VOTRE INVITATION me donne l'opportunité de représenter les quelques 800 000 membres appartenant aux mouvements de jeunes qui se sont confédérés, au sein de l'Alliance européenne de la jeunesse. Je tiens à vous en exprimer toute ma reconnaissance.

 

L'Alliance européenne de la jeunesse, dont je suis le directeur exécutif depuis deux ans, est une branche de l'Alliance mondiale de la jeunesse dont l'objet est de promouvoir la protection de la dignité humaine dans les politiques mises en œuvre par les Nations Unies. L'Alliance européenne de la Jeunesse poursuit les mêmes objectifs dans le périmètre des politiques de l'Union européenne.

 

J'aimerais, en guise d'introduction, vous livrer un souvenir encore vif dans ma mémoire : lors de l'une des premières conférences des Nations Unies auxquelles il m'a été donné de participer, j'ai assisté à un débat entre l'Union européenne et le chef d'une délégation de pays en voie de développement. Au cours de cette rencontre, le porte-parole de l'Union européenne insista pour que tout le monde accepta le terme de reproductive health services dans le document final. Or, la veille, au cours d'une session plénière, ce terme avait été défini de telle sorte qu'il incluait explicitement l'avortement. Le chef de la délégation libyenne demanda le respect de la culture et des valeurs des pays en voie de développement, mais en vain, si bien qu'il quitta la réunion, excédé. Je le suivis, m'excusant auprès de lui de ce que le porte-parole de l'Union européenne avait dit et l'assurant qu'en Europe, tout le monde ne pensait pas de la sorte. Touché par ma démarche, il me posa la question suivante : " Si l'Europe veut se tuer elle-même, pourquoi veut-elle nous entraîner dans cette voie ? " Depuis deux ans que dure mon engagement pour la dignité humaine en Europe, le sens de ces paroles a sur moi un retentissement croissant.

 

C'est ma génération qui a fait en premier l'expérience d'un continent " libre de toutes valeurs ". C'est ma génération aussi qui en découvre la portée. C'est ma génération qui est témoin d'une société aux familles détruites : vous savez comme moi le nombre de divorces, ce qu'ils impliquent pour les individus, les épouses, les enfants et toutes les personnes qui les entourent. C'est ma génération qui vit dans la société du confort à tout prix : nous tuons nos enfants alors qu'ils ne sont pas encore nés ; nous tuons les personnes âgées de nos familles pour ne pas avoir à supporter la charge des soins qu'ils requièrent, le temps et l'amitié dont ils ont besoin. Que de pauvretés dans un continent matériellement si riche, ...si riche par son histoire, ses arts, ses sciences et sa pensée ! On pourrait presque dire qu'il a perdu son âme, notre continent.

 

Ils sont nombreux, les jeunes auprès desquels j'ai travaillé, qui font l'expérience de cette absence de respect pour l'inviolable dignité de chaque membre de la famille humaine. Nos propres familles sont divisées, nos parents eux-mêmes se trouvent isolés... et beaucoup ne trouvent plus aucun sens à donner à leur vie. Tous, parmi nous, cherchent davantage que les satisfactions superficielles et le divertissement. Certains d'entre nous ont réalisé qu'ils pouvaient s'épanouir pleinement en ayant une relation à l'autre différente, c'est-à-dire une relation fondée sur le respect, l'attention et l'amour ; et que ce dernier prend tout son sens dans une perspective transcendantale.

 

Il me semble que c'est l'une des explications au nombre rapidement croissant des membres de l'Alliance européenne de la jeunesse. Au cours d'un discours que je prononçai à la Western European University, j'évoquai le fait que les enfants ont besoin qu'on leur consacre du temps. Certes, avais-je dit, le jardin d'enfants peut être une bonne chose pour un enfant. Mais placer un enfant tous les jours dans une crèche avant l'âge de trois ans, voilà ce qui me semble dangereux pour son développement. Un jeune punk s'est alors levé, manifestement en colère, de telle sorte que je commençai à me faire du souci pour la suite de ma conférence. Mais à ma grande surprise, ce n'était pas ma critique sur les crèches qui le mettait en colère, bien au contraire : il déclara que les enfants ne devraient même pas être laissés aux jardins d'enfants ; sa mère l'y avait souvent mené et c'est là qu'il a le sentiment d'avoir tout perdu. Voilà un bon exemple de la jeunesse de notre siècle.

 

Nous faisons l'expérience de la mise en œuvre, dans nos législations, des idéologies de la seconde moitié du siècle dernier, et nous le déplorons.

Nous sommes aussi la génération qui fut baignée dans le souvenir de la triste histoire européenne, celle des génocides, des camps de concentration et des goulags. Nous comprenons que de telles atrocités n'ont été possibles que parce que les gouvernements se sont crus affranchis des exigences posées par la dignité humaine. Dans leurs raisonnements, ces gouvernants pensaient qu'ils pouvaient reprendre ce qui avait été donné par la loi.

 

C'est pourquoi notre génération implore les sociétés et les gouvernements de reconnaître que la dignité humaine procède d'une source qui leur est supérieure, et qu'ils doivent en garantir le respect en toutes circonstances. Le respect des droits humains, d'une authentique égalité, d'un traitement juste pour chacun, comme la pérennité des sociétés, ne peuvent être assurés que grâce à l'affirmation du caractère transcendantal de la nature humaine, qui donne à chaque être sa dignité. C'est à cette condition essentielle que l'Europe pourra éviter son propre suicide.

Les jeunes avec lesquels je travaille désirent ardemment faire tout ce qui est possible pour ce continent, et sans nul doute l'enjeu vaut-il la peine de leur engagement.

 

Permettez-moi de terminer par une citation du Journal de Vaclav Havel, lui qui a saisi cette profonde vérité de l'existence humaine dans son combat pour la liberté, d'abord en prison, puis comme Président :

" Cela peut paraître un paradoxe – mais qui, je crois se révélera vrai –, que ce n'est qu'en nous tournant vers une perspective morale et spirituelle fondée sur le respect d'une certaine autorité " extra-temporelle " – celle de l'ordre naturel de l'univers, d'un ordre moral qui surpasse la dimension personnelle, d'un absolu – que nous pouvons parvenir à un état dans lequel la vie sur cette terre échappera à la menace d'un " méga-suicide" et deviendra supportable. Un état dans lequel, en d'autres termes, la vie aura une dimension tout simplement humaine. Ce chemin, et ce chemin seulement, peut conduire à la création de structures sociales dans lesquelles une personne peut redevenir une personne, une personnalité humaine spécifique. "

 

 

 

G. V. L.