l'économie, si l'on en veut pas sombrer dans l'utopie. La doctrine sociale fournissait, surtout depuis 1891, les principes, compatibles avec cette lecture moins interventionniste que celle que l'histoire — et les catholiques sociaux en particulier — allait privilégier.

Mais les catholiques ont préféré s'accrocher à un corporatisme fermé, dépassé par la réalité mondiale ; ils ont cherché longtemps une illusoire troisième voie, refusant le socialisme comme le libre marché ; bref ils ont perdu du temps en s'éloignant du réel.

Lorsque Jean-Paul II semblera remettre les pendules à l'heure, en fait en restant dans la ligne de ses prédécesseurs, mais en l'adaptant à la réalité des choses nouvelles d'aujourd'hui, on fera semblant de s'étonner que l'Église, soudain devenue réaliste, découvre l'économie de marché, ses forces, et ses limites éthiques, son cadre institutionnel conforme au droit naturel : mais cela était déjà chez Léon XIII, Pie XI, Pie XII ou Jean XXIII si on veut bien lire les textes tels qu'ils sont, sans a priori ; ce qui a fait défaut, c'est l'application par des laïcs, soucieux de fidélité aux principes et de coller au réel, sans le fuir : c'est là que la quasi-disparition, pour prés d'un siècle, des thèses de l'école d'Angers a pesé sur l'histoire des catholiques français face à leur économie.

C'est encore perceptible aujourd'hui : on cherche un ailleurs, une autre voie, un tiers système, des aménagements du réel, au lieu de prendre le réel comme il est. Il faut conserver les institutions conformes au droit naturel et à la dignité des personnes, (il ne s'agit pas, dit Jean-Paul II " de détruire les instruments d'organisation sociale qui ont fait leurs preuves " CA, 58), garder ce qui est conforme à la liberté responsable des personnes et chercher comment se comporter avec justice et charité dans ce monde réel, en y introduisant un fondement moral, une éthique, en montrant les limites entre l'humain et l'inhumain. Nous avons tellement perdu de temps à chercher un ailleurs (économique) imaginaire, que nous avons oublié souvent de chercher simplement à humaniser le réel.

C'était pourtant le sens profond de la doctrine sociale de l'Église, qui prend forme, ce n'est pas un hasard, en même temps que l'école d'Angers en cette fin du XIXe siècle. Cette doctrine n'est pas, contrairement à ce que beaucoup ont cru, " une troisième voie ". Elle ne condamne pas le marché, mais la façon dont les hommes peuvent s'y comporter, puisque sur le marché on peut faire le bien comme le mal ; elle rappelle donc qu'il n'y a pas de marché sans éthique. C'est le discours constant de l'Église. Faut-il rappeler que Pie XI, dans Quadragesimo anno (1931), parlant du marché (et du capitalisme) affirme : " Ce régime, Léon XIII consacre tous ses efforts à l'organiser selon la justice ; il est donc évident qu'il n'est pas à condamner en lui-même. Et, de fait, ce n'est pas sa constitution qui est mauvaise " (QA, 109).

Nous avons perdu beaucoup de temps avec la parenthèse dramatique du " socialisme réel ", du socialisme d'État dans les pays de l'Est ; nous en avons perdu à l'Ouest en partant sur de fausses pistes et des chimères de troisième voie. Ces époques sont révolues. Revenons aux sources de la doctrine sociale de l'Église, comme Jean-Paul II nous y invite dans Centesimus annus, et aux principes authentiques d'une économie soucieuse d'éthique, de liberté, de responsabilité et de dignité humaine : nous y rencontrerons les pionniers de l'école d'Angers.

 

J.-Y. N.