profession de la foi, accomplissement des actes du culte ou des sacrements, doctrines théologiques, communication entre les autorités religieuses et les fidèles, etc.) tombent hors de la compétence de l'État " ; et inversement " identifier la loi religieuse avec la loi civile peut effectivement étouffer la liberté religieuse et même limiter ou nier d'autres droits humains inaliénables ", au premier rang desquels la liberté de conscience. Les deux bornes de la laïcité telle que l'entend l'Église sont ainsi clairement posées et sans ambiguïté.
Si donc la sphère politique est indépendante de la sphère religieuse ou ecclésiastique, en revanche, elle ne l'est " pas par rapport à la sphère morale " : cette dernière assertion est soulignée dans le texte pour mettre en évidence le nœud du raisonnement et l'erreur dans laquelle tombent ceux qui estiment le contraire : la première source de la morale en effet ne se trouve pas dans la religion mais dans la philosophie de la nature qui est commune à tout homme et dont dérivent évidemment les règles de la vie en société . Ce n'est pas parce que l'Église fait sienne les grandes vérités de la morale naturelle qu'elle les fait sortir de leur domaine pour les inclure dans celui du religieux. Si elle agit ainsi, quand bien même elle se retrouverait seule à les défendre, c'est d'une part parce que rien de ce qui est humain ne lui est étranger et d'autre part parce que certaines des conséquences pratiques de la foi, qui ressortissent également au domaine de l'agir et donc de la morale, ont besoin d'un soubassement naturel auquel elles ne peuvent pas être indifférentes sans être annihilées par les contradictions internes. Or sur cette question se joue effectivement la capacité des chrétiens à agir dans la sphère publique.
Chacun a bien compris pourquoi. Comme je le soulignerai plus loin, dès lors qu'ils entreprennent d'agir conformément à leur conscience et dans son unité, les chrétiens ne peuvent pas ne pas faire référence aux grandes valeurs : dès lors, il suffit à leurs adversaires de procéder à l'amalgame du moral et du religieux pour tenter de les disqualifier au motif qu'ils auraient violé une laïcité devenue le paradigme de toute vie politique. C'est cela que le cardinal Ratzinger appelle le " laïcisme intolérant ", contre lequel il revendique pour les chrétiens le droit d'agir en politique conformément à leurs convictions.
Car il s'agit bien d'un droit pour l'exercice duquel il nous est rappelé que nous devons nous battre malgré l'incompréhension de la plupart : d'où sans doute le détour intellectuel et pédagogique effectué par le rappel préalable des liens entre la politique et la morale ainsi que par la définition du bien commun qui en éclaire l'objet. Plus qu'à d'autres, c'est aux laïcs chrétiens d'ailleurs que s'adresse prioritairement cette mise au point : car ils sont les premiers à devoir en être convaincus pour ne pas se laisser intimider par le tir de barrage auquel ils sont soumis, avant d'en convaincre leurs partenaires puis leurs adversaires. Comme le dit plus loin la Note, ils ne doivent succomber à " aucun complexe d'infériorité " à cause de la contradiction à laquelle ils sont en butte sur ce sujet, pourvu qu'ils se comportent en toute charité lorsqu'ils revendiquent les fondements moraux de leur engagement.
En réalité, derrière cette question se cache celle de la nature de la démocratie sur laquelle la Note confirme un point essentiel : elle n'est pas un simple cadre procédural et ne se réduit pas à ses seuls mécanismes de discussion et de vote. Ce qui en fait la valeur aux yeux de l'Église, ce sont moins ses caractéristiques formelles que la possibilité offerte à chaque citoyen de participer aux affaires communes en inscrivant son action dans un cadre de valeurs supérieures où l'homme, dans sa dignité et sa liberté, devient central. Faut-il rappeler, pour mieux saisir la portée du propos, que les totalitarismes les plus noirs du XXe siècle ont toujours préservé les apparences de la démocratie formelle ? À la limite, les régimes modernes qui se parent du même nom glissent sur une pente comparable lorsqu'ils récusent toute référence à des normes qui les transcendent et sur lesquelles ils n'ont pas – ou ne devraient pas se reconnaître – de prise parce qu'elles dérivent directement du statut de l'homme créé à l'image de Dieu : au bout du chemin, comme le rappelle la Note à bon escient, se trouve toujours la domination du plus fort sur le plus faible et la violence d'une société sans principe qui n'édicte plus que des règles de police au gré de circonstances ou de pouvoirs changeants. Par ce rappel, l'Église nous exhorte au courage, c'est-à-dire à rouvrir les questions critiques, à revenir à la charge, sans nous laisser intimider, et ce au nom de la démocratie elle-même. Un vote ne clôt pas le débat s'il a pour conséquence la ruine de l'homme.
Cependant les chrétiens doivent savoir qu'en la matière ils convaincront moins par des discours que par leurs actes. C'est sur ce point que se joue le sort de leur action en politique.
Plus que la tolérance, la cohérence : ne pas être chrétien à demi
En rappelant le caractère contingent des choix sociaux et ce qui s'ensuit, l'auteur de la Note s'obligeait à aborder de front la question du compromis sous le double rapport, d'abord avec le réel et les possibilités concrètes de l'action, ensuite avec les formations politiques existantes dont, le plus souvent, l'origine et les axes stratégiques sont fort éloignés des préoccupations de l'Église.
En préalable, la Note réaffirme très clairement la légitimité du pluralisme au niveau de ce qu'elle appelle la " militance concrète ". Celui-ci repose sur le constat de la diversité des situations, diversité tirée du contexte historique, géographique, économique, technologique et culturel et qui débouche sur une pluralité d'orientations et de solutions possibles. Sans préjudice de ce qui a été dit précédemment sur les fondements moraux de la politique et les limites qui en découlent, elle en tire deux conséquences importantes : d'une part, il ne saurait y avoir un " parti unique " des chrétiens qui ont le droit de s'engager dans des formations diverses et de promouvoir ou de réaliser des politiques variées selon leur propre jugement prudentiel ; d'autre part toute démarche à visée utopique doit être récusée dans la mesure où c'est la société actuelle, avec ses faiblesses et ses défauts, qui est leur champ d'action, non une hypothétique " chrétienté ", qu'elle soit à restaurer par référence à un " âge d'or " plus mythique que réel, ou rêvée à un horizon toujours fuyant.
La question du " compromis " en découle immédiatement. La doctrine traditionnelle en la matière est celle du " moindre mal " ou, pour le dire de façon plus exacte quoique moins usuelle en reprenant l'expression forgée par le Frère Jean-Miguel Garrigues , celle du " meilleur bien possible ". Est-elle encore pertinente quand l'enjeu devient vital ? À dire vrai, une première approche de la Note pourrait laisser penser que cette doctrine est infléchie lorsqu'on lit des critiques aussi vigoureuses que celles formulées contre le relativisme moral ou la façon trompeuse d'invoquer la valeur de tolérance, lorsque certains principes éthiques sont déclarés " non négociables " (n. 3), lorsque, enfin, est rappelée aux catholiques leur " obligation grave et précise de s'opposer à toute loi qui s'avère un attentat à la vie humaine ". Sans méconnaître la légitimité de la question, et son possible bien-fondé qu'une étude théologique et philosophique attentive pourra élucider, il me semble que l'on peut se placer sur un autre plan où l'on vise moins à retoucher la doctrine qu'à écarter les faux-fuyants et remettre la démarche du chrétien dans une perspective droite. Cette théorie du moindre mal, il faut en convenir, a servi et sert encore de prétexte à bien des renoncements. Mais elle me semble surtout invoquée, en général de façon implicite mais parfois aussi à tort et à travers, par des hommes politiques qui, tout en se disant chrétiens, ont déconnecté leur action de leur foi.
L'Église en effet est trop soucieuse de réalisme sur le plan temporel pour inviter ses ouailles à imiter Don Quichotte ; et la mise en exergue de l'exemple donné par saint Thomas More est trop expressive pour ne pas nous éclairer sur le niveau auquel il convient de se placer. Ce qui est en cause, en fait, c'est moins la doctrine que l'incohérence des comportements quotidiens : un chrétien ne peut pas l'être à moitié. En d'autres termes, la rectitude de son engagement et la confiance à lui accorder reposent d'abord sur la vérité de sa vie chrétienne et sur sa fidélité au Christ. Sous cet angle, on peut estimer qu'un compromis imparfait accepté par un chrétien, pourvu de la compétence technique nécessaire, imprégné de la vertu de prudence et éclairé au mieux de ce qui est requis, dont la foi, la pratique et la fidélité à l'Église sont connus, n'a pas la même signification qu'un compromis accepté par quelqu'un qui se tient en dehors ou qui met de côté sa vie religieuse, nonobstant ses déclarations officielles contraires : car ils ne vont pas dans le même sens ! Il y a toutes chances que le premier recherche un progrès, et que l'autre camoufle une démission... On a pu le vérifier précisément dans le cas de l'avortement ou de l'euthanasie lorsqu'il s'est agi d'insérer dans les législations permissives des dispositifs efficaces favorisant les solutions alternatives. C'est ainsi que m'apparaît la signification de cette phrase que la Note reprend de l'encyclique Evangelium vitæ à propos du cas où il ne serait pas possible de conjurer ou d'abroger complètement une loi abortiste déjà en vigueur ou soumise au vote : " Cela n'empêche pas qu'un parlementaire dont l'opposition personnelle absolue à l'avortement serait manifeste et connue de tous, puisse licitement apporter son soutien à des propositions visant à limiter les préjudices d'une telle loi et à en diminuer les effets négatifs... " (n. 4). En d'autres termes, l'Église fait confiance aux chrétiens cohérents pour rechercher des compromis positifs, de ceux qui permettent de progresser, fût-ce pas à pas mais de façon concrète, dans le sens qu'exige la morale, pour " transiger en montant " si on veut bien me passer cette image, parce que la solidité de leur foi et leur docilité à l'Esprit Saint leur feront trouver ce qui convient.
En fin de compte, ce qu'elle leur demande, et c'est cette demande qui me semble absolue, c'est d'être d'abord des chrétiens, et de l'être complètement ; et ce qu'elle récuse, c'est le contre-témoignage de ceux qui sont trop tièdes ou dont la vie est trop empreinte de contradictions pour que leurs compromis ne soient pas compromettants. Afin que ce soit clair, la Note insiste sur le " devoir moral de cohérence des fidèles laïcs, à l'intérieur de leur conscience une et unique ", leur rappelant, en reprenant à nouveau les termes de l'exhortation Christifideles laici, que " dans leur existence, il ne peut y avoir deux vies parallèles, d'un côté la vie que l'on nomme spirituelle avec ses valeurs et ses exigences ; et de l'autre, la vie dite séculière, c'est-à-dire la vie familiale, de travail, de rapports sociaux, d'engagements politiques, d'activités culturelles " (n. 6). Au demeurant, les hommes politiques ne sont pas seuls concernés. L'amplitude du champ social est telle que tous, où qu'ils soient, dans la vie politique comme dans l'entreprise, le monde associatif ou le secteur social, sont concernés à un degré identique, chacun dans son domaine. Si l'exigence apparaît plus pressante envers les hommes politiques, c'est uniquement parce qu'ils sont plus visibles en raison de leurs fonctions et donc tenus à une plus grande exemplarité.
Appartenir au Christ, témoigner en vérité
Voilà à quel niveau je perçois la pointe ultime de la Note : devant l'urgence du drame et l'enjeu crucial des choix politiques, l'Église nous dit avec fermeté que nous ne pouvons plus trahir notre appartenance, car c'est le Christ que nous trahissons, ni même nous affadir dans la tiédeur car le sel mérite alors d'être jeté dehors et foulé aux pieds par les passants. Entendons-nous bien : il n'est pas question ici de promouvoir une quelconque élite de justes soi-disant irréprochables qui se lèveraient pour guider les masses défaillantes. Pêcheurs nous sommes, et nous le sommes tous, ayant d'abord besoin du pardon que nous apporte le Christ ; nous le sommes d'autant plus sans doute que, engagés dans la vie publique, nous avons davantage l'occasion de tomber, " en pensée, en parole, par action et par omission ". Néanmoins nous avons à agir tels que nous sommes, sans attendre d'avoir accédé à je ne sais quelle perfection qui nous épargnerait la lutte avec nous-mêmes, mais, au contraire, en ayant dans la chair cette écharde du péché dont parlait saint Paul et qui nous empêche de nous enorgueillir.
Cependant une chose est de le reconnaître, de rechercher le pardon divin, de réparer à la mesure de nos possibilités, et de nous efforcer de nous relever après chaque chute ; une autre est d'accommoder nos défaillances à l'aune de nos ambitions ou de nos errances sous prétexte de liberté de conscience. Si cette liberté est primordiale, elle l'est dans la poursuite de la vérité du témoignage et non pour servir de prétexte ou d'excuse à nos lâchetés.
Voilà pourquoi, de façon inhabituelle mais justifiée, la Note se conclut par cette déploration du contre-témoignage de ceux qui, tout en se prétendant catholiques, " ont pris, sur des questions politiques fondamentales, des positions contraires à l'enseignement moral et social de l'Église ". En insistant sur leur cas, elle nous rappelle que l'Église, en pareille occurrence, c'est nous tous comme membres du Corps mystique, et que nous témoignons du Christ par notre vie concrète aux yeux de ceux qui nous voient agir.
C'est donc sur cette cohérence de vie que l'unité des chrétiens en politique se fera. Ajouterai-je que le reste leur sera donné par surcroît ?
FR. DE L.L.