CONSTATER QUE LA FAMILLE s'est modifiée au cours des dernières décennies dans les pays européens relève aujourd'hui du lieu commun pur et simple. Les changements intervenus, encore qu'ils ne se soient pas produits de manière simultanée et dans la même mesure, se sont reflétés peu ou prou dans le droit écrit.

À de nombreuses reprises, la loi a même cherché à intervenir activement, à devancer les transformations sociales ou à les provoquer. Le discours sur les libertés et les droits fondamentaux a pénétré la sphère de la famille et est entré dans le droit, bien souvent par la voie constitutionnelle. Des concepts tels que " liberté ", " égalité ", " autonomie " sont devenus monnaie courante dans le débat sur ce que doivent être les relations familiales, de même que dans la défense de la libéralisation et la déjudiciarisation du divorce, et dans un discours qui a renforcé l'argumentation favorable à la privatisation des relations familiales, à l'acceptation d'une sphère d'autoréglementation de ces relations, à l'équivalence entre les différentes formes de vie commune.

On a vu confluer vers le droit de la famille les nouveaux dogmes postmodernes de l' " anti-interdiction ", de l' " autoréglementation ", de l' " autoréférence ", de la négation des tentatives tendant à imposer des conduites tournées vers des valeurs sociales et de l'indifférence envers les valeurs en général. La légitimité d'une intervention du droit dans la famille sur base d'un modèle établi de relations familiales est remis en cause. On entend dire que la loi doit se limiter à refléter la réalité sociale et la réalité d'aujourd'hui est – c'est ce que l'on affirme – qu'il n'y pas de modèle de famille, que l'essentiel se trouve dans les relations affectives, quelles que soient leurs " formes " juridiques. On assiste, un peu partout, à des interventions législatives dans la famille, basées sur le refus des valeurs familiales dites " traditionnelles " ; ces interventions visent à imposer un relativisme social, moral, et culturel quant à la manière de vivre les relations affectives elles-mêmes, et rejettent – en la taxant de discriminatoire –, toute préférence de l'État envers la famille fondée sur le mariage. Ces interventions impliquent non seulement la dilution du concept de famille – concept que beaucoup veulent " ouvert ", de manière à lui faire recueillir différentes conceptions et pratiques sociales ; elles entraînent aussi la perte du sens du lien entre famille et mariage, et même la défiguration et l'affaiblissement du lien conjugal.

Au niveau des législations des États et de la Communauté, nous assistons à des interférences autoritaires dans le secteur de la famille qui visent à imposer et à instaurer des modifications dans les relations et les structures familiales. Un grand nombre des pressions politiques cherchant à harmoniser, et même à uniformiser les solutions juridiques relatives à la famille à l'intérieur de l'espace communautaire sont de plus en plus déterminées par des préconceptions, des volontarismes, des jeux d'influence et des jeux de composition d'intérêts.

Le projet visant à uniformiser et à harmoniser le droit de la famille mérite qu'on lui fasse bon accueil dans certains domaines comme celui des relations patrimoniales. Cependant, en ce qui concerne d'autres aspects, les tentatives d'uniformisation appellent certaines critiques, en particulier lorsqu'il s'agit d'établir une équivalence du mariage pour différentes formes de vie commune. À côté de l'institution du mariage, considérée comme le lien juridique unissant une femme et un homme, certaines législations nationales reconnaissent d'autres formes de vie commune entre personnes du même sexe. On prétend à présent gommer les diversités existant entre les différentes législations, en imposant une équivalence de toutes les situations.

Il est urgent de démonter une argumentation individualiste qui situe le traitement de cette question dans le cadre des libertés et de l'égalité, en particulier sur le plan des discriminations fondées sur l'orientation sexuelle. En réalité, une chose est de soutenir que les personnes en tant que telles ne peuvent faire l'objet de discriminations sur base de ce fondement ; tout autre chose est de prétendre leur permettre d'accéder à une institution et de contracter un lien qui est caractérisé par le fait qu'il établit des devoirs réciproques précis entre deux personnes de sexe différent ; un lien qui mérite la protection sociale, du fait même qu'il est une institution qui permet d'engendrer et de socialiser les futurs membres de la société, et d'assurer la stabilité, la responsabilisation et la solidarité au moyen des devoirs réciproques qui en découlent.

Il est indiscutable qu'il faut respecter et accepter les disparités existant entre les législations nationales en cette matière. Mais il est tout aussi impérieux de refuser que l'on nous impose la reconnaissance du statut matrimonial pour toutes les situations de vie commune par le biais d'une uniformisation des solutions juridiques. Reconnaître une équivalence entre le mariage et d'autres formes de vie commune dans lesquelles un tel lien est inexistant, ou entre des personnes de même sexe, revient à vider le mariage de sa substance. En réalité, l'apparente " neutralité " de la loi en ces matières porte atteinte au " droit de se marier " et à la garantie institutionnelle du mariage avec ses caractéristiques propres. Cette garantie institutionnelle interdit de le vider de son contenu en atténuant ou en éliminant ses différences par rapport à d'autres formes de vie commune.

En outre, la " neutralité " constitue pour les citoyens un signal traduisant l'indifférence de l'État quant à la manière dont ils organisent leurs relations de vie, la loi cessant d'exercer une importante fonction : celle d'orienter les comportements des membres de la société. Du reste, lorsque le législateur se laisse guider par une idée illusoire de " neutralité " et étend aux unions libres et aux unions homosexuelles la protection sociale attribuée au mariage, il risque d'encourager de telles unions, dans la mesure où elles engendreront les mêmes conséquences " favorables " sans que les mêmes obligations ne soient requises, ni qu'une fonction sociale identique ne soit exercée.

La rhétorique de la discrimination exagère les inconvénients et les préjudices qui découlent, pour les citoyens de l'Union européenne, de la disparité des solutions juridiques en cette matière, au niveau des différentes législations nationales. Les problèmes qui pourraient surgir du fait de situations plurilocalisées, ou de la libre circulation des citoyens dans l'espace communautaire, trouveront des solutions appropriées, susceptibles de reconnaître et d'accepter des situations juridiques légitimement établies en accord avec une législation nationale.

La famille a une identité propre dans la culture européenne contemporaine : le modèle de la famille à racine chrétienne – la famille fondée sur le mariage monogamique et lieu même de la transmission de la vie. Ce modèle de famille n'est pas confessionnel et, de ce fait même, ne fait pas obstacle au projet d'une société pluraliste et multiculturelle. Il est la conséquence nécessaire, dans le domaine de la famille, de l'affirmation – en tant que valeur absolue et inconditionnelle – de la dignité humaine et des droits de l'homme.

Les responsabilités de l'État par rapport à la famille vont bien au-delà de la prévision et de la distribution de prestations sociales de nature assistancielle. Les politiques strictement familiales doivent se baser sur une compréhension " familiariste " de la personne (contre-pied de la compréhension individualiste, si en vogue). Autrement dit, il ne suffit pas de considérer les droits des personnes en tant qu'individus, il faut prendre en compte les droits des personnes en tant que membres d'une famille ; de même que les droits de la famille, en tant qu'entité sociale.

Les politiques familiales doivent viser à appuyer et à promouvoir la famille, en se fondant sur des critères qui ne sont pas ceux de la carence assistancielle. L'État a donc une responsabilité dans la protection institutionnelle de la famille et dans l'orientation de la conduite des citoyens.

 

R. L. X.