LIBERTE POLITIQUE n° 41, été 2008. 

Par Nicolas Mathey. LA LOI DU 6 AOUT 2004 n'a pas été une loi de consensus comme ont pu l'être d'autres lois relatives à la bioéthique. Elle n'a pas été adoptée à l'unanimité comme l'avait été la loi Huriet de 1988.

Sans doute, a-t-elle été adoptée à une confortable majorité mais il est devenu évident, lors de la discussion de cette loi, que quelque chose avait changé depuis les premiers textes . Il a fallu utiliser des astuces législatives pour faire passer un certain nombre de dispositions qui auraient pu être contestées. Ces manœuvres ont conduit le législateur à voter un texte contenant des contradictions graves, mais aussi, à voter un texte plein de promesses intenables.
La loi de 2004 contient de nombreuses incohérences qui s'expliquent par la volonté d'affirmer avec une apparente fermeté des principes que le législateur entend ne pas faire respecter dans la pratique. La loi peut aussi être contredite par les faits. Évidemment, il ne s'agit pas d'adapter le droit au fait mais de constater que les promesses scientifiques sur la foi desquelles la loi a été votée n'ont pas été tenues. La loi contient des contradictions depuis son origine car c'est une loi incohérente (I). En outre, la loi a beaucoup promis mais peu tenu dans les faits (II).

I- LES CONTRADICTIONS INITIALES OU L'INCOHERENCE DE LA LOI DE 2004

Dès son adoption, la loi de 2004 est apparue comme une triste loi (a) réservant un terrible sort à l'embryon (b) et interdisant de manière ambiguë le clonage (c). En outre, tout en condamnant l'eugénisme, la loi offre le cadre de son développement (d).

a/ Une triste loi

La loi de bioéthique est une bien triste loi. La contradiction est au cœur de la loi qui est conçue comme révisable périodiquement. Le Parlement a consenti, en outre, à un abandon de son pouvoir difficilement admissible.

Une éthique révisable. La bioéthique apparaît dans la loi révisable et provisoire. La loi prévoit elle-même sa révision périodique comme si le législateur doutait de son travail. Certains y voient une forme d'expérimentation législative. Ce serait là une contradiction fondamentale avec la notion même d'éthique et la volonté affichée des parlementaires. Ne prétendent-ils pas proclamer de grands principes destinés à encadrer le travail des scientifiques ? Comment se peut-il alors que l'affirmation de ces principes soit soumise à évaluation, ou plutôt à dévaluation, périodique ? La contradiction est patente entre les principes éthiques agités par les défenseurs de la bioéthique actuelle et leur mise en œuvre contingente offrant de nouvelles perspectives de transgressions.
En réalité, il est vraisemblable que la technique de la loi révisable ait été utilisée pour faire accepter certaines transgressions . La clause de révision a été discutée lors des travaux préparatoires à la loi de 2004. Si elle a finalement été insérée dans le texte, ce n'est que pour aboutir à un compromis permettant son adoption à la plus large majorité possible. Cela est particulièrement évident si l'on pense à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires . En définitive, ici, la contradiction n'est assumée que pour dissimuler une hypocrisie. Chacun garde le souvenir de la méthode employée pour légaliser l'avortement.

Abandon du pouvoir par le Parlement. La prétention démocratique est également bien malmenée dans la loi de 2004. En effet, les lois de bioéthique avaient pour ambition de prendre le relais des travaux du Comité consultatif national d'éthique (CCNE). Le Parlement devait se saisir de ces questions pour se prononcer au nom du peuple français. L'intervention du législateur ne s'imposait sans doute pas avec l'évidence que l'on pense mais elle n'était pas illégitime. Cependant, la loi de 2004 marque un véritable recul du contrôle parlementaire en matière d'éthique biomédicale. Tout en affirmant l'importance de l'intervention législative dans ce domaine, la loi de 2004 consacre l'abandon de son pouvoir par le Parlement. La création de l'Agence de la biomédecine (ABM) est particulièrement significative à cet égard .
Placée sous la tutelle des ministres de la Santé et de la Recherche, l'ABM a pour mission d'élaborer et de mettre en application la réglementation et de faire des recommandations notamment en matière de reproduction, d'embryologie et de génétique humaine. Elle est également chargée d'informer le Parlement et le gouvernement sur le développement des connaissances et des techniques dans ces domaines et de proposer les orientations et les mesures qu'elles appellent. Initialement, le projet de loi prévoyait la création d'une agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaine (APEGH) sur le modèle anglais de la Human Fertilisation and Embryology Authority (HFEA). La composition du conseil d'administration de l'ABM mérite d'être relevée. Presque tous ses membres sont issus de la communauté médicale. C'est une institution qui ne laisse aucune place à une réflexion autre que technique. L'éthique n'y a manifestement guère sa place. On peut voir dans cette institution une forme de reprise de pouvoir par les scientifiques au détriment de la société civile et du Parlement.
L'ABM dispose d'un conseil d'orientation qui a une composition plus variée que le conseil d'administration. C'est au sein de cet organe que devrait être menée la réflexion éthique de l'agence . Toutefois sur ce plan, la coexistence de l'ABM et du CCNE ne peut manquer de susciter des interrogations. Les rapports avec l'ABM pourront être difficiles même si les responsables de chaque institution tentent de minimiser les risques . La situation difficile du CCNE depuis quelques mois devrait permettre à l'ABM d'affirmer sa domination. Sans doute le CCNE n'est-il pas parfait et beaucoup de ses avis sont-ils contestables mais son pluralisme est, à tout prendre, préférable au scientisme de l'ABM. Dans le même temps, de nombreux parlementaires sont tentés de se décharger au profit de l'ABM des questions de bioéthique qui commencent à déranger.
Comment sortir de la contradiction ? D'une part, peut-on mettre un terme à l'hypocrisie de la révision périodique ? D'autre part, comment redonner son pouvoir au Parlement et à la société ? Les deux questions sont liées. Sur le premier point, il serait sans doute bon de ne pas réintroduire de clause de révision dans la prochaine loi de bioéthique. Aucune évolution favorable à la défense de la vie n'a été obtenue dans ce cadre. Cela n'interdira pas l'évolution de la loi, au cas par cas, sur des questions précises, sans amalgame : le législateur a toujours eu le pouvoir de remettre son ouvrage sur le métier. Nul besoin de le prévoir dans la loi, si ce n'est pour endormir la conscience des parlementaires. Sur le second point, il parait évident que seule une reprise du pouvoir par le Parlement pourra assurer un véritable encadrement de la recherche dans le respect des principes éthiques fondamentaux dont on veut croire que le Parlement entend assurer l'effectivité. L'existence de l'ABM ne pourra sans doute pas être remise en cause. L'institution devra par conséquent être améliorée. Sa composition devrait être révisée pour laisser plus de place aux parlementaires et à des représentants de la société civile. Ses relations avec le CCNE devront être repensées. Une fusion entre les deux institutions ne serait pas impossible dès lors que l'on admet que l'éthique conserve la primauté sur le scientisme.
Il est, toutefois, à craindre que ce ne soit pas cette voie qu'emprunte le législateur. En effet, ces derniers mois, s'est répandue l'idée de fixer dans la loi les principes éthiques essentiels que des agences spécialisées seraient chargées de mettre en œuvre . Une loi cadre dont l'application serait confiée à des agences indépendantes ayant un rôle jurisprudentiel serait la consécration définitive de la contradiction inscrite dans la loi actuelle. Les agences pourraient ainsi librement transgresser les principes posés avec bonne conscience par les représentants de la Nation !

b/ La recherche sur l'embryon humain

Les dispositions relatives à la recherche sur l'embryon humain sont le siège des plus graves contradictions internes de la loi de 2004. Pour certains, la recherche sur l'embryon serait permise car il ne s'agirait que d'un amas de cellules n'appartenant pas à l'espèce humaine. Sur ce point l'hypocrisie scientifique est manifeste qui, pour justifier la transgression, disqualifie l'objet de l'expérience : on peut le faire car ce n'est pas humain dit-on ! La formule rappelle évidemment des arguments développés à une époque qui n'a pas contribué à la grandeur de l'humanité. Axel Kahn lui-même a mis en garde contre cette négation de l'humanité de l'objet de l'expérience qui ne résiste pas à l'analyse honnête de la réalité. La loi elle-même n'a pas le courage de nier cette humanité de l'embryon. Cependant, tout en posant le principe de l'interdiction de la recherche sur l'embryon, la loi la tolère à titre dérogatoire. Une contradiction grave se trouve ainsi au cœur de la loi.

Principe et exception. La loi contient une contradiction qu'elle assume en partie. Elle affirme un principe pour immédiatement tolérer une exception. La loi de 2004 a rappelé que [l]a recherche sur l'embryon humain est interdite (CSP, art. L. 2151-5). Cependant, sont autorisées les études ne portant pas atteinte à l'embryon réalisées avec le consentement des parents. Ce tempérament ne devrait guère jouer car il est difficile d'envisager de telles études ne portant pas atteinte à l'embryon. Surtout, à titre dérogatoire également, et pour une durée de cinq ans, des recherches peuvent être autorisées par l'ABM sur l'embryon et les cellules embryonnaires lorsqu'elles sont susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs et à la condition de ne pouvoir être poursuivies par une méthode alternative d'efficacité comparable, en l'état des connaissances scientifiques. Ces recherches ne peuvent être conduites que sur des embryons conçus in vitro dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation et qui ne font plus l'objet d'un projet parental. Elles ne peuvent être effectuées qu'avec le consentement écrit préalable du couple dont ils sont issus, ou du membre survivant de ce couple, par ailleurs dûment informés des possibilités d'accueil des embryons par un autre couple ou d'arrêt de leur conservation.
Le législateur ne reconnaît la dignité de l'embryon qu'à partir du projet parental , lui déniant en définitive toute valeur intrinsèque. Peut-être le législateur a[-t-il] exclu la question du statut juridique de l'embryon pour ne retenir que la réalité scientifique : l'embryon est un début de vie humaine . Toutefois, il reste une contradiction impossible à ignorer. L'affirmation du principe dans la loi n'a peut-être conduit qu'à endormir la conscience des parlementaires ou à se donner moins mauvaise conscience . Le législateur prétend maintenir l'interdit fondamental et n'admettre que très restrictivement des dérogations. La pratique démontre que ce n'était qu'une illusion. Il se fait également des illusions en prétendant qu'il sera attentif au respect scrupuleux de la législation . L'embryon n'a dans cette législation aucune dignité propre indépendante du projet parental . Comment peut-on affirmer la dignité de l'être humain dès le commencement de la vie et tolérer une telle atteinte ? Cette législation est contraire au bon sens et à la loi naturelle inscrite dans le cœur de chacun. Soit la dignité est reconnue à l'embryon humain et l'atteinte dont il fait l'objet est intolérable ; soit elle lui est déniée et l'on méconnait les découvertes récentes de la science et les enseignements éternels de la loi naturelle . La dignité n'est pas une qualité octroyée par le droit suivant le bon plaisir du législateur ; elle est une qualité inhérente à l'être humain . L'idée même de n'accorder d'égard à un être humain qu'en raison du projet, fut-il parental, que d'autres font pour lui est insoutenable.
Certains tentent de justifier la recherche sur l'embryon en soutenant qu'il est protégé comme une personne humaine. Il serait ainsi possible de transposer les principes applicables en matière d'expérimentation sur la personne à l'expérimentation sur l'embryon . Cette argumentation relève du sophisme. L'embryon ne peut pas donner son consentement aux expériences qui sont menées sur lui. En outre, il ne peut attendre aucun bénéfice direct de l'opération dans la mesure où elle a pour conséquence de le détruire . Sans doute les embryons devenus objet de recherche sont-ils voués à la destruction mais ce n'est qu'en raison d'une disposition de la loi qui est déjà elle-même en contrariété avec le principe du respect de la dignité de la personne humaine . Ce sont les principes du code de Nuremberg, adopté pour éviter que ne se reproduisent les pratiques des médecins nazis, qui sont bafoués dans un tel raisonnement .
Comment sortir de cette contradiction ? La réponse ne peut résider que dans l'interdiction ferme et définitive de toute recherche sur l'embryon. Cet objectif est-il hors de portée si l'on pense aux découvertes récentes en matière de cellules souches adultes et de sang de cordon ?

c/ Le clonage humain

Il est courant de distinguer le clonage reproductif du clonage dit thérapeutique. La distinction faite par la loi est totalement infondée. Pour l'essentiel, les deux techniques sont les mêmes. Le premier ne se distingue du second que par la finalité de l'opération. Il a pour résultat de mener à la naissance un enfant, génétiquement identique à l'individu cloné, alors que le clonage dit thérapeutique entraîne la destruction de l'embryon. L'unité de la technique ne doit pas être dissimulée par une terminologie développée à des fins rhétoriques .
La loi prohibe les deux formes de clonage. Est interdite toute intervention ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée (C. civ., art. 16-4). De même est interdite, par le code de la santé publique et non plus par le code civil, la constitution par clonage d'un embryon humain à des fins thérapeutiques (CSP, art. L. 2151-4). Les sanctions pénales prévues en cas de clonage reproductif sont bien plus sévères que celles prévues en cas de clonage dit thérapeutique. Il y a là une véritable incohérence alors que les deux techniques sont analogues.
Les débats actuels sont significatifs à cet égard. La prohibition du clonage prétendu thérapeutique risque de ne pas résister. Les récents rapports proposent la levée de l'interdiction du clonage prétendu thérapeutique . Le langage est à nouveau manipulé de façon à rendre plus facile l'acceptation de la mesure . Le Rapport dit Fagniez recommande ainsi d' autoriser le transfert nucléaire sous contrôle strict . Les textes internationaux relatifs au clonage sont très insuffisants. Cette faiblesse est d'ailleurs utilisée par certains pour laisser entendre que la condamnation du clonage ne s'impose pas d'évidence. Des débats ont resurgi récemment qui pourraient conduire à un affaiblissement de la prohibition du clonage prétendu thérapeutique.

d/ L'eugénisme

Aux termes de l'article 16-4 du code civil, al. 2, [t]oute pratique eugénique tendant à l'organisation de la sélection des personnes est interdite . Une telle pratique est pénalement punie de trente ans de réclusion criminelle et de 7 500 000 euros d'amende. Il s'agit d'une forme de crime contre l'espèce humaine. Malgré ces proclamations, notre droit et la loi de 2004 admettent des pratiques dont le caractère eugénique peut difficilement être contesté.

Le DPI et le bébé médicament . La loi de 2004 a élargi le domaine du diagnostic pré implantatoire (DPI). Depuis 1994, le DPI était déjà possible lorsqu'il existait une forte probabilité que les parents donnent naissance à un enfant atteint d'une maladie génétique d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic. Depuis la loi du 6 août 2004, le recours au DPI est également permis dans deux nouvelles situations : 1/ lorsque l'un des parents aurait eu des ascendants immédiats victimes d'une maladie gravement invalidante, à révélation tardive et mettant prématurément en jeu le pronostic vital ; 2/ afin de permettre la naissance d'un enfant dit bébé médicament . À titre dérogatoire, le DPI peut ainsi être autorisé, à titre expérimental, lorsque le diagnostic permet de conduire à la naissance d'un enfant permettant de soigner l'aîné.
Motivée par la compassion pour la souffrance des enfants malades et de leurs parents, cette pratique instrumentalise l'enfant à naître. L'admettre est critiquable dans le principe indépendamment de son but et de son taux de réussite possible. Il est permis de douter de la capacité de l'Agence de la biomédecine à contrôler efficacement ce type de pratique. Le comité d'orientation de l'agence a adopté une délibération sur le sujet le 6 juin 2006 pour tenter de donner un cadre à la pratique. Cependant, ce texte est d'une consternante vacuité. Aucune garantie d'un véritable contrôle n'est fournie. La démarche est essentiellement administrative, dans le pire sens du terme.
Le seul moyen de sortir ici de la contradiction est de revenir sur les transgressions admises par la loi de 2004. Comment admettre une exception à une interdiction qui est sanctionnée sur le terrain pénal comme un quasi crime contre l'humanité ? Il existe des principes indérogeables quels que soient les circonstances et le but poursuivi. La prohibition de l'eugénisme fait partie de ces principes.

II- LES NOUVELLES CONTRADICTIONS OU LA CONTRADICTION DES FAITS

Le législateur a écouté en 2004 des promesses scientifiques qui se sont révélées être des illusions en matière de recherches sur les cellules souches embryonnaires (a). L'évolution des pratiques permises par la loi en matière d'assistance médicale à la procréation n'a fait que renforcer le caractère inadmissible de ces pratiques (b). Des alternatives sont désormais envisageables. Progrès scientifique et exigence éthique peuvent coexister.

a/ Les espoirs déçus de la recherche sur les cellules souches embryonnaires

La recherche sur l'embryon et sur les cellules souches embryonnaires devait aboutir à de fantastiques découvertes et à de nouveaux traitements encore plus extraordinaires. Les promesses de la médecine régénérative et des thérapies génique et cellulaire étaient quasiment sans limites. Quelques années après, ce sont la désillusion et la déception qui sont souvent au rendez-vous.
L'encadrement actuel de la recherche sur les cellules souches embryonnaires est totalement dépassé. Les découvertes récentes en matière de cellules souches adultes doivent conduire à reconsidérer les dispositions adoptées en 2004. Il paraît bien difficile à l'Agence de la biomédecine de justifier les autorisations qu'elle délivre encore.
D'ailleurs, ces décisions d'autorisation ne sont pas motivées. Cette pratique semble très contestable alors qu'il s'agit de mettre en œuvre une réglementation dérogatoire et, en principe, provisoire. Comment s'assurer que les conditions d'application de la loi sont respectées ? Comment savoir, si ces recherches sont susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs et si elles ne peuvent être poursuivies par une méthode alternative d'efficacité comparable, en l'état des connaissances scientifiques ? Si l'Agence ne motive pas, c'est, en réalité, qu'elle ne le peut pas !
La pratique de l'Agence de la biomédecine apparaît ainsi contraire à la volonté du législateur de 2004. Il n'est sans doute pas inutile de rappeler les propos du sénateur Francis Giraud lors des débats qui affirmait que, avant de recourir aux cellules souches embryonnaires, [i]l faudrait non seulement avoir fait les recherches en question sur l'animal, en l'occurrence les primates, que ces recherches aient donné des résultats et qu'elles aient prouvé l'utilité de passer à des études sur l'embryon humain. Il serait d'ailleurs inacceptable de ne pas réaliser au préalable des études sur les primates au prétexte que ça coûte cher. Il appartiendra aux parlementaires siégeant au conseil médical et scientifique de s'assurer que l'esprit de notre délibération est bien respecté . Malheureusement, cela n'a pas été le cas !
Force est de constater que la recherche sur les cellules souches embryonnaires n'a abouti à rien de concret sur le terrain de la thérapie. Les cellules souches adultes ont quant à elles donné des résultats assez limités mais réels. Surtout, les cellules souches de sang de cordon ont déjà fourni des résultats avérés . Les travaux récents des équipes de S. Yamanaka, au Japon, et de J. Thomson, aux États-Unis sur la reprogrammation des cellules souches adultes afin de leur redonner des caractéristiques de cellules souches embryonnaires, ainsi que les travaux de C. Mc Guckin et N. Forraz, en Angleterre, font aujourd'hui douter même les plus grands promoteurs de la recherche sur les cellules souches embryonnaires et sur le clonage. Ian Wilmut lui-même a renoncé à poursuivre dans cette voie.
La contradiction initiale inscrite dans la loi s'aggrave aujourd'hui d'une nouvelle contradiction. La loi est purement et simplement violée dans la mesure où les conditions qu'elle pose ne sont pas respectées. Il est faux de soutenir pour justifier le non respect de la loi que le texte adopté n'était qu'une erreur de plume du législateur de 2004 ! Ce constat conduit à mettre sérieusement en doute la qualité du travail de l'Agence de la biomédecine. Comment faire confiance à ceux qui demandent l'affirmation, dans la loi, de principes incontestables que des agences seront chargées de mettre en œuvre. Ces principes incontestables ne seraient affirmés avec force que pour être mieux violés dans la pratique.
Pourtant, il est remarquable que, pour beaucoup, il reste évident, fin 2007, que la recherche sur l'embryon sera maintenue . Si l'emploi du terme thérapeutique, qui a fait naître de faux espoirs, a été largement critiqué, l'utilité de la recherche fondamentale a souvent été invoquée . Ce constat d'évidence n'est pas partagé par tous. A. Munnich, notamment, a très clairement laissé entendre que le débat sur la recherche sur l'embryon restait ouvert .
L'illusion créée par la recherche sur les cellules souches embryonnaires est aujourd'hui à peu près dissipée. L'importance accordée à la thérapie génique relève davantage de l'idéologie que de la science. Il ne faut donc pas penser que la libéralisation du dispositif réglementaire relatif à la recherche sur les cellules souches embryonnaires conduirait à des progrès thérapeutiques, ni même à une augmentation de la connaissance. En réalité, il apparaît clairement que le dispositif actuel n'est une limite ni à la recherche cognitive, ni à la recherche thérapeutique.
Il n'y a donc aucune raison de suivre les recommandations du Rapport Fagniez qui demande le renversement du principe afin de [p]asser d'un régime dérogatoire à un régime d'autorisation des recherches sur les cellules souches embryonnaires . L'auteur a d'ailleurs reconnu depuis que les propositions contenues dans son rapport devaient être nuancées après les découvertes de la fin de l'année 2007 . Il n'est pas exact de soutenir que les recherches menées depuis près de cinq ans ont démontré l'utilité de l'expérimentation sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires. Il est, en outre, très étonnant de voir que l'intérêt des représentants de l'industrie pharmaceutique réside dans l'utilisation des cellules souches embryonnaires pour la recherche sur les médicaments et leur toxicité . Cela permettrait d'utiliser moins d'animaux !
Afin de résoudre la contradiction dans un sens favorable à la dignité de la personne humaine, il faudrait renoncer à la recherche sur l'embryon et sur les cellules souches embryonnaires. Il n'existe aucun argument en faveur du maintien du régime actuel. Il est toujours possible de revenir sur la décision du législateur. Seuls le scientisme et la volonté délibérée de transgression peuvent empêcher le législateur à reconnaître son erreur de jugement.

b/ L'assistance médicale à la procréation

L'assistance médicale à la procréation (AMP) est l'occasion de nombreuses atteintes à la dignité de la personne humaine. Les techniques mises en œuvre sont souvent contestables dans leur fondement même . Le recours à la congélation des embryons, en particulier, est par elle-même une atteinte à sa dignité. La pratique se heurte à de multiples difficultés et, notamment, à ce que l'on appelle la pénurie d'ovocytes. À plusieurs reprises, lors de débats récents, la question de la gratuité du don d'ovocytes et de sa limitation a été abordée.
De nouvelles contradictions sont apparues depuis la loi de 2004. Il semble bien que la congélation de l'embryon ne soit plus utile du point de vue technique ou, du moins, ne devrait plus l'être à l'avenir. Du point de vue éthique, cette pratique ne peut qu'être fermement condamnée. Les praticiens de l'AMP tentent de la justifier en rappelant qu'il n'était pas possible de congeler des ovocytes. La seule façon de conserver un matériel biologique, de manière durable, en vue d'une AMP était de congeler l'embryon. Or, depuis une dizaine d'années les progrès réalisés en matière de congélation des ovocytes ont été importants. Il faut dès lors suggérer au législateur de favoriser cette voie afin de ne pas condamner de petits humains au sort peu enviable de la congélation puis de la destruction...
Sans doute, dira-t-on, les embryons non implantés ont tout de même leur utilité en tant que matériel de recherche ! Mais ce n'est pas un sort bien digne. En outre, il faudra alors reconnaître que l'on a, sans le dire, voulu permettre la création d'embryons à des fins de recherches en violation avec un principe pourtant affirmé avec force par la loi ! Comment dire aujourd'hui que l'on ne produit pas des embryons pour la recherche alors que l'on disposerait du moyen d'éviter la conception d'embryons non implantés ?
Pour sortir de la contradiction, il faudrait, par conséquent et immédiatement, interdire la conception d'embryons non destinés à être implantés. À plus long terme, il conviendrait de favoriser la recherche sur la congélation d'ovocytes et de tissus ovariens qui a déjà donné des résultats.

N. M.*
*Agrégé des facultés de droit, Plateforme-Vie du Forum des républicains sociaux.