AU MOMENT où certains s'interrogent sur l'opportunité de réserver une place à Dieu dans l'Europe, il est bon de rappeler quelques éléments fondamentaux.

Cette question ne s'est pas posée aux pères fondateurs de l'Europe.

Ainsi, avant d'entamer les délicates négociations qui aboutiront en 1951 à l'adoption du traité de Paris avec les pays du Benelux, Adenauer, De Gasperi et Schuman ont voulu méditer et prier dans un monastère bénédictin du Rhin. Devant l'importance du pas historique à accomplir, ces personnalités ont estimé qu'une telle démarche était indispensable !

 

En effet, si la culture occidentale plonge ses racines dans la civilisation gréco-romaine, si elle a bénéficié d'apports du judaïsme et de l'islam médiéval, il convient de souligner qu'elle a principalement été marquée du sceau du christianisme pendant deux millénaires.

C'est cette empreinte chrétienne qui constitue la spécificité de l'Europe et que les pères fondateurs ont voulu rappeler. L'Europe ne peut renier cet héritage. Une telle reconnaissance ne porte nullement atteinte au principe de la laïcité, correctement interprété. Certes, les Églises doivent être séparées de l'État, mais les Églises ne peuvent jamais se séparer de la société. Dans un monde en constante mutation, le principe de la séparation entre le spirituel et le temporel est lui aussi soumis à évolution.

 

À une époque d'ouverture et de grande tolérance envers toutes les aspirations humaines, il serait regrettable que, seules, les religions fassent l'objet d'une discrimination. Puisque l'Union européenne dialogue avec les partis politiques, les syndicats et les représentants des régions, il serait étrange que soit méconnue l'adhésion à une religion, choix de vie qui regroupe certainement autant de personnes que les autres activités associatives mentionnées.

On ne peut pas écarter l'appartenance fondamentale de la personne à Dieu, dont l'image imprègne consciemment ou inconsciemment le cœur de tout être humain. Sous prétexte d'omettre toute référence à Dieu et aux Églises au nom du respect du principe de la neutralité, cher à certains, on bafoue dans une même proportion, chez d'autres personnes, un sentiment tout aussi respectable !

Si l'Union européenne veut poursuivre son élan dynamique, après avoir franchi avec succès les premières étapes de sa construction, il lui faut nécessairement retrouver une âme, car les seuls résultats matériels ne suffisent pas à combler toutes les aspirations humaines.

Dans un monde qui semble parfois négliger les règles essentielles de la vie en société, les valeurs fondamentales de notre tradition européenne doivent être rappelées et recevoir une priorité.

Pour garder une dimension humaine et éviter une centralisation excessive, le principe de subsidiarité a reçu dans la construction européenne la place qui lui revient. Dans cette perspective, de nombreuses réalisations locales et nationales peuvent contribuer à l'épanouissement des personnes.

 

En prenant en considération la spécificité de la sphère religieuse et la contribution que les Églises n'ont cessé d'apporter à la société pendant deux mille ans, il faut que l'Union européenne reconnaisse et respecte le droit des Églises à s'organiser librement en vertu du droit national, selon leurs convictions et statuts, et à poursuivre leurs finalités religieuses dans le respect des droits fondamentaux.

Ce principe a été accepté par les États-membres dans la déclaration n° 11, jointe au traité d'Amsterdam. Il doit également être mentionné avec clarté dans le texte de nature constitutionnelle actuellement en élaboration : l'Union européenne doit respecter et ne pas préjuger du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les Églises et les communautés religieuses dans les États-membres.

 

Par ailleurs, il serait nécessaire d'accorder au droit consacrant la liberté de religion sa véritable dimension qui est simultanément individuelle, collective et institutionnelle. Les Églises doivent pouvoir se développer dans la sphère qui leur est propre, tout en accompagnant l'évolution de la société en ce début du XXIe siècle. Il serait faux de croire que l'expression " collectivement " dans les mots "liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement ", englobe également la dimension institutionnelle des Églises, au sein de cette phrase qui se retrouve aussi bien dans l'article 10 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne que dans l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme. Cet adverbe se réfère uniquement à la manière dont peut aussi s'exprimer le sentiment religieux d'une personne. Pourquoi ne pas ajouter tout simplement le mot " religieux " dans l'article 12 de la Charte des droits fondamentaux qui consacre la liberté d'association " notamment dans les domaines politique, syndical et civique " ?

Dans cette même perspective, et en reconnaissant les contributions particulières des Églises au bien commun, l'Union européenne pourrait entretenir avec elles un dialogue structuré, dans le respect de leur identité. Un tel dialogue ne pourra qu'accentuer l'heureuse progression de l'Union.

 

C'est par la solidarité et une collaboration efficace entre toutes les composantes de la société, qu'une Europe toujours plus tolérante pourra se développer, une Europe qui respectera chacun dans son individualité, une Europe qui sera la maison où chacun pourra s'épanouir.

 

S. M-H.