LES ÉGLISES NE BENEFICIENT PAS d'un statut consultatif vis-à-vis de l'Union européenne. À tel point qu'il n'existe aucune structure de consultation officielle. C'est là une lacune des mécanismes consultatifs de l'Union.

Et pourtant, dans tous les États membres, les Églises et les communautés de fidèles sont des acteurs importants de la société. Elles répondent non seulement aux besoins religieux des citoyens mais fournissent aussi des services dans plusieurs domaines de la vie privée et publique.

Que cette question ait fait l'objet de discussions au cours de ces dernières années dans divers contextes spécifiques, comme nous l'exposerons plus loin, est une indication du développement constitutionnel du projet de l'Union européenne. En effet, ce n'est que bien après le traité d'Amsterdam que la question a pu être abordée par les institutions européennes. Leur préoccupation d'achever le marché unique et les présuppositions prévalant au sujet de la relation entre le sacré et le séculier se sont rejointes pour former un fossé − à long terme, potentiellement destructeur − entre les Églises, les religions et le projet européen. Pour des raisons internes au développement de l'Union depuis le début des années 1990, et à cause de l'évolution se produisant tant au niveau de la société civile qu'à celui des aspects théoriques et pratiques de la gouvernance et de la théorie constitutionnelle, la question séculaire de la relation entre la sphère du sacré et la sphère du politique est en train d'être étudiée en des termes nouveaux qui transcendent les lignes de bataille du Siècle des Lumières et ses conséquences. Le politique et le religieux, tous deux débarrassés des tristes moments de l'histoire européenne et des périodes d'incompréhension mutuelle, ont essentiellement renoncé à toute prétention d'absolutisme. Certains éléments tendraient même à indiquer qu'ils sont prêts à redécouvrir leur nécessaire complémentarité au service du bien commun.

 

 

 

Présence des Églises auprès des institutions européennes

 

Les Églises et les religions ne figurent pas encore dans le droit primaire de l'Union européenne. Mais les relations entre les Églises et l'Union se sont considérablement développées depuis la fondation du projet européen il y a un demi-siècle.

La présence des Églises auprès des institutions européennes prend de multiples formes : les Églises ont surtout été présentes au développement du processus européen (comme encore aujourd'hui), par l'intermédiaire de politiciens et de fonctionnaires chrétiens dont l'engagement vis-à-vis de leur travail avait aussi sa source dans leur foi. Cette forme de contribution chrétienne dans l'arène du débat politique, de la négociation et de la prise de décisions est un service rendu par l'Église, peuple de Dieu, à l'égard du corps politique.

 

Depuis les premières années du projet européen, un certain nombre de bureaux d'Église ont été créés dans le but spécifique de suivre l'élaboration des politiques des institutions européennes. C'est ainsi qu'une initiative jésuite, l'Office Catholique d'Information et d'Initiative pour l'Europe (OCIPE), a été lancée dans les années 50, à Strasbourg, et a dûment mis sur pied une antenne à Bruxelles dix ans plus tard. Ensuite, dans les années 60, l'Association Œcuménique Église et Société (AOES) a également été établie à Bruxelles. En 1973 est arrivée la Commission œcuménique européenne pour Église et Société (EECCS). La Commission des épiscopats de la communauté européenne (COMECE) a quant à elle été établie en 1980, qui a également repris le Service d'Information Pastorale Européenne Catholique (SIPECA) mis sur pied en 1976. Actuellement, presque toutes les confessions chrétiennes de l'Union européenne sont représentées à Bruxelles et le nombre de bureaux d'Église ayant pour mission d'assurer la liaison avec les institutions de l'Union est en augmentation constante. On peut décrire brièvement le travail de la plupart de ces organisations en disant qu'il est structuré autour de trois grands axes :

 

1. accompagner la politique de l'Union européenne en y apportant des contributions appropriées ;

2. informer les communautés et les citoyens de ce qui se passe au niveau des politiques de l'Union ;

3. promouvoir un dialogue entre foi et politique.

 

Par leurs activités, ces organisations vont au-delà de la simple défense des intérêts d'Église, où elles peuvent s'engager si nécessaire. En fait, pratiquement tout leur travail est centré sur l'enrichissement des débats politiques dans un large éventail de domaines, notamment les questions relevant de la politique étrangère, de la sécurité et de la défense, la politique du commerce, la politique sociale, la justice, ainsi que le débat sur l'avenir de l'Europe mené actuellement par la Convention européenne.

D'autre part, les publications de ces organisations, leurs bulletins mensuels et les multiples formes de communication à l'adresse des communautés ecclésiales dans les États membres et les pays adhérents, permettent à ces organisations d'apporter une contribution modeste, mais très réelle, à la promotion du projet européen et au rapprochement entre les institutions de l'Union, ses citoyens et les communautés locales. Elles sont, en fait, des acteurs critiques, pas toujours reconnus, de la promotion du projet européen depuis plusieurs décennies.

La présence d'Église a été − et reste encore aujourd'hui − une initiative des Églises : cela n'est pas toujours compris. Il s'agit d'une expression concrète et même proactive de la responsabilité des Églises à l'égard de l'Europe, d'un désir de la part de celles-ci d'assumer concrètement le rôle qui est le leur dans l'édification de l'Europe. La relation de ces organisations d'Église avec l'Union européenne est informelle, c'est une relation de fait.

 

 

 

Dialogue entre l'Union européenne et les Églises

 

Au cours des décennies de construction de la Communauté européenne et d'élaboration des politiques de ce qui est devenu l'Union européenne, ce sont par des contacts informels, des études et des séminaires divers que les Églises et les communautés religieuses ont contribué aux débats sur l'élaboration des politiques européennes dans des domaines tels que la politique économique et sociale, le droit d'asile, la migration et les médias. À un niveau plus immédiatement pastoral, elles ont joué – et jouent encore – un rôle important de promotion du respect mutuel, de la participation, de la citoyenneté, du dialogue et de la réconciliation entre les peuples d'Europe, entre l'Est et l'Ouest. Tant au niveau pastoral qu'au niveau politique, elles mettent en évidence la responsabilité de l'Europe, non seulement à l'égard de ses voisins immédiats, mais aussi de toute la famille humaine. En ce sens, elles sont un partenaire indispensable des institutions de l'Union européenne.

 

Depuis la ratification de l'Acte unique, le débat sur la construction européenne transcende infiniment les paramètres du marché. Avec les traités ultérieurs de Maastricht et d'Amsterdam, les politiques de l'Union européenne vont beaucoup plus loin que l'organisation du marché intérieur. Elles portent sur des domaines aussi vastes que la justice et la politique intérieure, la politique sociale, l'éducation et les médias, les affaires étrangères, la sécurité et la politique de la recherche. Alors que le marché et son organisation sont liés à des valeurs et ne sont certainement pas neutres à cet égard, les domaines où l'Union a acquis une compétence depuis le début des années 90 touchent plus directement le citoyen, conduisent de façon plus immédiate à une appréhension de la qualité sociétale du projet européen et ouvrent ainsi volontiers la voie à des débats d'ordre socio-éthique et spirituel.

 

Cette évolution avait été anticipée par Jacques Delors dans les dernières années de son deuxième mandat de président de la Commission européenne. Il avait déjà fréquemment souligné, à la fin des années 80, après la ratification de l'Acte unique, la nécessité d'un débat sur les objectifs de la construction européenne. Il estimait en effet, avec d'autres, que la tradition chrétienne avait un rôle vital à jouer dans ce débat.

Les 25 dernières années de l'histoire de la construction européenne ont aussi vu l'émergence d'une sorte de réveil des questions métaphysiques portant sur le but ultime de la tâche à réaliser. De nombreux débats ont cherché à rendre plus explicite le concept de société humaine sur lequel repose cette tentative.

Dès le démarrage du projet européen puis, au début des années 90, en réponse aux initiatives prises par Jacques Delors et d'autres, les Églises ont créé un espace de dialogue informel avec les institutions européennes grâce au travail de leurs bureaux et agences établis à Bruxelles et leurs contributions à l'élaboration des politiques de l'Union. La tradition d'un contact, d'une présence, de journées d'information et de séminaires autour d'exposés sur des questions politiques effectués par des fonctionnaires de l'Union et des parlementaires européens, tradition qui a évolué au fil des ans, a été complétée dès le début des années 90 par des " séminaires de dialogue ", conjointement organisés dans les débuts par la Cellule de Prospective de la Commission européenne et la Commission Œcuménique européenne Église et Société (EECCS). À partir de 1993, la Commission des épiscopats de la Communauté européenne (COMECE) a été un co-organisateur de ces séminaires de dialogue. Les séminaires, qui prenaient pour thème une question d'actualité de la politique européenne convenue par les trois co-organisateurs, ont été préparés de façon consultative par la Cellule de Prospective (puis par son successeur, le Groupe des Conseillers Politiques – GOPA – du Président de la Commission européenne). Au stade préparatoire des consultations, les représentants des Églises et les spécialistes compétents sur le thème à débattre ont été identifiés avec soin, en s'attachant aussi à ce que les participants de ces séminaires représentent au maximum les différentes zones culturelles et linguistiques de l'Union européenne. Pour sa part, la Cellule de Prospective/le GOPA ont organisé des exposés et assuré la participation de Commissaires européens, de fonctionnaires de l'Union et de parlementaires européens travaillant sur le thème choisi. L'expérience de ces séminaires de dialogue a fait apparaître des résultats inégaux et bien vite peu satisfaisants. Bien qu'ils aient réussi à rassembler des représentants des Églises et du monde politique ayant une immense compétence et un savoir-faire incontestable sur le thème du séminaire, le départ de la plupart des participants des milieux politiques après avoir fait leur exposé et répondu à quelques questions va à l'encontre du but que l'on s'était proposé en organisant ces séminaires.

C'est ainsi qu'à la fin des années 90, des mesures ont été prises pour renforcer et officialiser ces contacts et ce dialogue. À l'occasion d'une rencontre avec M. Jacques Santer, président de la Commission européenne, le 10 juin 1998, Mgr Josef Homeyer, président de la COMECE a présenté un document contenant un ensemble de propositions sur la manière dont le dialogue entre l'Union européenne et les Églises pourrait être établi sur un pied plus officiel et plus permanent. Quelques mois plus tard, le 14 septembre 1998, dans un discours à la dernière Assemblée générale de la Commission œcuménique européenne pour Église et Société (EECCS), M. Santer a reconnu la nécessité de s'occuper de cette question et clairement exprimé sa volonté de poursuivre la discussion à ce sujet :

 

" Conçue dès ses origines pour être une Union de peuples et d'États, la Communauté européenne est en passe de devenir également une Union de citoyens.

" Cette remarque me ramène une nouvelle fois au dialogue et à la coopération que la Commission et les Églises ont su cultiver au fil des ans. J'ai dit précédemment que je pensais que cette pratique du dialogue pouvait et devait être renforcée et même approfondie. À l'heure où l'Union devient pour les citoyennes et les citoyens de l'Europe une réalité plus tangible, sans que pour autant soit remise en question leur identité locale, régionale ou nationale, il est bon que les rapports de leurs communautés de foi et de conviction avec l'Union gagnent en visibilité ; peut-être convient-il de les organiser de manière plus systématique. Nous avons reçu de part et d'autre diverses propositions pour une poursuite du dialogue dans ce sens. Nous en discuterons au cours des mois à venir, afin d'arrêter, de commun accord, les décisions nécessaires aussitôt que possible.

" Dans l'espoir que cette bonne coopération puisse se poursuivre, voire s'intensifier à l'avenir, afin d'atteindre une efficacité plus grande encore au regard de nos responsabilités communes, je forme ici le vœu que vos efforts continuent d'être couronnés de succès. "

 

Dans le contexte actuel, une analyse des perspectives suggérées par le président Santer dans ces lignes serait du domaine de la pure conjecture. Il suffit de rappeler que, pour renforcer et approfondir encore le dialogue entre la Commission européenne et les Églises, la Commission " Église et Société " de la Conférence des Églises européennes (KEK) et le secrétariat de la COMECE ont soumis en 1999 une proposition approuvée au niveau œcuménique sur l'établissement d'un " dialogue structuré ". Cette proposition a été présentée au président Santer. Elle a également été soumise au président Prodi, peu de temps après son entrée en fonction. Elle a aussi été intégrée en 2002 dans un document s'inscrivant dans le cadre de la consultation sur le renforcement d'une culture de la consultation et du dialogue. Cette proposition suggère trois éléments complémentaires :

 

1. Une procédure de consultation prélégislative, permettant aux Églises et aux communautés religieuses – avec d'autres organisations de la société civile – de commenter les projets législatifs. La procédure de consultation proposée par la Commission européenne dans sa communication du 11 décembre 2002 marque une évolution significative en ce sens.

 

2. Le dialogue structuré qui existe entre les Églises et la Commission européenne est à poursuivre et à développer. Il doit prendre la forme :

a) de Séminaires de Dialogue organisés à intervalles réguliers ;

b) de sessions de travail sur des questions plus spécifiques, chaque fois que les Églises et les communautés religieuses ont une préoccupation particulière ou un intérêt spécifique à l'égard d'un projet législatif ;

c) de rencontres au niveau présidentiel entre le président de la Commission européenne et des représentants à haut niveau des Églises. La proposition prévoit également un groupe préparatoire commun pour ces rencontres, qui serait composé de représentants des Églises et de fonctionnaires européens dotés des compétences appropriées.

 

3. Un petit " bureau de liaison " au sein des services de la Commission européenne, qui serait idéalement situé dans un service horizontal de la Commission, par exemple le secrétariat général. Un tel bureau aurait pour but de faciliter la consultation des Églises et des communautés religieuses sur la législation et les politiques projetées, afin de bénéficier de la réflexion prospective que les religions peuvent proposer en la matière, et de constituer un point de référence, par lequel les Églises et les communautés religieuses pourraient contacter les services compétents de la Commission européenne.

 

 

 

Société civile et gouvernance européenne

 

De toute évidence, cette proposition doit être vue dans le contexte plus large de plusieurs débats et discussions parallèles, notamment celle sur le concept de " gouvernance européenne ", qui est l'une des priorités stratégiques de la Commission Prodi. Ce concept, lancé par la Commission européenne dans son Livre blanc de juillet 2001, vise à fournir un cadre général de consultation et de partenariat en vue de renforcer la démocratie en Europe et d'accroître la légitimité des institutions.

Les défis de la société contemporaine ne peuvent être résolus par la seule intervention des institutions politiques. L'exploration de ces questions nécessite un dialogue avec les partenaires concernés et la consultation des divers secteurs de la société. Les organisations intermédiaires, légitimement ancrées dans la société, jouent un rôle d'appui à cet égard. Les leaders politiques doivent susciter de nouvelles formes de consultation appropriées afin que les organisations intermédiaires puissent remplir convenablement leur rôle en la matière. La recherche de formes appropriées de consultation à cet égard n'est autre que l'application du principe de subsidiarité au sens horizontal.

En réponse au Livre blanc sur la gouvernance et au débat qui s'en est suivi, les Églises ont fait un certain nombre de contributions importantes, qui sont venues apporter leur soutien au désir de la Commission d'améliorer les mécanismes et la qualité de la gouvernance européenne et de la rendre mieux intégrée et davantage orientée vers l'inclusion sociale. Les Églises ont aussi proposé que soit reconnue leur contribution spécifique à l'ensemble du processus de bonne gouvernance. Même si, à ce jour, elles n'ont reçu aucune réponse officielle aux suggestions spécifiques faites au président de la Commission dans le document mentionné plus haut, le Livre blanc sur la gouvernance européenne a reconnu que les Églises et les communautés religieuses étaient des acteurs du processus de bonne gouvernance :

" La société joue un rôle important en permettant aux citoyens d'exprimer leurs préoccupations et en fournissant les services correspondant aux besoins de la population. Les Églises et les communautés religieuses ont une contribution spécifique à apporter. "

 

 

 

Contribution spécifique des Églises

 

Les traditions et les mouvements religieux, spirituels et intellectuels, ont eu un rôle formateur à l'égard du développement de notre conscience en matière d'identité et de culture. Au cours des siècles, ils ont façonné et favorisé des valeurs d'importance fondamentale pour la condition humaine, et exprimé clairement celles-ci à des époques toujours différentes. Les religions fournissent le fondement et l'orientation qui donnent sens à la vie. Source d'inspiration, elles constituent un héritage vivant à transmettre à l'avenir. Les Églises et les communautés religieuses représentent, protègent et encouragent les aspects essentiels des fondements spirituels et religieux de l'Europe. Elles peuvent susciter une importante autocritique au sein de la société et servir ainsi de source d'innovation pour la société et dans les délibérations sur le concept de bonne gouvernance. À cet effet, il est illustratif de citer l'Exhortation apostolique post-synodale, parue récemment, à la suite de la seconde assemblée extraordinaire du Synode des évêques pour l'Europe (1er-23 octobre 1999) :

 

" Dans ses relations avec les pouvoirs publics, l'Église ne demande pas un retour à des formes d'État confessionnel. Mais en même temps, elle déplore tout type de laïcisme idéologique ou de séparation hostile entre les institutions civiles et les confessions religieuses.

" Pour sa part, dans la logique d'une saine collaboration entre communauté ecclésiale et société politique, l'Église catholique est convaincue de pouvoir apporter une contribution spécifique à la perspective de l'unification, offrant aux institutions européennes, en continuité avec sa tradition et en harmonie avec les directives de sa doctrine sociale, la présence de communautés de croyants qui cherchent à réaliser l'humanisation de la société à partir de l'Évangile vécu sous le signe de l'espérance. Dans cette optique, il est nécessaire que des chrétiens, convenablement formés et compétents, soient présents dans les diverses instances et institutions européennes, pour concourir, dans le respect des justes dynamismes démocratiques et à travers une confrontation des propositions, à définir une convivialité européenne toujours plus respectueuse de tout homme et de toute femme, et donc conforme au bien commun. "

 

C'est dans ce sens que les Églises et les communautés religieuses contribuent activement à la vie publique de bien des façons, au niveau local, régional, national et international, dans des domaines aussi variés que la politique sociale, la migration, l'aide au développement, le processus de paix, l'éducation, les activités culturelles et la pastorale. Leur caractère institutionnel, les objectifs des services qu'elles rendent dans ces domaines, leurs modes de fonctionnement et, bien souvent, l'éthique de leurs institutions, expriment leur spécificité par rapport à d'autres organisations de la société civile. Les Églises et les communautés religieuses font partie intégrante de la société civile ; elles s'en distinguent mais ne peuvent non plus être considérées comme des organisations non gouvernementales.

Au cours de ces dernières décennies, l'Union européenne et ses institutions ont dû tenir compte, même indirectement, de la religion, des Églises et des communautés religieuses. On trouve une référence à la religion non seulement dans les dispositions des traités mais aussi dans les protocoles et les déclarations en annexe. La législation secondaire de l'Union se réfère directement à la religion et a une influence sur elle dans de nombreux domaines juridiques, notamment en ce qui concerne la non-discrimination, la législation sur le travail, la protection des données, la culture, la législation sur les médias, le bien-être des animaux, la coopération, les finances, les questions douanières et la législation économique. Ne serait-ce que pour de simples raisons de cohérence juridique, l'Union européenne doit trouver le moyen de mettre en place des mécanismes de consultation appropriés auprès des Églises et des communautés religieuses.

En septembre 2002, la Commission des épiscopats de la Communauté européenne (COMECE) et la Commission " Église et Société " de la Conférence des Églises européennes (KEK) ont présenté à la Convention européenne une proposition commune ayant été approuvée au niveau œcuménique. Cette proposition comporte trois éléments complémentaires concernant la situation des Églises et des communautés religieuses de l'Union européenne à l'avenir. L'un de ces éléments est une disposition constitutionnelle au sujet de l'existence d'un dialogue structuré entre les Églises et les institutions de l'Union. Ces trois éléments sont les suivants :

 

1. Le respect du statut dont bénéficient les Églises, les communautés religieuses et les organisations non confessionnelles en vertu du droit national dans les États membres (Déclaration n°11 de l'Acte final du traité d'Amsterdam) ;

2. La reconnaissance de l'identité spécifique des Églises et des communautés religieuses et la mise en place d'un dialogue structuré avec elles ;

3. L'organisation du respect, par l'Union européenne, de la liberté religieuse dans toutes ses dimensions.

 

Lors des sessions plénières de la Convention européenne en février et en mars ont été débattues la question d'une référence à la religion et la question du statut des Églises et des communautés religieuses en vertu du droit national. Le Praesidium est également arrivé à un consensus sur les points suivants :

- incorporer le contenu de la Déclaration d'Amsterdam n° 11 dans la structure de la Constitution ;

- envisager l'introduction, dans le Préambule du traité, d'une référence " reconnaissant la contribution des religions à la civilisation européenne " ;

- mentionner la contribution des Églises et des associations religieuses au titre VI de la Constitution traitant de la vie démocratique de l'Union.

La Convention a intégré en temps utile le projet d'article 37 dans le titre VI.

Bien que ce projet de texte ait réuni un consensus au niveau du praesidium de la Convention, il a néanmoins fait l'objet de quelques 33 amendements et d'une discussion approfondie à la session plénière de la Convention du 24 avril 2003. La majorité des interventions faites à ce sujet dans le cadre de la discussion ont été positives. Le projet d'article 37 susmentionné est devenu le projet d'article 51 dans la première version complète de la partie I du traité constitutionnel présenté par le praesidium le 26 mai 2003. Ce texte, intitulé " Statut des Églises et des Organisations non confessionnelles ", consiste en trois dispositions :

 

1) L'Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les Églises et les associations ou religieuses dans les États membres.

2) L'Union respecte également le statut des organisations philosophiques et non confessionnelles.

3) En reconnaissance de leur identité et leur contribution spécifique, l'Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier, avec ces Églises et organisations.

 

Cet article est inclus dans la proposition finale du traité constitutionnel de la Convention qui a été présentée par le président Valéry Giscard d'Estaing au Conseil européen de Thessalonique les 20 et 21 juin 2003. Dans son état actuel, ce texte donne dans ses deux premiers paragraphes une qualité constitutionnelle aux dispositions de la Déclaration n°11 de l'Acte final du traité d'Amsterdam. Dans le contexte des dispositions du titre VI sur la vie démocratique de l'Union, il reconnaît l'identité des Églises et des communautés religieuses et la spécificité de leur contribution à la société. Le texte prévoit aussi le maintien d'un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces Églises et organisations religieuses.

Après le Sommet de Thessalonique, il reviendra à la Conférence intergouvernementale (CIG) de prendre les décisions finales. La proposition de la Convention servira de base aux travaux de la CIG et il faut espérer que le projet d'article 51 sera maintenu. Ce projet d'article traduit une avancée considérable dans le sens d'une définition et d'une reconnaissance de l'Europe comme communauté fondée sur des valeurs ; l'intérêt des Églises n'est autre que la promotion d'une société fondée sur des valeurs.

De fait, l'intérêt des Églises à promouvoir un débat sur ce type de société est manifeste au vu de l'ampleur de leurs nombreuses contributions aux groupes de travail de la Convention et leur participation aux divers groupes de contact qui préparaient l'audition de la Société civile les 24 et 25 juin 2002. Par la proposition législative mentionnée plus haut, les Églises s'efforcent de faire reconnaître un espace approprié leur permettant de maintenir la contribution et les services spécifiques qu'elles rendent à la société européenne. En soutenant la formulation d'un article du traité constitutionnel, elles n'ont pas l'intention de chercher à obtenir des privilèges pour la religion, comme certains voudraient le faire croire. En fait, ces dispositions sont rendues nécessaires, comme on l'a vu, par le droit existant de l'Union européenne en matière de religion ; l'absence d'un ou plusieurs articles de ce type serait le reflet d'un vide constitutionnel.

 

 

 

Remarques en guise de conclusion

 

Il existe donc un certain nombre de signes indiquant que l'Union européenne est prête à mettre en place un dialogue structuré avec les Églises et les communautés religieuses. Ceci représente une avancée considérable par rapport aux décennies précédentes, marquées par l'incertitude des institutions européennes quant au mode de relation avec les communautés et les institutions religieuses. Cette évolution met en évidence l'émergence d'une conception plus intégrée du processus politique, incorporant toutes les dimensions de la conscience et du discours humains, y compris la dimension religieuse.

Nous avons tracé dans les grandes lignes certaines des étapes fondamentales du chemin parcouru pour arriver à ce point. Ce qu'il faut maintenant, c'est entreprendre d'urgence un nouveau travail au niveau de l'éducation des futurs fonctionnaires du service public, que ce soit dans les États membres ou au sein des institutions de l'Union. Si l'on veut que ces fonctionnaires soient au service du bien commun de tous les citoyens, ils doivent avoir tout au moins une certaine compréhension de l'héritage religieux de l'Europe dans le cadre de leur formation. Cette formation doit les conduire à comprendre que la foi religieuse ne peut se ramener à une affaire d'ordre personnel et privé. Elle doit leur faire comprendre que les processus politiques, tout en restant évidemment autonomes et régis par les principes démocratiques, ne peuvent banaliser la dimension religieuse de l'existence humaine ni considérer que cette dimension est totalement séparée du domaine politique ou public. La formation de ces fonctionnaires doit leur permettre de se rendre compte que les Églises et les communautés religieuses jouent un rôle fondamental dans la production du capital social dont dépend le fonctionnement de la démocratie libérale. C'est assurément un aussi grand défi pour la catéchèse que pour l'administration publique.

Au-delà de l'établissement de mécanismes de consultation des Églises et des religions, il faut espérer que le futur traité constitutionnel reconnaisse l'importance vitale de la religion, des Églises et des communautés religieuses dans l'ensemble de la société.

 

+ N. TR.