NOUS EN AVIONS REVE... Peter Jackson l'a fait. L'adaptation du Seigneur des Anneaux constitue à ce jour un des plus beaux films de l'histoire, un des plus crédibles aussi. À une époque où l'on doute de tout, des statistiques, de l'alimentation, de l'euronickel, de l'attentat du Pentagone, il est étonnant de constater que 200 millions de spectateurs ne doutent pas de l'existence de Frodon, Gandalf et de l'entité maléfique Sauron.
Et qu'ils ont raison. Pendant trois ans, ajoute Jackson, les salles de cinéma du monde entier attendront des files d'attente se constituer pour voir qui, la trilogie du Seigneur des Anneaux, qui la suite d'Harry Potter, le petit sorcier bon élève qui rêve d'un gentil collège à l'anglaise où l'on apprend la science sacrée de bons maîtres sans se faire racketter ou égorger... C'est le retour des rois mages, qui permettent aux gosses occidentaux de rêver et de retrouver leurs marques.
Lorsque nous avons écrit notre livre sur Tolkien en 1998, l'intérêt pour lui avait beaucoup diminué en France et dans le monde. Le genre heroïc fantasy n'est pas très populaire en France, la mode de la contre-culture était retombée. En France il est de toute manière impossible de parler de quoi que ce soit sinon en des termes abjects, cyniques ou méprisants. Tout est interdit au nom bien sûr de la tolérance. Le passé est nazifié, ce qui permet à la médiactature en place de nous précipiter un peu plus vite vers l'état de nature, comme l'a très bien rappelé Philippe Muray dans sa lettre aux djihadistes . Par chance, il y a des Anglais, des anglo-saxons, des Juifs américains, des ennemis de toujours de l'exception française et du coq hérétique pour nous rappeler que le monde de l'imaginaire c´est aussi cela : de beaux elfes qui luttent dans des cavernes contre des trolls affreux et des orcs difformes.
En France où le monde est un mot
Pour sauver la France de son cinéma, il faudrait que le public n'aille plus voir que des films judéo-saxo-nègres, comme disait l'infâme Céline, et qu'il oublie le cinoche antiraciste de Dupeyron, le néostalinisme d'Amélie Poulain, le cinéma gay, militant et branché des unes et des autres. Payé par le contribuable conspué. À la Seine les Rivières pourpres ; à l'égoût le Pacte des loups et autres chaos immondes. Quant à Amen... ce libelle scénarisé par le Réseau-Voltaire a le mérite de rappeler à qui l'aurait oublié que catholicisme et national-socialisme ne font qu'un : à quand donc les rafles du KGB dans les églises, à quand donc les cathos dans les stades, à quand donc un Goulag pour les fils et petits-fils du Maréchal et sectateurs du monstrueux Pie XII ? En se couchant toujours plus devant l'envahisseur médiatique, le clergé déchiré par l'injure se tait " pour ne pas tomber dans le piège ". Il ne récolte qu'une éclaboussure supplémentaire. La victime se tait ? la victime collabore. Comme tu montres que tu collabores avec moi, tu prouves un peu plus que tu collaboras activement à la Shoah. (Ben voyons ! Qui demandait déjà combien le pape avait de divisions ?) Nous n'exterminons pas les catholiques qui le méritent que par un effet de notre bonté insondable et inexplicable. Mais il ne faut pas dramatiser : rappelons-nous Céline, toujours lui, pour qui le Latin – le Français, en particulier – est conifié par les mots, parce qu'il croit que le monde est un mot.
Il faut croire au final que ces provocations crétines destinées à faire parler d'un film aussi faux dans ses assertions que médiocre dans son filmage n'engagent qu'à peine leurs auteurs. L'insulte religieuse rejoint l'inanité politique qui voit un président hilarant traiter son Premier ministre socialiste de fasciste. Encore un siècle de journalisme disait Nietzsche, et tous les mots pueront.
Plus rien n'a de sens, au moins en France. Peter Jackson était à peine connu, comme son merveilleux pays, la Nouvelle-Zélande. Réalisateur de comédies à effets spéciaux, ce barbu bien joufflu sorti d'un bois de Mirkwood a consacré sept ans de sa vie (les chiffres varient) pour réaliser son film. L'échec de Ralph Bakshi en 1979 était en partie dû au fait que le dessin animé ne durait que deux heures. Nous avons ici affaire à trois fois trois heures. Neuf heures de merveilles qui ne nous seront délivrées qu'aux veilles de Noël, dans la grande tradition américaine... Aidé des frères Weinstein, de Marc Ordensky et de Barrie Osborne (producteur du magnifique et effrayant Matrix), Jackson a pu imposer son pays sage comme cadre physique à son film... et trouver 300 millions de dollars pour produire le film le plus cher de l'histoire. Merveilleuse épopée spirituelle, merveilleuse aventure capitaliste. Le film a rapporté pour l'instant 800 millions de dollars : le premier épisode de la série a largement amorti les deux autres, et c'est amplement mérité. Quand on pense à l'argent public englouti en France pour produire Chéreau, Ozon et le reste... Il nous reste les yeux pour pleurer, il nous reste aussi les pieds pour partir.
Heureusement, il y a les rois mages.
Rigoureusement vrai
L'immense mérite de l'adaptation de Jackson, c'est qu'elle rend crédible un monde incroyable. Tolkien, telle était notre interprétation des Univers d'un magicien , ne rêvait pas : il visualisait ce qui avait réellement eu lieu. Parabole chrétienne sur la déchéance de l'homme, la monarchie sacrée, les merveilles du Moyen Âge et l'angélologie, le Silmarillion et le Seigneur des anneaux sont rigoureusement vrais, pour reprendre la fameuse expression de Sartre à propos de Kafka. Il y a eu des elfes, ces rois catholiques du Moyen Âge qui reposent en paix à Saint-Denis ou dans la Capilla Real à Grenade. Il y a eu des nains, ces bâtisseurs de cathédrales et de citadelles, ces orfèvres en matière brute ; il y a eu les hobbits, ces bons paysans paisibles qui ont honoré la création de leur foi, de leur labeur et de leur bonne humeur. Tous ces " personnages " ont réellement existé. Tout comme ont existé les magiciens comme Gandalf le blanc, ce mage consacré envoyé par Iluvatar pour combattre la contre-initiation, les sacrifices et l'esclavage impérial. Tout comme ont existé les Saroumane et les orcs, ces destructeurs d'arbres, ces exterminateurs de campagnes et de spiritualité naturelle. Chez Tolkien certains arbres sont considérés comme des êtres vivants.... Ça ne vous rappelle rien, ces chênes à Vincennes, ces bois de Brocéliande, cette forêt d'Orient ? Tolkien défend l'écologie primordiale et chrétienne, qui ne parle pas de nature ou d'environnement, mais de Création. Création qu'il faut servir, respecter et utiliser, mais pas exploiter, pas détruire, pas remplacer.
Et puis il y a les orcs. Comment ne pas penser à nos banlieues en voyant les meutes furieuses d'orcs se précipiter sur Frodon et ses compagnons ? Comment ne pas penser aux soldats israéliens immolés, aux " collaborateurs " palestiniens dénudés, exhibés et lacérés par leurs " frères ", aux soldats américains massacrés par les hordes d'Aïdid, comme le montre le courageux et (hélas) bâclé Black Hawk Down de Ridley Scott ? Comment ne pas penser au martyre de l'insécurité républicaine ? Le Seigneur des Anneaux ne nous parle que de ce qui nous arrive, comme nous l'avait expliqué l'ami de Tolkien, C.S. Lewis, l'un des plus grands auteurs de l'imaginaire catholique de ce siècle. La transformation des merveilleuses campagnes chrétiennes de la France traditionnelle en enfer gris et bétonnant, en cauchemar de territoires protocolaires, recouvert de délinquants de tout poil et de toute nationalité, comme disait le bon Charles Pasqua.... Mordor c'est cela, et Tolkien nous l'avait dit : la transformation de Vézelay, de Venise et de Vincennes en zones à urbaniser en priorité et à évacuer en conséquence... un autre grand maître, Goscinny, avait annoncé ce qui nous guettait dans le Domaine des dieux : l'immigration, le tourisme, la modernisation, les HLM et le reste. Astérix demande à Panoramix, une fois la victoire remportée, s'ils pourront résister longtemps : pas longtemps, répond le druide. Dont acte, se dit-on, en allant voir l'immonde adaptation des clowns de Canal +, qui ont fait à Goscinny rescapé des camps de la mort ce que Hitler a fait à la Pologne... Astérix le fin Gaulois et ses compagnons présentés comme des abrutis face au génie " banlieusard " (et même pas égyptien)...
Le conflit du chrétien
Jackson ne succombe jamais à la folie des effets spéciaux. On lui a reproché son casting (les acteurs sont beaux et ils ont les yeux bleus), ses gros plans (il respecte le texte, donc les dialogues), ses ellipses (personnellement nous regrettons la suppression de la rencontre avec Tom Bombadil), ses ajouts (la belle chevauchée de la princesse elfe, vierge guerrière dans la tradition arcienne). La force tranquille de ce brave paysan néo-zélandais lui a permis de retrouver le génie des grandes épopées hollywoodiennes d'antan : on pense à Vingt mille lieues sous les mers, à l'Homme qui voulut être roi, bien sûr à Jason et les Argonautes, lorsque les statues de rois, bras tendus, saluent les navigateurs hauturiers.
Il est incroyable, il est merveilleux, que ce film ait fait le plein de spectateurs à travers le monde civilisé, le monde judéo-chrétien que l'on cherche à remplacer à toutes forces en France en particulier. Car toute l'œuvre de Tolkien, toute l'œuvre de Jackson consiste à célébrer le conflit du chrétien : tu dois lutter contre les forces du mal, sans leur ressembler en rien. Tu ne dois pas donc devenir le serviteur de l'anneau, en prétendant devenir son maître. Et tu ne dois pas te laisser gagner par le désespoir. Sur cette trame digne de Bernanos, Tolkien retrouve le ton glacé des sagas et la symbolique de la mythologie nordique européenne. Cela ne signifie évidemment pas, comme le croient certains esprits bien informés, que Tolkien vende du mythe en kit ou se fasse le gourou du New Age néo-païen.
Tolkien a eu une mission : retrouver le temps perdu de l'Occident noyé dans la gadoue de la Révolution industrielle et l'ordure de la déchristianisation. Retrouver la mémoire... Si quelqu'un a accompli son devoir de mémoire, c'est bien Tolkien. Et si des chiffres de fréquentation peuvent nous démontrer que nous sommes encore un peu vivants, ce sont bien ceux du Seigneur des anneaux. Nous sommes des cœurs sans intelligence, nous cheminons à l'aveugle, nous sommes surveillés par les oiseaux de Saroumane ricanant, mais il nous reste encore un peu de la lueur de Galadriel dans la lumière noire.
N. B.