Liberté politique n° 

PARMI LES QUATRE PRINCIPAUX PROCESSUS démographiques contemporains , la question du vieillissement des populations est à la fois très simple et très complexe. Très simple, parce que, compte tenu des logiques de longue durée des réalités démographiques, elle pouvait être anticipée pour l'Europe dès le milieu des années 1970.

En effet, en 1973, la fécondité de l'ensemble géographique qui allait devenir l'Union européenne à quinze membres tombe en dessous du seuil de remplacement des générations . Ensuite, comme l'abaissement de la fécondité se poursuit, le vieillissement dont on constate l'accentuation au début des années 2000 est inscrit dans les certitudes.
Néanmoins, le vieillissement est une question très complexe pour deux raisons : d'une part, son intensité dépend de plusieurs causalités ; d'autre part, ce mot est utilisé pour définir deux réalités démographiques qu'il faut distinguer. Il est donc nécessaire de commencer par définir les deux notions que recouvre le terme vieillissement généralement employé et d'analyser leurs conséquences respectives. Il sera ensuite possible d'en prendre la mesure générale dans les pays de l'Union européenne tout en montrant combien il peut être disparate selon les pays et les territoires, disparité qui va s'accentuer dans l'Union à vingt-cinq de 2004 . Enfin, dans un quatrième point, des réponses seront proposées.

I- DISTINGUER LE VIEILLISSEMENT ET LA " GERONTOCROISSANCE "

Il n'est jamais interdit de créer des néologismes lorsque que cela est nécessaire. Concernant la science de la population, le mot " démographie " qui la désigne est d'ailleurs un néologisme inventé en 1855 par Achille Guillard ; il a remplacé ce que l'on appelait auparavant, par exemple dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, l'" arithmétique politique ". Aujourd'hui, pour comprendre les évolutions démographiques dans l'Union européenne comme dans le monde, il est indispensable de préciser la signification donnée au mot vieillissement et d'utiliser le néologisme que je propose, celui de " gérontocroissance ".

Le vieillissement et ses facteurs

De façon générale, le vieillissement est défini comme l'accroissement du rapport du nombre des personnes âgées à la population totale, définition présentée par exemple par Alfred Sauvy en 1959 dans sa Théorie générale de la population . Cette définition signifie que, dans la vie des populations, le vieillissement est un processus propre à certaines périodes pendant lesquelles la proportion des personnes âgées augmente. À d'autres périodes, si elle diminue, le vieillissement s'abaisse. Enfin, troisième possibilité, si la proportion des personnes âgées dans la population totale stagne, le vieillissement stagne également.
Quels sont les facteurs déterminants du vieillissement ? On en retient généralement trois : le premier est la baisse de la fécondité, ayant pour effet ce qu'on appelle le vieillissement " par le bas ", en minorant le nombre de jeunes. Il peut être constaté en examinant la courbe de la fécondité de l'Union européenne ou le bas de la pyramide des âges. La fécondité montre que les Quinze se trouvent depuis 1973 dans ce que j'ai appelé " l'hiver démographique ".
Le deuxième facteur possible de vieillissement vient de la baisse de la mortalité des personnes âgées résultant de l'augmentation de leur espérance de vie, avec pour effet ce qu'on appelle le vieillissement " par le haut ". Ce deuxième facteur ne s'exerce que dans des sociétés avancées. En effet, historiquement, les progrès dans la lutte contre la maladie et la mort bénéficient d'abord aux individus jeunes (baisse de la mortalité des nouveau-nés et des enfants) et aux mères (baisse de la mortalité maternelle), puis aux individus d'âge actif, puis aux personnes âgées.
Le troisième facteur du vieillissement provient des échanges migratoires. Ce troisième facteur modifie donc la composition par âge d'une population. Des territoires connaissant une émigration composée pour une part importante de jeunes adultes (émigration rurale ou émigration des anciennes régions industrielles, ou de pays ne parvenant pas à réussir leur développement) peuvent voir leur composition par âge soumise à des flux vieillissant leurs populations. Un dernier exemple de vieillissement de la population du fait des migrations est celui des territoires qui reçoivent des personnes âgées : c'est le cas de certaines régions rurales ou même d'espaces méridionaux ou maritimes qui attirent les retraités. En corollaire, la migration rajeunit une population, lorsque cette dernière bénéficie d'une immigration de personnes jeunes et/ou d'une émigration de personnes âgées. C'est souvent le cas de grandes agglomérations attirantes.

Une diminution du vieillissement de 1975 à 1980 ?

Si l'on applique la définition du vieillissement à l'Union européenne à quinze (cf. tableau 1, infra), en considérant comme personnes âgées les soixante ans ou plus, il en découle l'enseignement suivant : la population de l'Union européenne n'a pas vieilli de 1975 à 1980 ; au contraire, le vieillissement a diminué puisque la proportion des personnes âgées a baissé durant ces années. Les facteurs du vieillissement auraient été absents dans cette période. Pour comprendre ce qui s'est passé, examinons les trois facteurs du vieillissement précités.
D'abord, au regard de la fécondité , la baisse du vieillissement de l'Union européenne (à quinze) des années 1975 à 1980 pourrait résulter d'une hausse. Or de 1975 à 1980, la fécondité s'est abaissée de 1,96 enfant par femme en 1975 à 1,82 enfant par femme en 1980. Le vieillissement de la population constaté entre 1975 et 1980 ne peut donc s'expliquer par un niveau de fécondité qui aurait permis à l'ensemble des Quinze de sortir de l'hiver démographique.
Ensuite, à l'examen de l'espérance de vie des personnes âgées, la diminution du vieillissement pourrait résulter d'une dégradation. Or, entre 1975 et 1980, il n'y a pas eu dans l'Union européenne recul de l'espérance de vie susceptible de provoquer une diminution de la proportion des personnes âgées dans la population. Bien au contraire, leur espérance de vie a heureusement continué à s'accroître entre 1975 et 1980.
Quant aux migrations, le troisième facteur, il aurait fallu que l'Union européenne connaisse entre 1975 et 1980 des flux migratoires rajeunissant la population de façon substantielle, soit par l'arrivée massive de jeunes, soit par l'émigration massive de personnes âgées hors des Quinze. Or aucune donnée ne vient confirmer une telle évolution.
Aucun des trois premiers facteurs ne permet d'expliquer la baisse du vieillissement de la population de l'Union européenne entre 1975 et 1980. Il convient donc de rechercher un quatrième facteur.

Un quatrième facteur

Les raisons de la baisse du vieillissement entre 1975 et 1980 nécessitent la prise en compte d'un quatrième facteur, l'héritage des évolutions démographiques passées, et, en l'espèce, de l'histoire démographique de l'Europe. La proportion de personnes âgées baisse entre 1975 et 1980 parce qu'arrivent alors à l'âge de 60 ans des générations peu nombreuses du fait de la sous-natalité causée par la Première guerre mondiale 1914-1918. Autrement dit, comme dirait Monsieur de La Palice, ce héros d'une chanson pleine de vérités évidentes, les enfants qui ne sont pas nés en raison de la guerre de 1914-1918 ne sont jamais devenus des personnes âgées.
L'analyse des faits montre donc qu'il peut y avoir diminution ou arrêt du vieillissement alors que continuent à s'exercer deux de ses facteurs haussiers, faible fécondité et longévité accrue des personnes âgées. De façon générale, une hausse de la fécondité ne signifie pas nécessairement une interruption du vieillissement si les effets d'une plus grande longévité des personnes âgées l'emportent. En outre, l'arrêt du vieillissement peut ne pas résulter d'une hausse de la fécondité, mais être la conséquence de la spécificité de la pyramide des âges d'une population.
Le terme de vieillissement, dont l'usage est général, induit une interprétation simple, mais qui peut être insuffisante, voire erronée, car la mesure du vieillissement ne renseigne pas à elle seule sur l'ensemble des évolutions des âges d'une population. D'ailleurs, entre 1975 et 1980, pendant que le rapport de vieillissement de l'Union européenne diminue, le rapport de jeunesse, mesuré par la proportion des jeunes (moins de vingt ans), continue également à diminuer de façon significative (cf. tableau 1 infra). La connaissance de l'évolution du vieillissement (selon sa définition courante) ne renseigne pas suffisamment sur l'évolution des populations et doit donc être complétée par d'autres regards démographiques. En effet, considérant la pyramide des âges de l'Union européenne au 1er janvier 1980, même un élève de collège, voyant la base se rétrécir, ne conclurait pas à un rajeunissement.

La prospective certaine de la gérontocroissance

Pour ces raisons, il faut enrichir l'analyse en introduisant la notion de " gérontocroissance ", c'est-à-dire l'augmentation du nombre des personnes âgées dans une population. Ainsi, examinant le futur de la population de l'Union européenne, on peut distinguer une évolution quasi-certaine, la gérontocroissance, et une évolution incertaine, le vieillissement. Sauf catastrophe, la gérontocroissance est certaine puisque les effectifs des générations âgées devraient augmenter avec l'arrivée à ces âges des personnes nées après-guerre, plus nombreuses que les générations creuses des années de la Deuxième Guerre mondiale qui a touché la plupart des Quinze. En outre, le nombre des personnes âgées pourrait s'élever davantage si leur longévité continue à s'accroître. Cette gérontocroissance est indépendante de la fécondité future. En revanche, le vieillissement, extrêmement probable, est incertain dans son intensité et dans ses conséquences, car dépendant notamment de l'évolution de la fécondité.
Parce qu'un seul indicateur est rarement suffisant pour mesurer la complexité des réalités sociales, l'introduction d'une nouvelle notion, la gérontocroissance, définie comme l'augmentation des effectifs de personnes âgées dans une population, est nécessaire, d'autant que les deux processus démographiques (vieillissement et gérontocroissance) sont distincts même s'ils peuvent être simultanés. La nécessité de distinguer gérontocroissance et vieillissement est confirmée par l'examen de leurs conséquences respectives.

II- LES CONSEQUENCES DE LA GERONTOCROISSANCE ET DU VIEILLISSEMENT

Les conséquences de la gérontocroissance sont assez aisées à mesurer car elles sont, dans une société de même nature, mécaniques, proportionnelles à son intensité. En revanche, le vieillissement a des effets de structure qui rendent l'analyse de ses conséquences plus délicate.

Les conséquences de la gérontocroissance : des effets mécaniques

La gérontocroissance augmente certains besoins de façon proportionnelle à l'effectif accru des personnes âgées. Le nombre de personnes âgées de 60 ans ou plus devrait augmenter dans l'Union européenne à quinze de 5 % entre 2000 et 2005, de 7 % entre 2005 et 2010, et de 13 % entre 2015 et 2020, soit de 27 % entre 2000 et 2020. Toutes choses égales par ailleurs, ces chiffres influent sur les budgets concernant les personnes âgées au moins à trois niveaux.
Les retraites d'abord. Si l'âge de départ à la retraite n'est pas modifié, le nombre de personnes justifiant d'une pension de retraite va augmenter, ce qui suppose soit d'augmenter d'autant les ressources permettant de financer les retraites, soit de diminuer le pouvoir d'achat relatif des retraités.
Une deuxième conséquence de la gérontocroissance concerne les budgets d'assurance-maladie. L'augmentation des dépenses de santé est directement dépendante de la gérontocroissance car les accidents de santé sont une fonction croissante de l'âge. Même si les coûts de santé bénéficient de gains de productivité (opérations pouvant être réalisées sans chirurgie lourde, développement des soins à domicile, nombre de jours d'hospitalisation moindres pour différents types d'opérations), la gérontocroissance entraîne une pression à la hausse sur les budgets sanitaires. En France, les dépenses de santé chez les 65 ans ou plus atteignent 2,6 fois celles de la moyenne de la population, qui sont de l'ordre de 1 800 euros par personne et par an. Au-delà de 85 ans, elles sont 4,5 fois plus élevée que la moyenne . Toujours en France, les personnes de 65 ans ou plus représentent 16 % de la population, mais 36,5 % des dépenses remboursées par l'assurance-maladie et 39 % de la consommation de médicaments leurs sont consacrées. Dans cette tranche d'âge, la dépense annuelle de produits pharmaceutiques est de 850 euros, contre 230 euros pour les moins de 65 ans .
Une troisième conséquence de la gérontocroissance est le développement de la solitude. De façon générale, nombre d'unions sont rompues par la mort, ce qui multiplie les situations de veuvage. En outre, les différences d'espérance de vie entre les deux sexes ont pour conséquence que le taux de masculinité des personnes âgées est faible : les veufs sont surtout des veuves. Ce qui nécessite une offre de services sociaux répondant à ces solitudes d'autant que les conditions de logement urbain et l'évolution des structures familiales rendent l'accueil des personnes âgées par les enfants de plus en plus difficile.
Une quatrième conséquence peut provenir des effets de nombre à l'intérieur des personnes âgées, une gérontocroissance des personnes les plus âgées. En effet, les projections laissent entrevoir une augmentation des personnes les plus âgées, par exemple les 80 ans ou plus, plus importante que l'augmentation des personnes âgées dans leur totalité. Le nombre de personnes âgées de 80 ans ou plus pourrait augmenter dans l'Union européenne de 20 % entre 2000 et 2005, de 12 % entre 2005 et 2010, et de 18,5 % entre 2015 et 2020, soit de 60 % entre 2000 et 2020. De telles données laissent entrevoir une augmentation du nombre des personnes âgées dépendantes puisque les risques de dépendance croissent avec l'âge.
Sauf catastrophes (graves épidémies, guerres meurtrières, recul de l'hygiène ou détérioration des réseaux sanitaires), l'Union européenne doit se préparer à répondre à cette augmentation du nombre des personnes âgées, à la gérontocroissance, car elle est certaine. Elle signifie notamment des pensions plus nombreuses à honorer, davantage de médecins et de services spécialisés en gériatrie, plus d'aide à domicile, une offre accrue pour répondre au nombre plus élevé de dépendants âgés, mais aussi des besoins accrus en loisirs des personnes âgées...
Les conséquences et les réponses au vieillissement sont différentes car l'intensité du vieillissement n'est pas certaine puisqu'elle dépend notamment de la fécondité à venir. Si celle-ci demeure aux niveaux d'un hiver démographique, l'augmentation de la proportion des personnes âgées dans la population européenne et la baisse de la proportion de la population jeune sont certaines.

Les conséquences du vieillissement : des effets de structure

Le vieillissement vient d'abord compliquer la question du financement des retraites. En effet, si le nombre des actifs augmentait dans la même proportion que celui des retraités, la question serait résolue, il y aurait toujours une même proportion d'actifs pour financer les retraites. Mais, comme la faible fécondité des précédentes décennies en Europe risque d'entraîner une diminution des actifs, le rapport du nombre d'actifs au nombre de retraités va baisser. On peut l'estimer par l'indice de dépendance des 20-59 ans sur les 60 ans ou plus : il y avait 3,4 personnes d'âge actif en 1960 pour une personne âgée. Il n'y en aurait plus que 2 en 2002. Le vieillissement de la population, diminuant les effectifs de la population active tandis que ceux des retraités augmentent, entraîne une augmentation de la proportion des personnes âgées par rapport aux actifs, une hausse du taux de dépendance des personnes âgées sur les personnes d'âge actif.
Quelles que soient les modalités techniques des systèmes de retraite (capitalisation et ou répartition), leur financement repose toujours sur le travail des actifs (soit sur les revenus monétaires, soit sur les revenus financiers qu'ils ne se sont pas partagés), sur un prélèvement d'une part du Produit intérieur brut. C'est pourquoi le vieillissement de la population exige toujours, sauf à appauvrir les retraités, une ponction croissante sur les revenus créés par la population active. Diverses solutions peuvent être mises en œuvre : augmenter la population active en haussant les taux d'activité par âge, et notamment par l'entrée moins tardive dans le travail, ou par le retard de l'âge de la retraite. Un second ensemble de solutions consiste à augmenter les cotisations des actifs, ou ralentir le rendement relatif des retraites.
Néanmoins l'ensemble des mesures possibles reste délicat à mettre en œuvre . Limiter les revenus des retraités, c'est contrarier une catégorie électorale de plus en plus nombreuse. Augmenter les taux d'activité, c'est changer l'état d'esprit qui attache souvent plus d'importance aux diplômes de formation initiale qu'à la formation continue. Augmenter les prélèvements sur l'activité pour financer les retraites, c'est diminuer le pouvoir d'achat des actifs, leur possibilité d'investissement dans le capital humain (l'accueil de nouveaux enfants) et freiner les possibilités d'investir dans les entreprises.
En second lieu, moins d'actifs pour financer davantage de retraités, c'est également moins d'actifs pour financer les systèmes d'assurance-maladie dont les recettes ne peuvent provenir que du travail de la population active.
Troisièmement, le vieillissement provoque différents effets sur la société, d'abord parce qu'il minore le poids relatif de la population jeune et donc le besoin d'investissement relatif en faveur de la jeunesse. Ensuite, la progression de la population active risque de ralentir, puis de devenir négative, à conditions d'activité et situation migratoire inchangées, car les jeunes arrivant sur le marché du travail sont moins nombreux que les générations âgées prenant leur retraite. Or l'offre globale, dans une économie, découle de l'évolution de la population active et de l'importance des gains de productivité. Le premier facteur de hausse de l'offre globale serait donc laminé si la population active diminuait, s'il y avait une sorte d'hémorragie d'actifs. Quant au second facteur, il dépend du capital physique (équipements et infrastructures) et de la qualité du capital humain (formation initiale et surtout continue de la population active dans l'ensemble de ses composantes : enseignants, chercheurs, cadres, employés, ouvriers...).
Une quatrième conséquence concerne un autre aspect du vieillissement, celui de la population active. Les jeunes actifs seront moins nombreux que les actifs les plus âgés. S'il n'y a pas suffisamment de mobilité fonctionnelle, les jeunes risquent de considérer que les espoirs de promotion professionnelle sont peu motivants. Se pose également la question du rendement des formations à des technologies nouvelles ou de reconversion. Dans une population active jeune, on considère que le coût de l'apprentissage de nouvelles techniques peut être amorti pendant une durée assez longue par une productivité augmentée. En revanche, la décision de financer la formation continue d'actifs âgés est plus difficile à prendre, car il s'agit d'un investissement qui ne dispose pas nécessairement d'un nombre suffisant d'années pour être amorti.
Cinquième conséquence, l'augmentation relative de la proportion des personnes âgées se répercute sur l'économie et la finance. La conséquence économique est la modification de la demande globale, avec une part affaiblie accordée à l'investissement. Une population jeune exprime en effet une forte demande d'investissements (équipements scolaires et universitaires, en immobilier, en équipement du logement...). Une population âgée est déjà largement installée, et a moins besoin d'investissements. L'élévation avec l'âge du taux d'équipement des ménages limite leur appétit de consommation en période de retraite. En outre, l'augmentation du risque de dépendance incite à maintenir une épargne de précaution jusqu'à un âge éventuellement avancé .
Ces éléments montrent que les sociétés européennes doivent s'adapter à une réalité résultant des progrès dans l'espérance de vie, la gérontocroissance, et surmonter un défi, le vieillissement. Néanmoins ces deux processus sont inégaux selon les territoires européens.

III- GERONTOCROISSANCE ET VIEILLISSEMENT INEGAUX SELON LES TERRITOIRES

Le caractère inégal de la gérontocroissance et du vieillissement peut se mesurer à l'échelon géographique des pays, mais il convient de souligner également leur importance au niveau infranational.

Les disparités nationales

Au plan national, les écarts de l'indice de vieillissement selon les Quinze s'expliquent essentiellement par la fécondité différenciée des dernières décennies. Selon les chiffres disponibles les plus récents , l'Italie, parce qu'elle a souvent été la lanterne rouge de la fécondité dans le monde, connaît le vieillissement le plus intense, avec près du quart de la population de personnes âgées de 60 ans ou plus. Suivent cinq pays se situant au-dessus de la moyenne des Quinze, l'Allemagne, la Grèce, la Suède, la Belgique et le Portugal. Quant à l'Espagne, elle se situe exactement à la moyenne européenne (21,6 %), soit plus du cinquième de la population.
Se trouvent en dessous de la moyenne des pays dont la fécondité s'est moins abaissée que dans les premiers pays cités. Il s'agit dans l'ordre de l'Autriche, de la France, du Royaume-Uni, de la Finlande, du Danemark, du Luxembourg et des Pays-Bas, Enfin, en dernière position, on trouve l'Irlande, pays dont la fécondité est restée jusqu'en 1991 au-dessus du seuil de remplacement des générations. Ces proportions disparates mettent bien en évidence que le poids du vieillissement pèse de façon inégale sur les différentes économies européennes.
En examinant la projection moyenne pour 2020 , l'aggravation du vieillissement dans l'ensemble des Quinze est générale, mais avec des intensités différentes. Les pays enregistrant le plus fort vieillissement seraient la Finlande, l'Irlande et les Pays-Bas. À l'opposé, la croissance du vieillissement serait moins importante en Allemagne, en Espagne, en Grèce et surtout au Portugal. Le classement 2020 ne serait pas fondamentalement différent du classement 2001 avec, en tête, l'Italie et, en fin de peloton, l'Irlande. Mais un tel résultat est totalement dépendant du jeu d'hypothèse retenu. Ce dernier se fonde sur une hausse de la fécondité, sauf en Irlande, au Luxembourg, au Royaume-Uni et en France, pays qui suivraient un modèle tendanciel par rapport à l'année 1999. Par exemple, l'indice de vieillissement de l'Espagne ne passerait que de 21,6 % en 2001 à 26,4 % en 2020 dans l'hypothèse où la fécondité remonterait progressivement de 1,25 enfant par femme en 2000 à 1,70 enfant par femme en 2020, hypothèse dont la valeur reste à démontrer.

Les disparités infranationales

En fait, toutes ces données nationales ne sont que la moyenne des différents pays, alors qu'il existe des différences régionales propres à chaque pays, parfois très importantes. Prenons l'exemple de l'Espagne. L'indice de vieillissement, à nouveau mesuré par la proportion des 60 ans ou plus, est de 15,6 % aux Canaries et de 18,4 % en Andalousie et en Murcie, mais de 26,6 % en Aragon et de 26,8 % en Castille et Léon, soit des écarts allant jusqu'à plus de dix points.
Pour examiner la gérontocroissance, considérons d'abord trois régions ayant une population semblable, Midi-Pyrénées (2,585 millions d'habitants ), Nord-Pas-de-Calais (2,566 millions d'habitants) et le Centre (2,458 millions d'habitants). Les effets de la gérontocroissance sur les budgets publics ne sont pas les mêmes puisque Midi-Pyrénées compte 622 000 personnes âgées de 60 ans ou plus, le Nord-Pas-de-Calais 445 000 et la région Centre 556 000. Donc la région Midi-Pyrénées compte un effectif de personnes âgées supérieur de 40 % à celui du Nord-Pas-de-Calais. En examinant des départements à la population semblable, les écarts sont encore plus nets. L'Aisne, la Saône-et-Loire, les Côtes-d'Armor, la Vendée, et l'Eure ont une population équivalente, entre 537 000 et 548 000 habitants. Mais leurs effectifs de personnes âgées sont fort différents, entre 101 000 pour l'Eure et 146 000 pour les Côtes-d'Armor. Les coûts de la gérontocroissance, comme l'attestent ces exemples, sont très différenciés selon les territoires. En conséquence, certains départements ont déjà annoncé que les mesures législatives prises en faveur des personnes âgées dépendantes pourraient contraindre à augmenter le produit des impôts locaux de 50 % . Et, pour l'année 2003, le département ayant décidé la plus forte hausse des impôts locaux est la Creuse, avec 17 %.
Face aux processus de gérontocroissance et de vieillissement, quelles réponses peuvent apporter les sociétés européennes ?

IV- LES REPONSES A LA GERONTOCROISSANCE ET AU VIEILLISSEMENT

La gérontocroissance pose des questions d'adaptation supposant de nouvelles façons d'organiser la société. Quant au vieillissement, dont la continuation ne pourrait déboucher que sur un processus de dépopulation continue, ses effets ne peuvent être amoindris que par le recours à l'immigration ou une politique volontariste.

Une conception différente des âges de la vie

La gérontocroissance n'est pas un fardeau, mais une chance ; elle résulte des progrès de l'humanité, économiques, sanitaires, comportementaux et non de régression. C'est donc une réalité positive qui appelle une conception différente de la société et des adaptations mécaniques.
L'âge de la retraite a été initialement conçu comme celui où l'homme devait être mis au rebus, après des années de labeurs exténuant et de vie dans des conditions souvent pénibles rendant sa force de travail sans utilité sociale. Or les sexagénaires des années 2000 ne sont pas ceux des années 1960 et encore moins ceux des années 1890. La mécanisation a largement diminué la pénibilité du travail. L'introduction de règles d'hygiène et de sécurité, de procédés anti-pollution, dans les établissements industriels ont supprimé de multiples causes d'aggravation de la morbidité et de la mortalité. La diffusion de vaccins efficaces et la mise en place de réseaux sanitaires ont considérablement amélioré la santé des populations. Dans un tel contexte, le recul de l'âge de cessation d'activité est justifié. D'une part, il est souhaité par beaucoup de personnes que la société oblige à quitter brutalement toute activité professionnelle. D'autre part, il est bienvenu pour conserver plus longtemps certains savoir-faire professionnels qui ne peuvent s'acquérir qu'au fil des ans. Enfin, il est nécessaire pour accroître la création de richesses et permettre notamment de concourir à l'équilibre des caisses de retraite. Mais en même temps, les conditions de travail doivent s'adapter. Par exemple, il faut imaginer des départs à la retraite progressifs. Autre exemple, il faut permettre à des personnes âgées de continuer à travailler et plus encore leur permettre de travailler selon leur rythme de travail. Ainsi, au lieu de réduire de façon autoritaire le temps de travail à 35 heures comme en France, il faut accepter le fait que certains veulent peut-être travailler à un rythme moins intensif, quitte à consacrer davantage d'heures au travail. Il faut donc avoir une conception de l'âge différente et supprimer cette idée d'age couperet qui n'a plus de sens. Il sera ainsi possible de maintenir, voire d'augmenter les taux d'activité, ce qui est favorable à l'économie.
Dans le même temps où la gérontocroissance offre des ressources humaines pour l'économie, mais aussi pour la vie sociale, associative, elle nécessite néanmoins des évolutions quantitatives en raison de ses effets mécaniques. Donc, toutes choses égales par ailleurs, la gérontocroissance impose trois évolutions : une croissance des recettes des systèmes d'assurance-maladie, le développement de tout ce qui permet le maintien à domicile, et la prise en charge de la dépendance. Ces besoins supposent d'une part de faciliter les solidarités familiales, par exemple par le système fiscal, d'autre part des équipements ad hoc, donc dans les deux cas des mécanismes de financement. Or ceux-ci ne peuvent être financés que par le travail des actifs, lié notamment à l'importance de leur nombre. Or, en raison du vieillissement, ce nombre pourrait se tasser, voire diminuer. Deux réponses sont alors possibles : l'appel à de la main-d'œuvre étrangère ou la revitalisation démographique des sociétés européennes.

L'appel à l'immigration : une solution égoïste et imparfaite ?

Certains pays européens ont déjà une longue expérience de l'appel à l'immigration pour satisfaire leurs besoins de main-d'œuvre. Par exemple, la France attira longtemps des immigrés d'autres pays européens, de Belgique, de Pologne, d'Italie, d'Espagne ou du Portugal, attirance parfois facilitée lorsque certains de ces pays subissaient une situation politique défavorable aux libertés. Bien que cela ne fut pas toujours facile, l'intégration de ces populations d'origine européenne se réalisa graduellement.
Aujourd'hui, les vagues d'immigration non européenne, venant principalement du continent africain, mettent en évidence la difficulté de l'intégration, d'autant que les jeunes nationaux ne sont pas assez nombreux dans les classes des écoles.
En second lieu, les immigrés qui s'intègrent le plus facilement sont souvent les plus qualifiés, comme les médecins ou les ingénieurs, donc ceux dont les pays d'origine ont le plus besoin pour se développer. Même si l'Europe doit rester ouverte à des échanges migratoires, il est donc irresponsable et même égoïste de songer rééquilibrer la pyramide des âges avec de l'immigration pour trois raisons. D'une part, cela revient à obérer les possibilités de développement des pays pauvres en utilisant leur main-d'œuvre la plus nécessaire ou la plus courageuse. Et le non-développement des pays pauvres ne peut être que défavorable aux économies européennes qui s'enrichissent des échanges et des exportations. En second lieu, cela pose des questions très délicates d'intégration, surtout dans des sociétés qui se caractérisent par une forte dénatalité chez les nationaux. En troisième lieu, les flux mathématiquement nécessaires seraient considérables, comme l'a montré le rapport de l'ONU sur les migrations de remplacement.
La véritable réponse permettant d'enrayer les conséquences dommageables dues au vieillissement suppose donc une politique volontariste permettant de l'enrayer.

Une politique volontariste pour l'avenir

Celle-ci doit porter sur différents leviers politiques. Le premier est économique. En faisant de la lutte contre l'inflation sa priorité des priorités, l'Union européenne, ou plutôt la zone euro, a pratiqué une politique malthusienne, avantageuse pour le patrimoine acquis, pour les rentiers, et défavorables aux jeunes actifs, aux jeunes souhaitant fonder un foyer ou accueillir de nouveaux enfants. Or l'Union doit mettre l'accent tout autant sur la croissance de la production et l'encouragement à l'emploi que sur la lutte contre l'inflation. La surévaluation monétaire n'est pas un atout pour la croissance économique, comme l'atteste l'exemple du Portugal qui, sous la dictature de Salazar, additionnait une monnaie forte avec le maintien du pays en état de sous-développement.
Si l'Europe demeure dans un hiver démographique et vieillit trop intensément faute d'enfants, c'est parce que, sur un plan économique et fiscal, les parents sont souvent pénalisés. Il est nécessaire que nos sociétés européennes prennent en compte l'importance des solidarités profondes entre les générations successives. Il faut que l'Union et que chacun de ses peuples prenne conscience du rôle crucial de la politique familiale, non pas pour des raisons idéologiques ou de prestige, mais parce qu'elle est la seule susceptible d'avancer vers une Europe sociale. On reste atterré par l'importance donnée au critère des 3 % maximum de déficit sans considération de savoir si ce pourcentage sert à des dépenses de fonctionnement bureaucratique ou à des dépenses d'investissement. Or la politique familiale est une dépense d'investissement et doit être traitée comme telle. La formation du capital humain est aussi importante et même davantage que l'augmentation du capital matériel.

Devant le choix décisif...

Dans ce troisième millénaire qui commence, les populations européennes se trouvent devant un choix décisif : ou bien se résigner passivement au vieillissement de la population, d'ailleurs accentué par les effets de politiques malthusiennes, ou bien chaque peuple, fidèle aux racines de l'identité européenne , trouve en lui-même la force d'opérer un changement de cap.
La question du vieillissement de la population de l'Union européenne est le plus souvent mal posée, sauf si on comprend la distinction entre la gérontocroissance et le vieillissement stricto sensu. En effet, grâce aux progrès de nos sociétés européennes, l'espérance de vie des personnes âgées augmente, le grand âge a de l'avenir et le nombre des personnes dépassant les soixante ans est appelé à augmenter. Cette gérontocroissance qui a des effets mécaniques sur les régimes de retraites, d'assurance-maladie, sur la structure de la demande... est une évolution certaine, sauf catastrophes que personne ne peut souhaiter. Il appartient à la société de s'y adapter, en utilisant les capacités productives et humaines des personnes âgées, en révisant les systèmes de retraite, en améliorant les mécanismes de maintien à domicile, en accroissant les équipements nécessaires à la prise en charge de la dépendance.
Quant au vieillissement, c'est-à-dire l'augmentation de la proportion des personnes âgées dans la population, s'il continue au rythme actuel aggravé par l'indice de fécondité le plus bas de tous les temps, il met en cause les structures économiques, sociales, et même politiques. Il provoque déjà la dépopulation de certaines régions et annonce celle de pays entiers. L'Europe risque-t-elle de devenir un dinosaure maigrissant tout juste capable de conserver l'orgueil de son passé ? Tout se passe comme si diverses idéologies , dont celle du no future, idée selon laquelle l'Europe n'a aucun avenir, étaient parvenu à faire considérer la procréation comme une entrave et non comme une espérance. Tout se passe comme si, pour une femme qui cherche un travail, le meilleur sésame serait un certificat de stérilité, que l'on a vu pratiqué de facto dans certaines régions européennes.
Le vieillissement, avant d'entraîner une contraction démographique, a d'abord des conséquences qualitatives. Celles-ci peuvent être masquées un certain temps, mais à terme, il n'y a pas d'avenir pour l'Europe sans vitalité démographique, sans réduction de l'intensité du vieillissement. On aimerait trouver dans le préambule de la future Constitution européenne une invitation sur ce thème... Car la richesse de l'Europe repose sur cette extraordinaire combinaison entre la personnalité propre à chaque peuple européen et des valeurs identitaires communes, sur cette unité née de la diversité. La transmission des valeurs identitaires et des acquis ne peut s'effectuer que si les générations qui assurent le relais sont assez nombreuses pour les recevoir.

G.-FR. D.

 

 

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